6, 7 et 8 juillet
L’Andorre
accueille les Renards et les USDR
Vendredi
6 juillet, 7h du matin, nous sortons de notre luxueux chalet. Le temps est
clair, à peine frais, ce qui réjouit fortement mon compère Denis. Les cieux
n’ont pas été cléments en Andorre ces dernières 48 heures, avec de violents
orages durant les nuits et quelques pluies en journées. Nous sommes rassurés,
nous pouvons partir sereinement dans l’aventure. Les pentes qui nous entourent,
proches de notre havre de paix des Salines ces sept derniers jours, nous les
avons dans l’œil, un peu déjà dans la tête.
Hier soir, lors du briefing des organisateurs, le
ton a été donné. « Bonjour. Je ne vais pas vous rappeler pourquoi vous êtes
venus, vous le savez déjà »… Impressionnant. Impressionnant comme ces 80
coureurs francophiles réunis dans l’auditorium d’Ordino pour ¾ d’heure de
briefing sur écran géant. J’ai l’impression d’être à Cauterets il y a 25 ans
pour ma découverte de la course de montagne. 100 autres hispanisants ont eu le
même sort une heure plus tôt.
183
coureurs au départ, « triés sur le volet », devant présenter des
références pour participer à cette Ronda dels Cims 2012 (2° édition). 170 kilomètres de trail,
15 pics ou cols au-dessus de 2400 mètres d’altitude, 13 000 mètres de
dénivelé positif et négatif (un aller-retour et demi au mont Everest depuis le
niveau de la mer), temps limite de course 60 h, altitude moyenne de 1984 mètres. En résumé,
le tour de la principauté d’Andorre par les crêtes, les sommets, les cols, les
vallées.
Pas
assez effrayant manifestement pour 183 allumés, amoureux, avides de la montagne,
des efforts physiques et psychiques que l’on peut y développer. Impressionnant
comme certains chiffres annoncés par l’organisation. 50 arrivants sur 150
partants l’année dernière lors de la 1° édition. 360 bénévoles, 15 policiers,
30 agents de la circulation, 10 médecins spécialisés montagne, podologues,
kinés. La montée du Comapedrosa (plus haut sommet d’Andorre à 2942 m) de 900 mètres de dénivelé positif
en 3 kilomètres.
Des passages de cordes, des descentes en semi-rappel (« ce n’est pas
dangereux, nous on passe en courant, mais c’est pour vous rassurer… »), du
froid en altitude, deux nuits à passer dehors… L’organisation compte sur nous
pour augmenter le taux d’arrivants. Elle prévient qu’en 60 heures cela peut
paraître aisé pour des gens entraînés, mais que c’est loin d’être une balade.
Qu’ils souhaitent nous faire à tous la bise à l’arrivée.
Et
n’oubliez pas :
courir un peu c'est bien
courir plus c'est mieux
courir trop c'est parfait
Notre
expérience du Grand Raid des Pyrénées 2010, autres ultras, raids multisports
(dont le raid PPA 2012 et notre performance malgré mon presque abandon) sont
des atouts, mais pas plus que les autres concurrents. Il n’y a pas là de
« débutants » comme au GRP. C’est un peu la crème de l’ultratrail qui
se présente ici. « La Ronda »
est d’ailleurs pressentie au titre de plus difficile ultratrail d’Europe.
Nous
avons bien dormi et dîné après cela. Malgré tout….
7h10. La voiture de papa et Lolo nous amène jusqu’à
Ordino, à quelques kilomètres. Nous sommes apprêtés, affutés, affamés de
montagne, mais songeurs sur les difficultés qui nous attendent. La visite du
pays pendant la semaine précédente nous a présenté des paysages somptueux, mais
aussi des secteurs très minéraux, sans végétation, et des pentes
impressionnantes.
7h25.
Parking d’Ordino. Derniers préparatifs.
Nous convergeons lentement vers ce magnifique centre bourg duquel sera donné le départ. Nous profitons de ces instants.
Nous convergeons lentement vers ce magnifique centre bourg duquel sera donné le départ. Nous profitons de ces instants.
7h40.
Les Ultras Supporters des Renards (USDR) arrivent. Ils sont encore tous là et
bien là. Laeti, Pierre, Lolo, Carole, Léa, Mathieu, Marjo, Elio, Anna. Tous affutés, prêts comme nous pour
l’aventure. Le parcours en main, les points de rencontre en tête, les consignes
pour les ravitaillements connues. Même Lolo avec son coccyx fêlé va nous
suivre.
Les petits USDR sont parés des t-shirts bleu de l’ultra, des bandanas orange et de sifflets pour nous encourager.
Les petits USDR sont parés des t-shirts bleu de l’ultra, des bandanas orange et de sifflets pour nous encourager.
Toute
cette joyeuse équipe pour nous deux. Nous en aurons grandement besoin.
Nous
entrons dans le sas de départ.
7h55. La musique démarre, les derniers conseils de l’organisation, l’excitation de tous pour cette course objectif n°1 de l’année pour la plupart d’entre nous, pour 183 fadas.
8h00.
Feu d’artifice, décompte, c’est parti. 366 jambes s’ébrouent. 183 esprits se
libèrent. 2 renards jubilent.
C’est parti pour le tour de
tout un pays
Un petit tour sur le bitume d’Ordino à 1 300 m d’altitude pour
commencer. Le peloton s’étire, la route s’élève doucement. Mise en jambe
agréable. Un dernier au revoir à Lolo et Jean qui traînent dans le coin, et
c’est parti pour les premiers chemins. Nous sommes calés entre la 60 et la 70°
place, suivant le rythme de nos prédécesseurs. Certains coureurs,
particulièrement une portugaise, arrivent à fortement jacasser malgré déjà
quelques raidillons sympas. Le rythme est soutenu, c’est l’euphorie.
Nous
nous élevons dans un superbe sous-bois, croisant petits torrents et ravines, à
l’ombre. Quelques kilomètres alternant courtes mais parfois très raides montées
et petites descentes. Nous débouchons au bout d’une heure environ à l’Ensegur.
Zone ouverte de pacage qui annonce la moyenne montagne. En tournant plein est
nous voyons les crêtes qu’il nous faut atteindre, avec déjà les premiers
coureurs bien au loin.
D’un
coup un hélico s’élève vers nous, nous survole à plusieurs reprises pour
prendre des images, puis nous laisse dans l’immensité et la beauté des
montagnes andorranes. Nous avons déjà eu le loisir d’admirer ces diversités paysagères
ces jours derniers. S’est révélé un pays magnifique, mêlant Pyrénées et Alpes,
modernité et âpreté de certains secteurs.
Nous
rentrons avec nos prochains pas dans un monde plus minéral. Les cailloux,
falaises abruptes aux décrochages rocailleux, sentiers de pierres succèdent aux
dernières prairies de moyenne montagne. Nous attaquons la « haute ».
Le vent est lui aussi de la partie. Il a beau être presque 11h du mat’ il ne
fait pas chaud s’attarder sur la crête que nous atteignons. En file indienne
les pénitents du week-end rejoignant leurs deux premiers cols : le col
d’Arènes puis le col de Ferreroles. Nous sommes à 2 532 mètres
d’altitude, 17
kilomètres et 3h12 de course, 1300 m de dénivelé positif
(D+) avalés. Décor alentour à couper le souffle. Nous sommes au point nodal du
parcours. Au Nord, à nos pieds, notre 1° ravitaillement. A l’Ouest les
montagnes que nous atteindrons cet après-midi au-delà d’Arcalis, jusqu'au
Comapedrosa. Au Sud le programme de demain s’étend à l’infini. A l’Est, si
proche mais si loin, notre rendez-vous dans 140 kilomètres…le chemin du retour…dans
combien de temps y serons nous ? Y serons nous seulement ?
Les
bénévoles nous « bipent » au passage. En effet un système de contrôle
électronique permet de suivre la course à distance, confortablement installé
devant son ordi ou son téléphone, mais surtout « contrôler » la
progression des coureurs pour l’organisation.
Descente
très raide puis très agréable vers les lacs de l’Estanyo. Nous pouvons
trottiner, nous faire plaisir à sauter de cailloux en petites sources. Nous
doublons quelques coureurs restant sur la réserve. On se sent bien, on en
profite tout en prenant garde de ne pas nous blesser ni trop dépenser
d’énergie. En course il faut savoir gérer ses temps forts comme ses temps
faibles. Ne pas se laisser griser quand tout va bien, ne pas paniquer quand
cela va mal.
Une
petite forêt. De l’autre côté se trouve le refuge de Sorteny. Premier ravito à 1962 m d’altitude (km 21) où
tous les USDR devraient être venus à notre rencontre après 30 minutes de marche
pour eux. Cela ne manque pas. Dès que nous sortons du bois nous entendons les
« Allez les Renards » qui viennent d’un peu plus haut et des
« Qui ne saute pas n’est pas renard, hey… ». La belle équipe est là,
radieuse, qui nous encourage. Nous avons 20 minutes d’avance sur le
prévisionnel (passage à 11h30 en 70° position) et les jambes vont bien. Nous
prenons néanmoins cinq minutes pour les embrasser et nous ravitailler. L’ultra
est une course éco responsable. De sorte chacun doit transporter sa propre
tasse pour pouvoir s’abreuver. Très belle initiative afin de réduire les
déchets. Le temps est frais, agréable.
Nous repartons donc pour une petite montée vers le
Planell del Quer et basculons dans le somptueux vallon de Rialp. Nous avons
embarqué une petite caméra fixée sur la casquette de Denis. Nous filmons les
premières images dans l’idée de pouvoir faire partager à nos USDR la course de
l’intérieur, eux qui ne nous voient généralement qu’à l’approche des
ravitaillements et ne profitent que peu des paysages.
C’est
parti pour un D+ de 650
mètres. Denis mène bon train. Les coureurs sont encore
rapprochés les uns des autres, de sorte nous sommes souvent à 3 ou 4 coureurs à
cheminer de concert. Cela fait 4 heures que nous progressons lorsque je sens le
rythme de Denis diminuer. Depuis 2-3 minutes nous avançons moins vite, avec
moins « d’agressivité » dans nos pas. Je connais maintenant bien
Denis. Cette machine qui n’a que peu de faiblesses et peut vous en dégoutter plus
d’un de part sa constance dans l’effort. Là je sens qu’il y a un
« hic ». Je lui demande : « Ca va Denis ? ». « Non, j’ai un coup de mou ».
« Allez on se pose sur le côté, on fait le plein d’énergie, et on
repart ». Denis, si aguerri pourtant, s’est laissé surprendre. Il n’a pas
assez mangé ni bu depuis le départ, porté par son adrénaline et ce début
d’épreuve grisant. Ce n’est pas bien grave. Autant se poser cinq minutes pour
en gagner (ou éviter d’en perdre) de nombreuses ensuite.
La
fin de la montée jusqu’à Portella del Rialp se fait à notre main. De là-haut
splendide vue sur le Nord-Ouest de l’Andorre et au loin la station de ski
d’Arcalis que nous devons atteindre. C’est une grande descente pierreuse qui
commence à nous y amener, puis une petite remontée raide qui nous fait
contourner quelques difficultés. Nous doublons un coureur déjà sur les rotules.
Assez bien réfléchit je commence moi aussi à être émoussé. Cette section me
paraît plus difficile qu’escompté. Il faut se donner pour conserver un rythme
constant de progression. La fin de descente vers Arcalis est très jolie,
débouchant dans un entrelacement de torrents où nous essayons de ne pas nous
mouiller les pieds (afin d’éviter les ampoules).
Plus
haut, au bord de la route, le concert des USDR reprend.
Comme
ça peut vous rebooster ça alors ! Ils sont tous là, applaudissant tout le
monde et nous accueillant à ce kilomètre 32. Nous venons de parcourir environ
20 % du trajet et 2 200 mètres de
D+. Il est 14h37 (6h37 de course). Nous avons une demi-heure de retard. Rien
d’alarmant vu que nous sommes dans les 100 premiers concurrents. Néanmoins ce
ravito bien fourni est bienvenu. Je n’ai plus d’eau depuis presque une heure,
m’abreuvant au camelback du chameau Denis. Je n’ai jamais autant bu sur une
course alors qu’il ne fait pourtant pas chaud. Nous avions prévu de passer en
coup de vent à ce ravitaillement mais la course nous éprouve déjà. Et nous ne
sommes pas les seuls. Nous avons doublé un traileur en grande difficulté. Laeti
m’annonce que le coureur assis à la table derrière moi abandonne. Elle me le
cache à ce moment là mais me dira après la course qu’il lui a avoué
« abandonner car très fatigué et, ayant participé l’année dernière, sait
ce qu’il l’attend… ». Déjà des abandons au km 32, c’est dire !
Ravito
en terrasse de la station de Coma Arcalis. Bien agréable. On s’enfile déjà des
soupes, des pâtes et de la charcuterie, alors que nous sommes à peine partis.
Toute la famille est heureuse de nous voir, les enfants sont curieux, réunis
autour de nous. J’éprouve déjà le besoin de mettre les jambes en l’air pour
faire circuler le sang. Un bon quart d’heure d’arrêt.
Droit dans la pente
Nous voilà repartis pour un D+ de 500 mètres vers le Col
de Cataperdis.
Droit dans les pistes de ski puis dans la grosse pente caillouteuse. Un joli pourcentage, un joli « coup de cul » comme on dit, que nous filmons. Là haut trois jeunes volontaires en short pour nous biper qui doivent se cailler. Un dernier regard en arrière sur ces 34 premiers kilomètres et nous basculons sous un ciel couvert et froid dans le cirque d’Angonella. La veste technique et les gants ne sont pas de trop. J’enfile même le bonnet, les oreilles titillées par le vent. Le physique a été regonflé au ravito, le moral est très bon, même si cette descente technique pique déjà un peu mes pieds sensibles. Il n’est pas si aisé d’y courir. Peu après les lacs d’Angonella nous trouvons deux bénévoles sexagénaires avec leurs deux jeunes labradors, adossés aux rochers. Ils sont déjà là depuis quelques heures et devront attendre le passage de l’Ultra Mitic (112 km et 9700 D+) qui part ce soir à 23h. Il commence à faire frais, mais ils ne s’en plaignent pas. Nous prenons une sente pierreuse pour entamer une jolie remontée.
Droit dans les pistes de ski puis dans la grosse pente caillouteuse. Un joli pourcentage, un joli « coup de cul » comme on dit, que nous filmons. Là haut trois jeunes volontaires en short pour nous biper qui doivent se cailler. Un dernier regard en arrière sur ces 34 premiers kilomètres et nous basculons sous un ciel couvert et froid dans le cirque d’Angonella. La veste technique et les gants ne sont pas de trop. J’enfile même le bonnet, les oreilles titillées par le vent. Le physique a été regonflé au ravito, le moral est très bon, même si cette descente technique pique déjà un peu mes pieds sensibles. Il n’est pas si aisé d’y courir. Peu après les lacs d’Angonella nous trouvons deux bénévoles sexagénaires avec leurs deux jeunes labradors, adossés aux rochers. Ils sont déjà là depuis quelques heures et devront attendre le passage de l’Ultra Mitic (112 km et 9700 D+) qui part ce soir à 23h. Il commence à faire frais, mais ils ne s’en plaignent pas. Nous prenons une sente pierreuse pour entamer une jolie remontée.
Nous
rencontrons quelques rochers avant que la pente ne s’accentue fortement pour
atteindre une crête. De là magnifique vue sur notre parcours des prochaines
heures et le brouillard qui monte vers nous. Mais que c’est beau ! Nous
atteignons le pic del clot del Cavall (km 38, altitude 2612 m) puis nous courons
sur une crête herbeuse finissant en pente douce. Encore quelques bénévoles nous
accueillant sous la tente. Nous sommes à la 94° place, le moral est bon.
Descente
technique sur un sentier pierreux puis nous atteignons l’herbe et un joli sous-bois.
Nous trottinons facilement, tant est si bien que je me la joue Kilian Jornet
sous la caméra de Denis. Pas chassé, en arrière, saut de cabri. Attention à ne
pas se blesser. On occupe le temps comme on peut comme dit Denis, tout en se
gavant de paysages. Pause fruits secs portés par Denis. Je lui raconte des
histoires de loups et d’ours. La fin de la descente jusqu’au Bordes dels Prats
nous est très agréable. Nous arrivons à une fermette croyant être arrivés
au ravito. Erreur, les demoiselles bénévoles nous l’indiquent à 3 km, au pied du Comapedrosa.
Cheminement agréable, presque plat, sautant au dessus des racines, de quelques
troncs et cailloux. Vivement le ravito !
Le
bois s’ouvre, un grand replat apparaît (Pla de l’Estany), mais surtout au
dessus de nous se dresse le pic del Comapedrosa. Impressionnant par sa pente,
son aspect sombre et minéral, sa tête dans le brouillard. Impressionnant car de
fait nous n’en voyons pas la fin, mais imaginons sans peine la pente qu’il va
falloir avaler. Ce fameux 900
m D+ sur 3
km annoncé au briefing, soit une pente moyenne de 30 %.
Pour comparaison l’ascension en vélo du col du Tourmalet représente une pente
moyenne de 9%, avec des passages à 14% max. Refuge Joan Canut au milieu de ce
replat magnifique. Un peu exigu pour se restaurer mais cela est bien venu.
Soupe, charcuterie, salé… Je recharge mon camelback de la boisson isotonique
fournie pour la course : l’Aquarius. Je suis fan de son petit goût qui me
change de l’Overstim’s. Du coup je n’ai aucune peine à le boire. Les jambes en
l’air à nouveau. Depuis quelques kilomètres mes pieds souffrent, les pansements
préventifs doivent être refaits. Je mets les pieds à nu. Pas de trace d’ampoules
mais la peau de la plante des pieds commence à se fripper. Je restrappe tout,
prêt à gravir la montagne. Les gentilles et jolies bénévoles nous souhaitent
bon courage.
Il est 18 heures passées, nous partons à l’assaut
du Comapedrosa. Premier tronçon herbeux en pente douce mais celle-ci s’élève
très rapidement. Certains passages se font droit dans la pente, sans inutiles lacets.
Très vite nous sommes dans le pur minéral, des gros blocs partout. Le parcours
est très bien fléché mais il nous faut faire bien attention et bien choisir où
nous posons les pieds. La pente est parfois très sèche, les bâtons sont d’une
immense utilité pour nous hisser d’un bloc à l’autre. Parfois les mains sont
nécessaires. Nous sommes dans un couloir rocheux, entourés de toute part par
des versants abrupts. Au dessus de nos têtes le brouillard. Le Comapedrosa est
invisible.
Denis
est en tête et chemine à un rythme très régulier, doux mais à la fois très
efficace. Nous nous ravitaillons en marchant, sans avoir le besoin de nous
arrêter. L’ambiance sombre, mystérieuse où règnent vent et minéral, me rappelle
le Seigneur des Anneaux. La
Communauté des Renards à l’attaque du Comapedrosa. Arrivés presque
au fond du cirque nous bifurquons à gauche pour un nouveau joli coup de cul
jusqu’au col del Forat de Malhiverns. Difficile de savoir où nous en sommes.
Nous y trouvons un photographe de la course, complètement perdu dans le
brouillard. Je l’oriente vers le refuge du pla de l’Estany.
Du
col la montée devient technique, sur une arête relativement fine mais pas impressionnante
car nous ne voyons pas les supposés à pic qui nous entourent. Nous nous aidons
des mains parfois, nous poussant aux fesses l’un l’autre. Au bout d’à peine 10
minutes un son incongru nous arrive aux oreilles. L’un des grands moments de
l’ultra andorran, sa marque de fabrique. Nous les entendons avant des les
distinguer. Au sommet, un joueur de cornemuse et deux joueurs de tambour
accueillent tous les concurrents ! Un air enjoué, exaltant, vivifiant nous
récompensant de notre effort. L’instant est vraiment beau, magique, même si je
savais qu’ils seraient là. A 10
mètres d’eux je commence à les applaudir avec mes bâtons,
ces trois fadas qui braveront pendant 36 heures les conditions météo pour nous
offrir du réconfort. Je m’arrête devant eux, on se sourit, j’ai les larmes aux
yeux. Il n’est pas 20h, le Comapedrosa est notre apéritif, les musiciens sont
notre champagne ! Merci messieurs.
Nous
bipons à 2942 mètres,
au sommet de l’Andorre, passant en 97° position, félicités par cinq autres
vaillants bénévoles. Avant de redescendre dans cette purée de pois je profite à
nouveau de cet instant magique. Cet air de cornemuse va nous accompagner encore
longtemps sur le chemin, dans nos têtes. Descente technique de haute montagne
au milieu des éboulis, roches ou pierriers dans lesquels nous surfons sur les
talons. La montée du Comapedrosa ne nous a pas fait pas mal. Le rythme que nous
avions été adéquat, de sorte cette difficulté n’en a pas été vraiment une…sauf
que nous y avons laissé de l’énergie. Très vite le brouillard n’est plus et
nous retrouvons la démesure andorrane. Longue descente sur une sente pierreuse
bien roulante par laquelle nous rejoignons les lacs de l’Estany Negre, en
partie encore gelés. Magnifique paysage à nouveau. Sur un névé de neige, en
plein couloir de vent, est posée une
tente. Une charmante bénévole nous attend ! Mais elle doit avoir bien
froid ! Quel courage ! Elle n’a pas d’autre endroit plat pour
s’installer. Ils sont partout ces bénévoles, et toujours souriants. C’est très
rassurant, très agréable de les voir. Ils nous encouragent et nous permettent
de nous savoir régulièrement suivis par l’organisation.
Un
sujet de préoccupation grandit néanmoins. Denis n’arrive plus à s’alimenter
depuis plusieurs kilomètres. Seul le liquide passe. Je le motive comme je peux,
l’encourage à manger. Il faut profiter des descentes pour cela.
La
nuit s’approche
Une troupe d’ados, assis dehors, nous applaudit à
notre arrivée. Nous bipons 93°. Un festin s’annonce ici. Une table de dix
mètres de long nous offre toutes les victuailles souhaitées, même des olives
(une tuerie avec du fromage…). Une vraie ambiance refuge. On s’installe pour
faire le plein, comme d’hab’. Ca passe pour moi, tout du moins. Toujours pas
pour Denis. Je le motive, l’engueule même pour qu’il se force. Mais je sais ce
que c’est. A côté de nous un coureur se fait soigner un doigt par un
secouriste. Il se l’est ouvert lors d’une chute dans la descente pierreuse du
Comapedrosa. Nous avons aussi l’info qu’un autre se serait ouvert le mollet
dans les cailloux. Le trail génère pourtant rarement de telles blessures quand
on le met en parallèle au niveau de difficulté.
Lui
a le moral, nous faisons connaissance et repartons ensemble vers la Portella de Sanfons
(col). Il a fait de nombreux ultras, dont le Tor des Géants l’année
dernière : le tour de la vallée d’Aoste en Italie (derrière le Mont
Blanc). 330 km, 24 000 D+ en
122 heures. Pourtant il nous avoue que la Ronda lui paraît bien plus technique, plus
éprouvante, plus difficile. Et nous n’en sommes qu’au kilomètre 50 ! C’est
bien ce qu’il nous semblait aussi. On n’est pas seuls à penser cela. L’épreuve
est vraiment bien ardue et loin d’être terminée. Nous montons la Portella de Sanfons avec
la fin du jour sur une pente assez raide. Les lumières sont splendides, entre
« chien et loup ». Denis est toujours « en dedans », il
n’arrive toujours pas à s’alimenter. Je l’encourage à au moins boire. Je le
relance régulièrement pour manger, mais quand ça ne passe pas ça ne passe pas.
Il va falloir que ça le fasse néanmoins sinon il va vite se trouver en
difficulté.
Nous
cheminons sur une petite descente herbeuse qui s’accentue pour atteindre le
haut des pistes d’Arinsal. Un coureur nous rejoint et nous demande si ça va.
Lui aussi est dans l’impossibilité de manger solide depuis le kilomètre 25. Il
avance à la volonté en espérant et sachant que cela peut vite changer. Me voilà
avec deux types à surveiller. Il a le dossard 21, est le sosie de notre ami
Alain la Cagouille,
et nous allons le retrouver souvent sur « le chemin ». Il a fait ces
trois dernières années la Mitic
et a tenu à s’aligner sur la Ronda. Il
connaît donc bien ce bout de parcours et va nous mener jusqu’au col de la Botella.
La
nuit est là, avant d’arriver à celui-ci, et devons sortir les frontales pour
distinguer le sentier et les fanions. Voici le bord de la route. Lolo et Marjo
nous y attendent, visiblement très soulagés. Notre estimatif de passage est
dépassé, la progression ne se fait pas comme supposé. Il va falloir qu’ils
recalent leurs chronos et surtout leur organisation avec les enfants. Papa est
là aussi. Ils nous accompagnent sur les 300 mètres de route
jusqu’au ravitaillement de la
Botella. Km 53, alt 2472 mètres. Nous
débriefons avec eux, sur la difficulté du parcours, de la façon dont ils
peuvent nous assister, et s’organiser pour la suite. Il est 22h15, au lieu des
21h prévus. Nous allons rester 30 minutes pour refaire les pansements de mon
côté et que Denis arrive à s’alimenter, enfin. Etirements, les jambes en l’air,
papoter un peu pour rassurer tout le monde. Peu de coureurs transitent ici
pendant notre repos. Ca y est les écarts commencent à apparaître.
On plonge dans la « solitude » de l’ultra.
On plonge dans la « solitude » de l’ultra.
Nous repartons en trottinant dans une petite forêt
très agréable. Le chemin monte et descend doucement, puis s’ouvrent les
prairies des pistes de ski. La nuit est claire, douce. Nous distinguons les
quelques lumières des villes en contrebas. En nous retournant, au loin, les
lumières des gars dans la descente de la Botella, mais surtout encore plus loin celles de
ceux dans la descente du Comapedrosa. Ces coureurs doivent être à au moins
trois heures derrière nous. Cela impressionne mais rassure. Nous ne sommes pas
derniers…
Un
petit col, une intersection de chemin. A gauche cela part pour une autre course
de demain. Je fais mine de m’y engager ce qui affole les deux charmants
bénévoles. Nous en rions. Nous avons ici rattrapé le finisher du Tor des
Géants. Il est très fatigué, n’arrive pas à bien s’alimenter. Il a les jambes,
le physique en forme, mais l’envie qui s’en va. Nous le boostons, lui disons de
nous suivre pour au moins atteindre la première base de vie. Il hésite mais
s’accroche. Il se cale derrière Denis, moi restant dernier pour l’encadrer et
qu’il ne décroche pas. Denis a mal a l’un de ses genoux depuis une paire
d’heures. Il serre les dents.
Nous
entamons la très raide montée du Bony de la
Pica. Pas très longue, D+350 m, mais droit dans la
pente. Il ne faut pas réfléchir, ne pas lever la tête pour voir les quelques
frontales bien plus haut (sachant que la nuit les lumières paraissent plus loin
qu’en réel) et appuyer sur les bâtons bien fort. Si fort que j’en casse ma
dragonne. Mince, ça ne va pas être aisé la fin de course si la préhension n’est
pas parfaite. Après à peine deux minutes notre compagnon s’arrête et nous
demande de continuer sans lui. Nous l’encourageons une nouvelle fois et nous
enfonçons dans la nuit noire, puis bientôt dans le brouillard. Nous rattrapons
un concurrent. Le froid est là.
Peu
avant le Bony une tente est sur notre chemin. Ca doit être un contrôle. Nous hélons,
pas de réponse. Un peu plus fort, toujours rien. Une 3° fois… Du fin fond d’un
duvet une voix nous dit pâteusement mais gentiment : « Vamos
alto ». Allez plus haut. Mince, nous avons réveillé un pauvre bénévole en
train de se reposer. Nous continuons, voici le Bony, km 61.
Deux
filles gelées dans ce brouillard et ce vent, enroulées dans des couvertures de
survie, nous indiquent où passer dans cette purée de pois. Je n’ai pas de mal à
comprendre que nous sommes dans un passage difficile, une crête rocheuse et
très aérienne. Faux pas interdit. Nous progressons excessivement lentement. A
une trentaine de mètres nous trouvons un nouveau bénévole au col de Les Comes.
Il nous indique lui aussi, tout aussi refroidit, que ses collègues nous
attendent un peu plus bas avant un passage difficile. Nous nous engageons sur
une descente de 1300 m
négatif sur 9
kilomètres. Descente très raide, mais ce qui nous attend
de suite l’est encore plus. Voici un bénévole, solide gaillard montagnard qui
nous rassure. Un premier passage en corde, la fameuse dont on nous parlait au
briefing. Grande descente en semi rappel, en arrière, tenant à deux bras la
corde qui glisse sous l’aisselle. Dire qu’ils nous disaient passer en courant.
Je veux le voir quand même ! Les cordes, juste pour nous rassurer. Tu
m’étonnes ! C’est raide pour de vrai ! Un passage avec des chaînes
pitées aux rochers maintenant. C’est un trail qu’on fait là ou un raid ?
Encore une corde…pffiiouuu ! Nous voici à un nouveau col.
Il
paraît que c’en est fini de la partie délicate à partir de là. Mais la première
partie de descente est presque aussi difficile. Denis est devant. Il tombe à
plusieurs reprises, sans dégât. Moi derrière je fais attention du coup.
Impossible de courir, il faut être attentif sans cesse. Et cela dure et dure.
Denis chute et rechute. Lors de l’une d’elle il se marque sérieusement la
hanche. Une branche ayant bien faillit lui rentrer dans la chair. Quelle
difficulté ! On a du descendre 600 mètres D- en à peine 2 km. Un truc de fous. Même
pas la moitié de la descente. J’ai l’impression qu’on irait plus vite en
montant. Un bénévole dit que cela va aller mieux, qu’il reste 5 km. T’as qu’à croire !
C’est pas fini non ! J’en casse même la partie en mousse de la poignée de
mon bâton qui se décolle sous la pression que je lui fais subir. Ma main ne
peut plus tenir que l’acier maintenant. Enfin un sous-bois, moins de pente, on
peut souffler, commencer à trottiner. Peu
avant le hameau d’Aixàs apparaît un panneau « 5 kilomètres ». Nous
n’avons fait que 4km de descente pour 700 D-. Il nous reste 5 km pour 600 D- . Le
bénévole s’est foutu le doigt dans l’œil de juste 2 km…
De
jeunes bénévoles nous indiquent le chemin à prendre. Il est une heure trente du
mat’, ils sont attablés tranquillement avec quelques bières. Ils ont raison
non ? Damned ! Mais il nous faut remonter dans un bois ! On n’y
croit pas, cela veut dire que cela va nous rajouter du D-. Nous passons le
petit col Jovell. Les lumières d’Andorra la Vielle au loin. Nous entrons dans un bois, la
descente redevient vite très pentue sur un chemin étroit, formé de cailloux
acérés sur lesquels il faut calculer nos
pas. Denis a du tomber une bonne douzaine de fois déjà. Mais il faut descendre,
descendre, descendre, en marchant plus que courant. On commence sincèrement à
être entamés. On finit au mental avec deux concurrents revenant sur nos talons.
Les premières maisons, du macadam. Enfin ! Purée que cette descente fut
longue et pénible !
Lolo et papa sont là, un peu inquiets car ayant vu
d’autres concurrents arriver dans un sale état. Nous leur confions sans mal que
la descente tant honnie entre station Aulian et Luz lors du GRP 2010 c’est du
pipi de chat à côté. Nous sommes très fatigués, les jambes, le dos, les bras mâchés.
Nous avons besoin d’un bon repos. Laeti et Anna nous accueillent à 2h45 du mat’
à quelques mètres de la grande salle faisant office de base de vie (Margineda,
km 70). Quel bonheur de voir Laeti. Elle me réconforte, me dit que tout le
monde arrive aussi mal que nous et qu’il y a déjà beaucoup d’abandons. En effet
4 concurrents repartent avec leur sac de base de vie. Trois d’entre eux (2
filles et Sylvain Bazin ultratraileur journaliste aux cheveux longs) étaient avec
nous sur les premiers kilomètres de course. Des ultras qui ont déjà fait le
tour de la Mongolie,
des courses au Népal… Pas des premiers venus quoi ! Ca impressionne, car à
ce rythme les abandons vont se cumuler. Mais ça rebooste dans un sens. Savoir
qu’il reste 100 km
mais que nous avons le mental et le physique pour continuer et essayer
d’avancer encore un peu.
Nous
retrouvons le finisher du Tor, lavé, habillé, abandonné. Il a essayé de
repartir quelques minutes après notre séparation dans la montée du Bony, mais
rien n’y faisait. Plus rien dans le bide, il a renoncé et a été véhiculé ici. Laeti
me donne les derniers SMS d’encouragements qui lui sont arrivés. Nous avons pu
la veille du départ donner le lien à nos amis pour nous suivre sur le net. Dès
le vendredi soir les encouragements des plus émouvants aux plus farfelus ont
afflué. Il y a des amis scotchés à l’écran jour et nuit pour nous suivre. Cela
donne du baume au cœur. Elle me quitte un moment pour réparer la dragonne de
mon bâton. Elle va pouvoir exercer ses talents de couturière même sur un
ultra !
La salle de la Margineda est immense,
très illuminée. Nous squattons dans un angle.
Tout d’abord se restaurer un peu. Puis vite aller se doucher sous une eau chaude qui fait du bien. Mettre des vêtements propres, puis faire de nombreux étirements. Un podologue me soigne une première ampoule à mon petit orteil gauche. Je l’avais fait explosé manuellement il y a quelques heures pour ne pas qu’elle empire. Rien d’affolant, il faut juste la protéger. Les plantes de mes deux pieds commencent à se raviner. C’est mon point faible, j’espère que ça va aller. Je mange à nouveau à sassiété, puis un massage des mollets et des quadris. Je papote avec la kiné qui s’avère être la femme du joueur de cornemuse. Elle me raconte la genèse de cela et moi mon émotion au sommet. Ils rajoutent chaque année un instrument. Comme dit Denis ils vont rigoler quand il va falloir monter le piano.
Tout d’abord se restaurer un peu. Puis vite aller se doucher sous une eau chaude qui fait du bien. Mettre des vêtements propres, puis faire de nombreux étirements. Un podologue me soigne une première ampoule à mon petit orteil gauche. Je l’avais fait explosé manuellement il y a quelques heures pour ne pas qu’elle empire. Rien d’affolant, il faut juste la protéger. Les plantes de mes deux pieds commencent à se raviner. C’est mon point faible, j’espère que ça va aller. Je mange à nouveau à sassiété, puis un massage des mollets et des quadris. Je papote avec la kiné qui s’avère être la femme du joueur de cornemuse. Elle me raconte la genèse de cela et moi mon émotion au sommet. Ils rajoutent chaque année un instrument. Comme dit Denis ils vont rigoler quand il va falloir monter le piano.
Je
vais me coucher un peu pendant que Denis se fait masser. Laeti et Anna vont
partir au chalet se reposer elles aussi un peu. Elles sont rassurées. Papa et
Lolo restent pour nous assister. Je ferme les yeux 30 minutes sur un fin
matelas et une couverture. Malgré celle-ci, mes vêtements longs et ma polaire,
je grelotte. J’ai froid. Réaction physio à la fatigue. Je ne dors donc pas,
mais fermer les yeux fait déjà beaucoup de bien. Pendant que Denis prend du
repos j’en profite pour me restaurer à nouveau et soigner une irritation. Les
vêtements neufs empêchent l’entrejambe de s’irriter, mais c’est le périnée qui
morfle. Avec la transpiration tout s’échauffe. Je badigeonne de crème Nivéa,
mais il reste 100 km.
Allez,
il va falloir repartir. Je jette un œil aux autres concurrents. Beaucoup de fatigue.
Certains n’ont pas d’assistance personnelle et doivent se débrouiller seuls.
Ils sont encore plus valeureux que nous. Nous regardons la feuille de route
affichée sur un mur, qui montre notre progression. Nous avons à attaquer
désormais le col de la
Gallina. Un D+ de 1000 m sur 7 km. Frontale vissée sur la tête, nous partons
à 5h du mat’. 2h15 de pause qui nous a fait un bien fou, nécessaire. Nous
sommes ragaillardis.
La
dernière descente est presque oubliée. Lolo et papa nous encouragent et nous donnent
rendez-vous au col de la Gallina. Leur
attitude est intéressante à voir. Complètement différente de celle du GRP,
comme pour nous. Plus organisée, plus attentionnée, mais aussi plus posée,
moins pressée, plus sereine.
Mais ils semblent comme nous tous très impressionnés par la course. Au moment de partir papa me dit : « Celle là, si vous la finissez… ». C’est dire ! Après seulement 70 km.
Mais ils semblent comme nous tous très impressionnés par la course. Au moment de partir papa me dit : « Celle là, si vous la finissez… ». C’est dire ! Après seulement 70 km.
A la
conquête du second jour
Nous partons sur le macadam, le long de la grand
route du fond de vallée de Saint Julian de Lorià. Les automobilistes nous
regardent un peu interloqués. Forcément, il ya mieux à faire pour eux lors
d’une nuit d’été. Mais nous cela nous convient bien, c’est ce qu’on aime. Des
courses la nuit, c’est juste le bonheur. « Aveuglés » par toutes ces
lumières nous en ratons l’embranchement d’un chemin. Un demi-tour qui nous fait
perdre 2 minutes et nous nous engageons dans un petit sentier le long de la
falaise et des premiers vestiges de vie humaine en Andorre. Les piles de ma
frontale donnent des signes de faiblesse. Je serai bientôt sans lumière.
J’attends Denis au détour d’un chemin, mais il n’arrive pas. Un petit moment de
solitude et de repos dans la douceur de la vallée. Le voilà. Il est reparti trop habillé, a dû se dévêtir et
a bien eu du mal à s’éclairer pour ranger son sac. Il me reproche gentiment de
ne pas avoir été là pour l’aider.
Nous
avons monté un peu, puis devons redescendre. Nous aurions pu continuer par la
route tiens, cela nous aurait évité du dénivelé. Une petite portion de route
vers le village d’Aixovall. Route jusqu’à des bâtiments industriels où nous
prenons à gauche l’ancien chemin de pèlerinage de Canolich. Nous passons un
torrent, tout de suite nous sommes à nouveau en pleine nature, avec le bruit
assourdissant de l’eau qui dévale la pente. A nouveau, droit dans la pente.
J’aurai intégré une nouvelle notion de la randonnée en montagne en Andorre :
le « droit dans la pente ». Je n’ai que très rarement vécu çà en
France où les sentiers sont sinueux, épousant les courbes de dénivelés au mieux
pour éviter un effort trop violent. Même en très haute montagne ici on ne s’embarrasse
pas toujours. Le chemin le plus court est le plus rapide, tout du moins il fait
très vite gagner du dénivelé. C’est en fait assez intéressant, même si il faut
s’y faire. On a vraiment l’impression d’avancer, mais il faut le faire à son
rythme. Bien se caler pour ne pas s’exploser. Et là ça grimpe, ça grimpe.
Vraiment très sec, mais l’on progresse bien.
Le
jour s’élève doucement, avec cette lumière matinale toujours magique en
montagne. Nous pouvons éteindre les frontales, bien avant d’arriver au Collet
Marti et à son refuge où nous attend un bénévole taillé comme un bucheron. Nous
venons de faire 500 m
D+ en 3 km.
Le bois où nous sommes est très agréable, avec parfois de jolies vues en
contrebas et sur les montagnes proches que nous venons de passer. On aperçoit
nettement d’ailleurs la gaillarde descente qui nous amenait à la Margineda. En effet, le
dénivelé est impressionnant ! Nous sommes maintenant sur une piste assez
large où la pente s’est bien adoucie. Nous nous posons 5 minutes pour manger un
peu et souffler.
Et
c’est reparti pour le col, tous les deux, seuls au milieu de cette jolie
nature. Quel bonheur ! Nous arrivons à une route qui me fait penser à des
routes prises dans les parcs nationaux américains. Nous reprenons un sentier
étroit assez raide. Nous apercevons papa au milieu des sapins idéalement placé
pour faire de jolies photos.
Hop
nous revoilà sur la route où Lolo est posté, à une centaine de mètres du col de
la Gallina
(alt 1910 mètres).
Deux volontaires sont confortablement installés devant leur camping-car pour
nous biper. Lolo nous dit qu’il vient de voir passer un mec un courant à toute
allure. Il s’agit en fait de contrebande de cigarette vers l’Espagne. Nous
sommes à quelques encablures de l’Espagne et les contrebandiers transportent
leur marchandise en faisant du trail. Ils allient l’utile à l’agréable…
Il est 7h40 la lumière est superbe et il fait doux.
Nous sommes frais et heureux. Nous pouvons entamer la descente par une jolie
piste, passons devant de belles prairies de fauche et de superbes fermes.
Nous doublons 4 concurrents car nous sommes bien et
pouvons courir au travers de prairies et de boisements. Depuis que nous avons
quitté la base de vie nous nous régalons de paysages splendides. Nous en sommes
à 24 heures de course, et atteignons les 80 kilomètres. Sur le
GRP nous avions fait 100 km
dans le même temps, sur un terrain de jeu plus facile. Nous trottinons toujours
pour atteindre le village de la
Fontaneda.
Le
soleil est là. Il a beau être 8h30 du mat’ je sens qu’il va faire chaud
aujourd’hui. Je veux donc en profiter le plus possible pour avancer tant qu’il fait
frais. Le village est bien mignon et nous nous arrêtons à la fontaine en pierre
pour nous abreuver d’eau fraîche. L’épouse d’un concurrent dort dans sa voiture
et ouvre les yeux à notre arrivée. Elle a la gentillesse de nous adresser un
« Allez les Renards ». Nous nous suivons à distance avec son homme,
mais même si nous ne savons pas qui il est, une relation à distance s’est nouée,
avec lui et sa compagne. Denis a mal à son genou depuis de très nombreux
kilomètres. Il sort son téléphone portable et appelle son kiné, pour un conseil
sur les étirements à faire pour se soulager. Je le chambre en lui disant
« tu crois qu’il a que çà à faire un samedi à 8h30 du mat’ ? ».
Mais ils se connaissent bien et cela ne devrait pas poser de problème. Sauf
qu’il ne répond pas.
Nous
partons dans les petites ruelles empierrées, finir notre descente. Partout ici
aussi de magnifiques potagers superbement entretenus par les andorrans. Les
zones en terre arables sont si rares que ceux qui peuvent font leurs jardins.
Tomates, patates, courgettes, poivrons à profusion. J’en suis jaloux, je n’ai
jamais réussi de potagers si beaux ! Nous apercevons deux concurrents se
trompant dans un chemin en s’enfonçant dans un champ. Nous les sifflons mais
ils ne nous entendent pas. Nous trouvons les fanions rouges et filons, ils
retrouveront eux-mêmes leurs pas.
La
civilisation se fait sentir à proximité de St Julià de Loria. Quelques déchets
dans les ravins, à l’arrière des basses-cours. L’Andorre ne nous avait pas
habitués à cela. Nous sommes à flanc de falaise, surplombant la grande route
qui traverse tout le pays. Son agitation et son bruit nous agressent. Nous n’y
sommes plus habitués. Au loin un Mac’Do. Je propose à Denis d’y rentrer, juste
pour croquer dans un big mac et faire dégouliner sur nos lèvres de la sauce
bien grasse et salée. On a très envie de manger salé, mais finalement nous
tombons d’accord sur des œufs au plat avec du jambon. Bas de la côte, arrivée à
St Julià, où nous attendent papa, Lolo et deux bénévoles.
Il est 9h05, 85 km, altitude 890 mètres, point le
plus bas de la course. Nous voilà à la moitié du parcours, seulement la moitié,
en 25 heures. Papa et Lolo vont aller acheter des nouvelles bandes élasto pour
les pieds. Les pharmacies devraient être ouvertes. En effet une de mes boîtes
est de déplorable qualité. Prochain rendez-vous dans trois kilomètres et 700 mètres D+. Ils
pronostiquent un parcours en 1h15/1h20. Je leur dis qu’en max une heure on y
est.
Nous
longeons la route sur 200
mètres, le temps de voir huit jeunes gens sortir d’un
café, manifestement pour une fin d’enterrement de vie de jeune garçon vu la
tenue de l’un d’entre eux. A l’arrêt de bus suivant sont assis deux concurrents.
Ils abandonnent ici, nous encouragent d’un signe de la main, attendant un bus
pour les ramener à Ordino. Nous doublons un concurrent espagnol en pleine
conversation avec sa douce lui relatant sa course de nuit, et nous voilà partis
à remonter sec. Il n’est que 9h mais il commence à faire bien chaud. J’ai le
pressentiment que je vais souffrir de la chaleur aujourd’hui, et ce n’est pas
une bonne nouvelle.
Nous
traversons le magnifique village médiéval d’Auinyà. En pierre de la route aux
cheminées, d’une beauté surprenante, subjuguante. Goût et détails
architecturaux nous évadent l’esprit quelques secondes. Nous repartons dans cette
forte pente, au soleil. Je dis à Denis que je rêve d’une source ou d’un tuyau
pour m’arroser et me désaltérer. Il fait 100 pas et se retourne d’un air ravit.
Une source jaillit à notre gauche, il n’y avait qu’à demander ! Nous nous
aspergeons abondamment tous les trois. Même les ibères ont chaud, c’est
dire ! Nous rentrons dans un petit bois, pente très forte mais cela sent
le ravito. En effet à 10h01, km 89, voici le restaurant de Coma Bella. 55
minutes pour y arriver, on a gagné notre pari sur papa et Lolo.
Cadre
idyllique, pelouse et sous-bois pour un ravito complet sous tente, sauf que le
resto nous tend les papilles. Trois nouveaux concurrents sont en train
d’abandonner. C’est l’hécatombe. Je me demande sérieusement combien il y aura
de coureurs à l’arrivée. Je me demande jusqu’à où je vais pouvoir aller. Il
nous reste plus de 80
kilomètres. 80 kilomètres ! Et dans l’état où je
suis ! Mes muscles et ma tête vont bien, je suis motivé. Mais mes pieds
commencent à souffrir. Il est difficile d’aller au-delà de la douleur à chacun
de mes pas. De l’oublier. Autant en montée cela va bien (et je commence à aimer
ces dures montées), mais sur le plat et les descentes c’est très difficile. Et
il reste pas loin de 100 000 pas à faire pour arriver ! L’envie de continuer
est là mais c’est surtout l’envie de savoir où je serais dans 24h qui me
taraude. En train de terminer ou ayant abandonné ? Je suis dans
l’incertitude complète. Je n’ai jamais pensé à l’arrivée encore, juste pensé
aux quelques kilomètres qu’il y avait devant. Avancer et l’on verra ensuite.
Notre prochain objectif est de revoir toute la famille dans quelques kilomètres
à Certès, au kilomètre 100.
Nous
nous restaurons à nouveau : soupe, vermicelles, fromage, boisson Aquarius…
Nous rejoignons la voiture de papa où je découpe des bandes de strap pour me
refaire les pieds et en avoir en stock dans le sac. Les crevasses sont là sous
les pieds, les extérieurs des talons souffrent aussi, ça ne va pas aller en
s’améliorant. Denis arrive à joindre son kiné pour ses étirements. Il lui parle comme s’il était en train de
faire un entraînement. Il me tue ce Denis. Il est encore fringuant, même si je
sens poindre un peu de fatigue tout de même. Peu de coureurs arrivent pendant
notre arrêt de 30 minutes.
Nous
repartons pour un bout de route puis en s’enfonçant verticalement dans un bois.
L’ombre fait un bien fou. Nous cheminons tranquillement jusqu’au camp Naturlandia,
base de loisir immense où nous avions passé une super journée en famille il y a
quelques jours, avec notamment la plus longue luge d’été d’Europe. Nous
redescendons par la route en trottinant et en cherchant l’ombre. Les quelques
voitures qui nous croisent doivent halluciner. Puis nous retrouvons le bois
pour une descente agréable, en passant quelques maisons perdues dans la
montagne et des chiens gardant un troupeau de vaches. Un concurrent est arrêté
à un croisement de chemin. Il nous demande quel est le plus court chemin pour
retrouver la civilisation, il veut abandonner. Un de plus qui n’a plus de jus
mental ou physique. Je lui indique la route, étant passé par là il y a quelques
jours.
Nous
prenons un magnifique chemin avec peu de pente qui fait le tour du vallon du
Riu Aubinya, avec des vues magnifiques sur la vallée de St Julià en contrebas.
Des ruines et des falaises ponctuent le chemin, en restant assez ombragé. Mais
le soleil est bien là et nous ne sommes pas haut en altitude (1400 mètres). Je suis
donc en train de cuire. Il me tarde de prendre de la hauteur pour en théorie
retrouver un peu de frais. Le sommeil est en train de me tomber dessus.
J’éloigne cette idée pendant quelques minutes, mais il faut que je m’y fasse.
J’ai envie de me poser pour une petite sieste à l’ombre. Mais je n’ai pas envie
de retarder Denis et de faire attendre la famille. Je serais tout seul je
m’arrêterai, mais là la décision est toujours difficile à prendre. Ne pas
vouloir « léser » les autres si je m’arrête. Et puis j’ai en souvenir
mes deux heures difficiles au GRP où le sommeil s’est ensuite envolé. Je prends
la décision de continuer un peu jusqu’à Certès, et en parle à Denis. Il me dit
qu’il a du RedBull dans la voiture si besoin est. Je verrai bien.
Nous
voilà à faire des circonvolutions de chemins autour d’Aixirivall et St Julià.
Ce GR 7 n’en finit pas. Nous voilà maintenant au milieu de champs de tabac
qu’on arrose. On est en plein soleil, pas un pet d’ombre. On rame en marchant.
Il fait chaud. Encore un tour de vallon, le moral en prend un coup. Je nous
croyais bien plus près que cela de Certès. Dur, dur. Je passe en mode psycho à
fond. Nous retrouvons papa et Lolo juste avant une jolie cascade dans laquelle
nous nous rafraîchissons. Enfin Certès que nous traversons, la famille est un
peu plus loin. Les « allez les Renards » viennent des compagnes des
autres coureurs. Je craque pour le RedBull, même si c’est contraire au
règlement (assistance hors zone), j’en ai trop besoin.
Nous
voici au Cami de Manyat où tous les USDR sont réunis.
De là, la vue sur tout le cheminement que nous avons fait pendant la nuit est spectaculaire. Tout autour de St Julià les montagnes quasi verticales, leurs forêts et pentes ardues. Dire que nous sommes passés par là cette nuit. Et qu’il ne s’agit là que d’un petit bout du parcours. Cela reste spectaculaire de voir quelle progression on peut faire en peu de temps, même sans courir sans cesse, avec notre modeste niveau. Laeti m’accompagne sur un bout de route et nous retrouvons les petits USDR dans leur tenue de la Ronda. Anna nous filme, Carole et Matthieu sont là aussi. Pierre, Léa et Elio en pleine forme. Marjo au taquet. C’est chouette ! Vraiment chouette ! Cela fait un bien fou, car nous ne les verrons pas avant un moment. Nous enquillons tous ensemble un magnifique escalier empierré assez pentu. Ils auront fait une partie du chemin avec nous.
De là, la vue sur tout le cheminement que nous avons fait pendant la nuit est spectaculaire. Tout autour de St Julià les montagnes quasi verticales, leurs forêts et pentes ardues. Dire que nous sommes passés par là cette nuit. Et qu’il ne s’agit là que d’un petit bout du parcours. Cela reste spectaculaire de voir quelle progression on peut faire en peu de temps, même sans courir sans cesse, avec notre modeste niveau. Laeti m’accompagne sur un bout de route et nous retrouvons les petits USDR dans leur tenue de la Ronda. Anna nous filme, Carole et Matthieu sont là aussi. Pierre, Léa et Elio en pleine forme. Marjo au taquet. C’est chouette ! Vraiment chouette ! Cela fait un bien fou, car nous ne les verrons pas avant un moment. Nous enquillons tous ensemble un magnifique escalier empierré assez pentu. Ils auront fait une partie du chemin avec nous.
Autour de nous de jolis
baraques.
Je dis à Denis que si
notre chalet était là, je m’arrêterai y faire une sieste, quoi qu’il en dise.
Nous nous arrêtons tous à
l’ombre d’un chêne, pour souffler, évacuer la chaleur et faire quelques étirements.
Lolo fait des massages à
Denis allongé sur un banc.
« Le coccyx fêlé masse avec son coude le cul de Denis » comme il dit. Et ça à l’air de lui faire du bien. Les filles nous donnent de l’eau fraîche. On a juste une assistance royale !
« Le coccyx fêlé masse avec son coude le cul de Denis » comme il dit. Et ça à l’air de lui faire du bien. Les filles nous donnent de l’eau fraîche. On a juste une assistance royale !
Ils
nous demandent comment ça va. Nous essayons de les rassurer, malgré nos petits
bobos et notre fatigue. Il est 13h passées et nous ne les verrons pas avant ce
soir au Pas de la Case. En
effet nous allons maintenant prendre de l’altitude et nous engager dans le Val
del Madriu, parc naturel déclaré patrimoine mondial par l’UNESCO. L’un des
autres points forts de notre route, qu’il me tarde de découvrir. Nous avons
d’ailleurs récupéré la caméra pour y faire des images. Mais cette zone sud du
pays, frontalière avec l’Espagne, est très sauvage et personne ne pourra venir
nous y retrouver sans plusieurs kilomètres de marche en montagne.
Cette
petite pause a fait du bien mais il nous faut repartir. 2-3 concurrents sont
passés, dont notre ami 21. Je simule une crampe pour essayer d’avoir une
sieste. Je fais quelques mètres à fond en courant pour faire rire la troupe. On
a le moral. Nous repartons dans le sentier avec un dernier au-revoir aux USDR,
qui nous encouragent de leur « Vamos Zorros » et autres « Allez
les Bisounours ».
Val del Madriù. Une beauté, une souffrance
S’engager sur ce chemin, c’est désormais avoir
l’assurance d’avoir la volonté et la capacité de rejoindre le Pas de la Case, à 31 km de là, soit environ 7
heures de course. En effet les abandons aux refuges de Prat Primer ou Pla de
l’Ingla ne seront pas aisés.
Nous
arrivons rapidement auprès de deux bénévoles qui ont quelques fruits secs. Un
ravitaillement plus conséquent ici n’aurait pas été du luxe, avant la prochaine
grande difficulté. Ils nous pointent et nous en profitons pour leur demander
l’heure de passage des premiers. Ils sont passés après 1h du mat’, soit il y a
plus de 12 h maintenant. Waouh ! Ils ont donc fait leurs 100 premiers
kilomètres en 17 heures. Mais nous au moins nous pourrons profiter du Madriu de
jour. Le bénévole me demande pourquoi je n’ai pas de chapeau avec ce soleil. Je
lui réponds que je préfère avoir la tête nue pour pas que ça chauffe sous la
casquette, et que j’attends la forêt pour être à l’ombre. Il m’indique qu’il
n’y aura pas d’ombre dans les prochains kilomètres, même en montant. C’est bien
ma veine ! Je sors la casquette alors.
Nous
arrivons au Km 101 aux Cortals de Manyat, de jolies bergeries, où nous
rejoignent les concurrents de la
Mitic (eux sont arrivés de la base de vie de la Margineda directement
ici). Les concurrents ne vont pas plus vite que nous et semblent même plus
épuisés. Nous sommes moins seuls maintenant, même si il n’y a pas foule non
plus, mais toujours quelqu’un en visuel. La pente est forte, nous traversons
prairies et micro forêts. On s’élève, mais toujours pas d’air frais. Boire,
boire et reboire. Jolis paysages autour et en contrebas. Un petit col dénudé
d’où la vue est superbe. Nous nous asseyons 3 minutes à l’ombre pour récupérer
et s’alimenter. Nous repartons ensuite sur un sentier vallonné, assez plat qui
s’élève lentement dans la forêt. A nouveau une zone plate et nous atteignons le
refuge de Prat Primer.
Le
gros de cette montée de 1150
mètres D+ est quasiment avalé à ce km 105. Nous sommes à
2240 mètres
d’altitude, il fait un poil moins chaud, il y a un peu d’air. Quelques
randonneurs à ce refuge nous regardent passer. Juste un petit ressaut de D+300m
pour arriver au col du Boug Mort sur une pente herbeuse puis un sentier
pierreux. Il y a pas mal de Mitics en vue, c’est motivant, mais peu de Rondas.
Très jolie vue du col, sur un paysage très pierreux ou herbeux. Nous changeons
complètement d’atmosphère. Retour en haute montagne, dans un paysage de Sierra.
J’allume la caméra sur la tête de Denis…qui s’éteint aussitôt. Je vérifie le
sens des piles, tout est OK. Non ! Les piles sont mortes. On va se
trimballer la caméra pour rien !
Descente
pentue au début où nous pouvons trottiner, mais avec peine au vu de l’état de
mes pieds. La pente s’adoucit et nous arrivons sur l’herbe. Trois Mitics nous
posent des questions sur le parcours. Nous sommes en mal de répondre car
différent du notre. Ils n’en reviennent pas de ce que nous faisons. Ils
trouvent que ce qu’ils font est déjà un truc de malade, en train qu’ils sont de
se battre avec les barrières horaires. Il nous disent ne pas pouvoir imaginer
ce que représente notre effort supplémentaire, que nous sommes « des
grands », et nous tirent leurs chapeaux. C’est gentil c’est motivant, même
si l’on trouve qu’ils sont bien valeureux eux aussi d’être là. Ils nous
tiennent compagnie quelques centaines de mètres jusqu’au refuge de Claror.
Je
m’y arrête pour refaire les pansements. Les pieds sont vraiment en mauvais
état. Ca y est ils sont dans le dur ! Quelques Mitics passent. Nombreux
sont ceux qui pensent que le ravito est là, éreintés qu’ils sont et en manque
d’alimentation. Je leur explique qu’il reste encore 3 km relativement plats à
faire avant le refuge. Nous cheminons sur ce sentier agréable mais il nous
tarde le ravito. Apparaît un petit lac magnifique (l’Estany de la Nous) dont certains disent
qu’il est le plus beau d’Andorre. Vraiment splendide, tel un lac des parcs
nationaux américains. Eau limpide turquoise, prairies alentour, conifères sur
les berges et la montagne tout autour. Je dis à Denis que je nous verrais bien
bivouaquer pour une nuit ici avec la tente et un feu de camp. Que ce coin est
agréable. Depuis plusieurs kilomètres nous en prenons plein la vue, l’entrée
dans le parc national est à la hauteur de sa réputation.
Petits
passages délicats dans des tourbières d’altitude et petits ruisseaux, pour ceux
comme nous qui veulent éviter de se mouiller les pieds. Voici enfin le refuge
de Perafita. Malheureusement en plein soleil mais un bénévole prend soin de moi
pour me ravitailler. Ils sont vraiment formidables. Toujours à nous encourager,
nous aider. Un concurrent québécois de la Ronda va abandonner, il boîte bas. D’autres de la Mitic sont mal également,
ils vont redescendre dans la vallée. Ce chemin paraît si facile, se laisser
tenter par un abandon, descendre vers la civilisation, douche, repas, repos…
Mais
nous nous repartons pour un D+ de 250 mètres jusqu’au col de la Maiana. Première partie
montante très rude dans un bois, puis la pente s’adoucit. Nous y rattrapons les
trois Mitics qui nous disent encore que nous sommes des champions et nous
encouragent. Au col nous avons en contrebas la Valla del Madriù, du nom de la rivière qui est au
fond de la vallée. Le paysage est fantastique. Il vaut le coup d’arriver jusque
là. Un immense bonheur visuel. Que de beauté l’Andorre nous offre ! Mais
aussi que de difficultés ! Tout autour des montagnes en haut toutes
minérales, plus bas très arborées en résineux. Comme depuis le départ beaucoup
de fleurs partout. La saison idéale en somme. Ici nous battons un nouveau
record, celui du D+ cumulé. Les 10 000 m du GRP 2010 sont dépassés. Plus
que 3000 pour cette course…
Nous engageons la descente. Malheureusement il n’y
a plus de mouvement d’air dans ces vallées enchâssées. La chaleur reste. Je
commence à vraiment souffrir. Le corps, la tête montent en température, j’ai
beaucoup de mal à évacuer ce trop plein de chaleur, même en buvant. Ca va mieux
juste quelques minutes quand on trouve un peu d’eau pour s’en mettre sur la
tête. La descente est belle mais j’ai du mal à en profiter. Replat du fond de
vallée.
Nous
avons désormais 6 kilomètres
à faire en montée avant de trouver le prochain ravito et le prochain col. Cela
commence dans une jolie forêt, le long du Madriù. Vraiment très beau, mais je
suis dans le dur à cause de la chaleur. Je repasse en mode psycho. Je ne
regarde plus à l’extérieur, même pas un sourire aux 6 vététistes de descente
qui nous croisent et qui ont l’air de bien s’éclater. Même pas un regard aux
multiples cascades de cette rivière. Même pas un arrêt pour contempler des
plantes que je ne connais pas. Je me laisse aller au rythme de Denis, qui
s’adapte à ma déficience. J’en suis depuis quelques kilomètres à penser à tous
ceux qu’il nous reste à faire. A me demander comment je vais pouvoir les
passer, un à un. Ces kilomètres me focalisent l’esprit, me mangent le cerveau.
Je ne pense qu’à çà. C’est certainement que je suis très motivé, ou alors
complètement maso de cette course. Je n’arrive que peu à m’en défaire depuis ce
matin. L’esprit a du mal à divaguer ou alors seulement aux ravitos ou quand les
USDR sont là. Je ne vais pas pouvoir continuer comme çà encore 56 kilomètres. Faut
que je déconnecte !!! Alors j’y arrive en me forçant à penser à certains
des plus agréables moments de ma vie, à penser à des personnes ou à des situations
complètement étrangères au monde de l’ultra et du sport en général. Et j’y
arrive pendant une heure et demie, c’est déjà ça de gagné. Certaines personnes
ont pu m’aider de façon bien passive sur le coup, et je trouve çà bien
cool ! Bon, en tous cas je commence à mal supporter la longueur de cette
section. En plus mon entrejambes chauffe grave. Ce qui me rassure c’est que
celui de Denis aussi. Vivement le « crêmage »…
Une
grande ligne droite dans cette belle prairie, on attaque la section un peu plus
minérale. On croise une famille tirant un âne en rando. Ils connaissent bien le
coin et nous annoncent le refuge à 3 kilomètres. J’ai le sentiment que les 500 D+
annoncés sont déjà dépassés. J’ai le sentiment que les 6 kilomètres ont les
a déjà faits ! Je ne comprends plus rien ! Bon baisse la tête, tais
toi, et grimpe ! On pousse sur les bâtons, on avance les pieds, on
s’alimente. Plus d’arbres pour nous abriter. On est en fin de journée mais la
chaleur est toujours là pour moi. Je dois m’arrêter à l’ombre d’un rocher. Je
n’en peux plus, il faut que la cocotte-minute s’ouvre. J’enlève mon sac et mon
t-shirt, pour évacuer toute la chaleur. Je suis limite en hyperthermie. Je n’ai
pas besoin d’un long arrêt. Au bout de 3 minutes on peut repartir, dans les pas
d’un autre Ronda. Denis va bien lui, avec des pointes de fatigue de temps en
temps, mais pas de souci de chaleur (c’est un lézard) ou de pied (c’est un
extra terrestre). Seul son genou tire beaucoup. Il faut maîtriser la douleur.
On
arrive à un premier replat. Le refuge n’est pas là. On arrive à un second,
toujours rien, sauf un superbe lac en cours de comblement. Un troisième, pas là
non plus. Et ça va bien oui ! Y a erreur dans le roadbook là ! On a
bien plus que 500m D+. La section d’approche le long du Madriù ne doit pas être
prise en compte, c’est pas possible ! Bon, en tous cas les lumières sont
superbes, le coin aussi. Encore de belles zones de bivouac par ici. Allez, on
continue cette section qui n’en finit pas. Un nouveau petit col…aahhhhh…le
voilà le refuge de l’Ila. Un vrai joli petit refuge de montagne, posé dans
du caillou. Quelques coureurs sont en train de « poser une pêche »
au-dessus dans les rochers. Ca donne une vision assez surréaliste de loin. On
se fait biper, quel plaisir de retrouver les bénévoles ! Nous sommes à
près de 2500 mètres
d’altitude. Kilomètre 118.
Vers l’inaccessible
Je laisse mon matos dehors et vais m’engouffrer
dans le petit refuge. Assis, crevé, je mange et bois beaucoup. Un grand besoin
d’une jolie pause et de repos. De faire le point, de rebooster la machine. Dans
le dortoir à côté quelques lits superposés. Je m’allonge sur l’un d’entre eux,
au milieu des tapis de sols et duvets des valeureux bénévoles. Les pieds nus,
défaits de leurs straps pour les faire respirer. Les jambes en l’air, le dos
bien à plat. Je souffle vraiment. J’essaye de faire le vide, de faire le point,
puis de me remobiliser. Je ne vais pas pouvoir partir de suite et le dis à
Denis. Faire un bon break de 20 minutes.
Je
lui propose de partir en solo vers le Pas de la Case où nous nous retrouverons. Il me répond.
« Mais qu’est ce que tu veux que je fasse ?». En gros, je vais m’ennuyer
tout seul. Il se fout d’avancer, il veut qu’on soit ensemble. Que répondre à
cela ? Rien. Ca ne sert à rien. Nous sommes inséparables. Mon Denis est
unique et formidable dans ces moments là. Quel bonheur de partager encore avec
lui ces moments si particuliers, riches et variés de l’ultra. Moments de
bonheur, de béatitude, de contemplation, mais aussi de doutes, de souffrances,
d’errances. Bien évidemment nous ne vivons pas et ne sentons pas la course de
la même façon. Mais nous la vivons pleinement à deux, jamais seuls, toujours,
même inconsciemment, épaulés. Et puis nous connaissons nos habitudes de
courses, nos rythmes respectifs, avons de moins en moins besoin de nous parler
pour nous comprendre. Les diverses expressions de nos corps et de nos visages
dans l’effort nous sont si familiers, que nous savons sans peine dans quel état
physique et psychologique est l’autre. Avec tout ça nous aurions bien du mal à
envisager un ultra l’un sans l’autre désormais.
Denis
prend donc son mal en patience, mais ce repos ne lui fera pas de mal non plus.
De mon côté je me restrappe les pieds et me demande bien comment ils vont même
pouvoir tenir jusqu’au Pas de la Case. Un
bénévole parle de l’heure qu’il est : presque 20h. 20 h !!! C’est pas
possible ! Mais dans une heure nous devrions être au Pas de la Case, alors qu’il reste
encore 13 km
et 520 D+ ! Mince, à quelle heure va-t-on arriver ? Pas avant 23 h à
notre rythme ! Et la famille qui va nous attendre ! Comment vont-ils
s’organiser ? Et les petits pour dormir ? Toutes ces inquiétudes me
perturbent. Un peu pour nous car je vois nos estimatifs exploser et le temps de
course qui va s’allonger. Mais surtout pour eux. Nos USDR si vaillants mais que
l’on met à rude épreuve. Les pauvres ! On va les user là ! Allez, ne
pas y penser, penser d’abord à moi. Je me concentre en laçant les chaussures,
en me relevant, en prenant un dernier en-cas
et en rechargeant mon camelback d’Aquarius. Oublier ce qui est derrière. Voire
devant, juste la prochaine étape, jusqu’au Pas de la Case. Ca ne va pas être
facile, on le sait, avec une bonne partie de nuit, et le froid qui nous saisit
en sortant, après être restés quelques dizaines de minutes inactifs. Nous
repartons, tous les deux, sous les encouragements des bénévoles. Ainsi va
l’ultra !
Une petite montée d’un kilomètre pour repartir,
nous mettre en jambes, et nous faire admirer le beau lac de l’Illà au-dessus du
refuge. Ici se séparent les routes du Mitic et de la Ronda. Nous nous trouvons à
nouveau seuls au Port de Vall Civera. Devant nous un panorama à couper le
souffle sur le Val du riu de la
Closa en contrebas et la Serra de Coma Ermada devant nous. Vue agrémentée
d’un soleil couchant donnant de superbes lumières.
Nous
basculons dans une forte descente sur un chemin rocailleux. Nous serons en
Espagne pendant 7
kilomètres. La pente s’adoucit. Nous trottinons sur un replat
herbeux puis une forêt plus pentue le long d’un torrent. Le paysage est
vraiment splendide. J’en profite car la nuit va bientôt tomber. Je peine un peu
à avancer néanmoins, tant à cause des pieds que de fatigue générale. Denis part
devant et je ne l’ai parfois plus en visuel. Depuis le départ je n’ai pas
encore pensé à l’arrivée finale à Ordino. Bien trop loin à mon esprit, bien
trop hypothétique à mon physique, bien trop d’étapes à franchir avant. Dans
cette descente je commence à me l’imaginer, comme à la recherche d’un phare en
pleine tempête. Etrangement dès que j’y pense, les larmes me montent aux yeux.
Je dois penser à autre chose pour ne pas craquer complètement. Cet objectif me
paraît pourtant si difficile encore. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer
plus loin sur le chemin. Mais mon esprit semble avoir besoin d’y penser. J’y
retourne…je pleure à nouveau… Allez stop, ça suffit. Partons sur autre chose.
Nous
arrivons au bout d’une heure à la cabane dels Esparvers, marquant la fin de la
descente mais surtout une nouvelle bifurcation importante sur notre parcours.
Nous partons désormais plein nord, c'est-à-dire vers Ordino. Psychologiquement
ce n’est pas anodin. C’est parti pour 6 kilomètres et 500 D+
qui doivent nous amener au dessus du Pas de la
Case. Nous sommes au fond de la vallée
d’Engaït, remontant le long de son petit ruisseau. La pente est moyenne mais
notre rythme n’est pas élevé. De l’eau fraîche coule des sources et torrents.
J’ai très envie d’en boire mais je ne sais pas si il n’y a pas des animaux en
estive pus haut. Et je veux éviter une quelconque contamination fécale.
J’attendrai. J’évite aussi de marcher dans les nombreuses parties humides du
chemin pour préserver mes pieds. Denis est à plus de 100 mètres devant moi
maintenant. Nous sommes entre chien et loup, bientôt ce 2° jour de course ne
sera plus.
Ce
vallon semble très long, légèrement en courbe, et je n’en vois pas la fin. Je
m’imagine des portes de sorties par les différents cols que j’aperçois, mais
ils me paraissent tous trop hauts. Quelques vaches paissent sur notre parcours
et nous regardent avec condescendance. Je commence à ne plus voir les fanions,
et me fi à un concurrent que Denis vient de doubler qui a allumé sa lumière
rouge arrière sur son sac. Denis m’attend plus loin, presque au fond du vallon.
Tous les trois, sans une parole, nous ajustons nos frontales et nous restaurons
un peu. Je suis interloqué car persuadé d’avoir déjà fait les 500 D+ annoncés.
Je pensais à ce point voir les lumières du Pas de la Case en contrebas. Or rien de
tout çà. Autour de nous juste des montagnes et des pics, pas de signe de col.
Je lève la tête et voit une lumière au loin, au-dessus. Un Ronda est en train
d’avancer dans la pente raide ! J’y crois pas, on n’est pas encore au
col ! Mais je suis persuadé qu’on les a avalé ces 500 D+ là ! C’est
pas possible ! Je suis déconfit et furax ! Il me semble que les
distances et dénivelés ne sont pas en concordance avec le road-book ! Et
cela fait deux fois que çà nous arrive. (Pourtant elles le sont, comme je
pourrais le vérifier à l’issue de la course, mais l’état de fatigue déforme la
réalité. En outre je n’avais pas bien mémorisé cette partie de la course et les
difficultés à venir avant le Pas de la
Case m’étaient ainsi « voilées »). Je commence à
pester contre l’organisation.
Allez,
Denis se remet en tête, avec sa méga frontale made in Eric (merci
l’ami !). Lumière suffisamment puissante pour éclairer notre chemin de
pénitents et nous montrer la voie. Et c’est du…droit dans la pente, comme
d’hab’. Le vent s’est levé ici, apportant son froid (mais nous avons depuis le
refuge remis les coupe-vent) mais aussi son lot de fanions penchés ou tombés
dans l’herbe. Parfois pas facile de trouver son chemin, mais nous connaissons
maintenant les finesses des chemins andorrans et avançons tout en refichant
dans le sol quelques fanions. Sur notre gauche une horde de chevaux s’est
regroupée pour la nuit. Trois mâles se défient à coup de ruades, de galops, de
coups de sabots. Certaines joutes sont très violentes et les hennissements
raisonnent dans les montagnes, amplifiés par le vent. Le bruit sourd des sabots
contre les rochers ou la chair de l’adversaire est impressionnant. Nous
montons, montons. Le Ronda en notre compagnie lâche peu à peu. Nous arrivons au
col de Portella Blanca, à 2516
mètres d’altitude, kilomètre 126. Je n’ai pas le
road-book en tête. Je suis persuadé qu’ici commence la descente vers le Pas de la
Case. Non ! Cruelle désillusion. C’est
un vent super violent qui nous accueille, qui nous fait presque vaciller. Un
truc de fous. Nous sommes ici exactement à la frontière entre la France, l’Espagne et l’Andorre,
vers laquelle nous retournons. Mais d’abord petit passage en territoire
français, dans un vent terrible, sur un replat relatif où il nous est
impossible de courir. Nous sommes courbés pour lutter. Un mirage apparaît !
Une tente bien ballotée, avec deux bénévoles enfouis au fond. Nous faisons mine
de nous engouffrer avec eux pour nous protéger. Mais qu’ils sont courageux de
nous attendre ici avec ces conditions. Ils vont rester ici quelques heures,
complètement inactifs, à subir le froid et le vent. Merci à vous tous valeureux
bénévoles. Cette course ne serait rien sans vous !
Nous descendons légèrement, arcboutés pour avancer.
Tout est noir autour. D’un coup quelque chose d’immense bouge à côté de
moi ! Je sursaute du chemin ! Je tourne la tête ! Il s’agit du
lac Negre, que je n’avais même pas vu. Le vent est si violent qu’il forme des
vaguelettes progressant à la surface. Il aura réussi à me faire peur. Nous sommes
au fond d’un nouveau cirque, ne pouvant éviter la zone humide du fond du lac
pour avancer. Mes pieds prennent un peu. Tout autour des versants
abrupts ! Vers notre droite une petite lumière. Il faut encore
monter ! Et c’est reparti pour un sacré raidillon ! J’y crois
pas ! J’espère de tout mon cœur que c’est le dernier, que le Pas de la Case sera en vue de là-haut.
Heureusement oui, voici le col des Isards ! Nous allons rebasculer côté
andorran. Mais la joie est de courte durée. Le Pas de la Case semble si loin en
contrebas et la pente bien raide pour y arriver. J’ai entendu un coureur au
dernier refuge en parler, avec pas que des bons souvenirs.
Nous
avons à faire 3
kilomètres de descente pour un D- de 470 mètres. Rien
d’affolant en théorie, sauf que le terrain est impraticable. Des rochers, des
blocs, des marches, des cailloux fuyants. Nous avançons mètres après mètres,
très très difficilement pour ma part. Denis est à peine plus à l’aise et arrive
à me prendre quelques longueurs. La pente est bien raide. Après plusieurs
minutes je fais le constat qu’on a du descendre d’à peine 50 mètres ! Je
lève la tête. Le Pas de la Case
me semble à l’autre bout du monde. Quoi que, il y a pire ! Plein nord des
éclairs lézardent le ciel. Le ciel semble beaucoup plus sombre. J’ai l’impression que cela se passe du côté
d’Ordino. Non ! Pas l’orage ! Si il y quelque chose qu’il faut bien
éviter en montagne c’est l’orage. La pluie, le vent, le froid on s’y fait. Mais
l’orage est bien plus dangereux.
Nous
continuons. Denis est affolé par cette descente qu’il qualifie d’abyssale.
L’impression de s’enfoncer vers les lumières vives des créatures des grands
fonds marins. Une impression d’inaccessibilité, renforcée en cela par son genou
qui le fait terriblement souffrir.
Je
me mets à imaginer que si il y a de l’orage la course va être neutralisée, voir
arrêtée pour les non-arrivants. Je ne doute pas que les organisateurs prendront
cette sage décision. Et d’un côté cela m’arrangerait peut-être, car je n’en peux
plus. Mes pieds agonisent, mon genou me fait souffrir, ma tête n’en veut plus.
Descendre, encore descendre. Mais comment vais-je arriver en bas ? D’un
coup je hurle dans le vent. C’en est trop. Cette descente de merde qui ne sert
à rien, ces organisateurs qui par deux fois nous ont floué dans les distances
et les dénivelés (ce qui est faux, pardon d’avoir pensé cela), cet orage qui m’inquiète,
cette putain de frontale dont les piles sont déjà à l’agonie ! Raz le
bol ! Je m’assoie, Je désespère ! Denis m’a entendu. Il s’arrête.
M’attend. « Allez mon Renard, on y est presque, on va y arriver ». Je
me relève, m’exécute, passe un pied devant l’autre.
Le
Pas de la Case est
loin. Je trouve en plein jour ce lieu complètement inepte, débile,
anti-andorran et révulsant. J’en garderais de nuit la mémoire d’un vaisseau
illuminé inaccessible, qui me rend bien le peu d’affection que j’ai pour lui en
se défiant de moi. Nous arrivons enfin sur un prémice de piste de ski, un peu plus
praticable. Mes piles lâchent. J’appelle Denis reparti devant pour qu’il
m’escorte. Je lui annonce ma décision : je vais abandonner. Je n’en peux
plus. Lui aussi est touché par cette descente. Mais il me dit que nous ne
sommes pas arrivés ici pour abandonner alors qu’il ne reste que 40 kilomètres. Je lui
rétorque que je ne veux pas subir encore une fois les deux
« entourloupes » de l’organisation sur un prochain secteur. Je ne le
supporterai pas psychologiquement. Et puis cet orage qui menace. Hors de
question d’aller le défier. Denis me dit juste « Allez », et je lui
emboîte le pas.
La
pente s’est adoucie, mais nous ne courrons pas. Il me fait presque plaisir de
voir les cabanes des téléskis. Les lumières du Pas de la Case se sont rapprochées. Nous
voyons des rues, et même quelques voitures. Encore quelques centaines de
mètres. Au loin, sortant de la nuit comme un hululement de hibou, un
« Renards ? ». Deux loups fatigués répondent « Renards,
oui ! ». Lolo et papa sont là. Au bout de la ville, au pied des
pistes de ski, au milieu de la nuit. Qu’ils sont heureux de nous voir,
visiblement intensément soulagés ! S’en est surprenant, que se passe
t-il ? Ils sont en fait sans nouvelle de personne depuis un moment. Les
bips ne fonctionnent plus depuis qu’ils nous on laissé ce midi. Personne n’est
capable de leur donner des infos au Pas de la Case, ni les amis via internet, et encore moins
nous deux qui ne répondions pas au portable que nous entendions parfois sonner.
Ils ont même eu des infos erronées leur disant que seulement cinq coureurs
restaient à arriver. Ce sont des accompagnants montés à la rencontre de leur
coureur qui leur ont apporté un démenti. On imagine sans mal leur état
d’inquiétude.
Ils
nous félicitent d’être là. J’ai pour seule réponse de leur dire que
j’abandonne. Que j’ai trop mal, que je suis trop fatigué. Ils sont interloqués.
J’entends Denis leur dire doucement. « Ne vous en faîtes pas, il est juste
fatigué ». Il leur dit aussi la difficulté de ce que nous venons de passer.
Il est lui aussi épuisé, haché menu. Mais malgré l’état de son genou il n’a jamais
songé à abandonner.
Lolo
est près de moi. Je lui demande sur un ton brusque et autoritaire de ne plus me
filmer. Réaction violente, mais je
refuse cette prise d’image. Pas pour éviter que l’on filme ma défaillance, ma défaite,
mais parce que je veux être seul, je ne veux pas d’aide ou d’attention. Il comprend
(enfin je l’espère), j’avais eu une réaction similaire au GRP.
Nous
sommes à l’autre bout du Pas de la Case.
Toute la ville débarrassée de ces malheureux consommateurs,
de ces personnes qui n’associent l’Andorre qu’à ce vil endroit. Les
pauvres ! Passer leurs week-ends ici, s’arrêter à cela, ne pas découvrir
l’un des plus beaux pays d’Europe ! Je les plains.
Rues
vides, jambes vides, tête vide. La
Clio est garée à proximité. Je vois Marjo en sortir, pendant
que Lolo téléphone à Laeti. Marjo court vers moi, tout aussi rassurée. Elle a
des mots doux. Je lui annonce la nouvelle. Elle m’accompagne sur ce bitume
dépravé. Elle ne dit plus mot à côté de moi, mais je sens toute sa passion pour
la course, le sport, notre épreuve, et cela me fait du bien. Pas forcément
besoin de mots dans ces moments là. Un bar est ouvert, j’arrive à avoir un brin
d’humour en commandant un croque-monsieur. Deux jolies nanas, court vêtues,
sortent en courant. Elles veulent me faire la bise, ce que j’esquive en
prétextant des joues pleines de sueur. Elles posent pour la photo à côté de
moi. Elles me félicitent grandement et m’encouragent pour la suite. Une
rencontre pleine de folie, comme je suis capable d’en générer, qui me redonne
le sourire deux secondes.
Laeti
arrive, à notre rencontre, au bout de cette route. Comme je souhaitais la
voir ! Elle est joyeuse, rassurée et peinée en même temps. Je m’effondre
dans ses bras et je craque nerveusement. Je ne contiens plus mes pleurs, faits
de tension et de fatigue. Elle comme Denis sait les mots qui vont me faire du
bien, et je les écoute avec attention. Ils portent à la raison et au cœur. La
centaine de mètres que nous faisons ensemble est la clé de cette fin d’épreuve.
Sur ce fil du rasoir je suis prêt à tomber. Laeti va en quelques mots me remettre
en selle, me permettre d’arriver à la base de vie avec autre chose en tête que
l’abandon. Elle ne me pousse à rien. Me dit juste, entre autres mots que je
tairai ici, qu’il faut que je mange, me lave, me repose et me soigne. Le
reste ? On verra ensuite. Merci mon amour.
Nous atteignons enfin la base de vie. Km 131. Il
est 00h21. Notre record de temps en course vient de tomber, comme un
symbole : 40h21. Mais lors du GRP 2010 nous avions fait 160 kilomètres dans
le même temps. Pourtant nous sommes aussi bien entraînés. Preuve en est que
cette Ronda est bien plus difficile.
Quelques
applaudissements des accompagnants nous accueillent à l’entrée de la salle.
Celle-ci paraît immense par rapport au peu de coureurs présents. Une poignée, 5-6
âmes en peine. Deux sont en train de dormir, un sous les mains du kiné, deux
autres auprès de leurs affaires, et deux renards qui viennent d’arriver,
hagards, un peu perdus. Les USDR nous amènent dans un coin de la salle, qui
sera notre QG pendant quelques temps. Je m’assoie, ne sais que faire, ne sais
par où commencer l’opération reconstruction. Déjà papa me demande ce dont j’ai
besoin dans les caisses, Laeti va me chercher à boire et manger, Marjo nous
donne nos affaires, Lolo et Anna s’occupent de Denis. Je m’inquiète de savoir
où sont les autres. Carole et les petits sont rentrés dormir à Ordino. Pierre
et Elio dorment dans les voitures, ce qui m’inquiète de les penser se réveiller
perdus pendant que nous sommes là. Laeti et papa vont se relayer pour les
surveiller. Pauvres petits ! Que leur faisons nous subir !
J’essaye
de faire les choses dans l’ordre : jambes en l’air, étirements, se
restaurer. Ensuite direction la douche (froide malheureusement) et me changer,
revêtir du propre et chaud. Manger à nouveau. Denis par s’allonger, je file
sous les mains de la podologue.
Elle a du boulot la pauvre, et est assez surprise du mauvais état de mes pieds. Elle me donne des conseils tout en me soignant. La quasi totalité de mes pieds est touchée : la plante, les doigts extérieurs, les talons, certains orteils. Elle me vide l’eau à l’aide de seringues. Tout cela prend du temps et mes piles corporelles sont vidées. De jolis pansements plus tard (qui me semblent bien légers et qui je sais ne tiendront pas) je vais pouvoir enfin aller m’allonger. Cela fait bien 1h20 que nous sommes arrivés, et il y a eu peu de passage, autant pour les arrivées que pour les départs. Ceci rajoute à la dramaturgie de l’instant, en imaginant ce coin de lumière au milieu de la nuit dans laquelle errent les traileurs, éparpillés, esseulés. L’orage ne semble pas venir sur nous, les bénévoles n’ont aucune info d’orage sur le parcours. Je peux donc aller m’allonger moins inquiet.
Elle a du boulot la pauvre, et est assez surprise du mauvais état de mes pieds. Elle me donne des conseils tout en me soignant. La quasi totalité de mes pieds est touchée : la plante, les doigts extérieurs, les talons, certains orteils. Elle me vide l’eau à l’aide de seringues. Tout cela prend du temps et mes piles corporelles sont vidées. De jolis pansements plus tard (qui me semblent bien légers et qui je sais ne tiendront pas) je vais pouvoir enfin aller m’allonger. Cela fait bien 1h20 que nous sommes arrivés, et il y a eu peu de passage, autant pour les arrivées que pour les départs. Ceci rajoute à la dramaturgie de l’instant, en imaginant ce coin de lumière au milieu de la nuit dans laquelle errent les traileurs, éparpillés, esseulés. L’orage ne semble pas venir sur nous, les bénévoles n’ont aucune info d’orage sur le parcours. Je peux donc aller m’allonger moins inquiet.
Laeti,
Marjo et Anna nous quittent, rejoindre Ordino à près d’une heure de là et un
dodo bien mérité. Derniers encouragements de Laeti. Je vais mieux, je vais
pouvoir envisager de repartir, ça la rassure. Lolo regarde sa montre, et c’est
parti pour une heure de sommeil. A peine les yeux fermés je m’endors. Mais Lolo
me réveille : « Sylvain, ça fait une heure ». Oups !
Incroyable comme ça passe vite. Mes yeux ne tournent plus ronds dans leurs
orbites, je suis déboussolé.
Un
petit moment pour remettre toutes les idées en place. La salle me paraît encore
plus vide. Je me lève, les muscles vont bien, les pieds ont mal, la tête va
mieux. Denis est encore en train de dormir. Je me change, mange à nouveau, fais
le plein du camelback. Le ravito est bien maigre alors qu’il reste une bonne
trentaine de concurrents présents ou à venir. Plus de pâtes par exemple. Pas
grave, je fais avec ce qu’il reste. L’un des gentils bénévoles m’explique qu’un
grand nombre de fanions ont été mangés par les vaches. Ils ont passé un temps
fou à en replacer ou remplacer, pour éviter que l’on se perde dans cet endroit
sujet au brouillard.
Denis
s’est levé entretemps. Pas besoin de se le dire, nous allons repartir pour la
dernière étape. Denis me dira bien plus tard qu’il était persuadé que s’il
repartait, je repartirais aussi. Gagné…
3h25
du mat’, à l’entrée de la salle. Un brouillard de malade s’est levé, il fait
froid. Le bonnet et la veste ne sont pas de trop. Lolo et papa nous donnent
rendez-vous dans 12
kilomètres, au val d’Inclès. Je leur demande plutôt
d’aller se reposer, car ils n’ont pas beaucoup plus dormi que nous depuis deux
jours. Ils nous disent que ce n’est pas notre affaire.
Les 2-3 bénévoles du site nous encouragent, et nous repartons après 3h de pause avec un 3° larron auvergnat.
Partir c’est déjà être arrivés
Au bout d’à peine 50 mètres nous faisons
une erreur de direction. Il faut arrêter de parler et se concentrer sur les
fanions. Nous passons sous le viaduc survolant la rivière Ariège qui prend
source ici. Nous abordons un petit sentier descendant dans des hautes herbes.
Au bout de 500 mètres
nouvelle hésitation, impossible de trouver le chemin. Nous cherchons chacun de
notre côté tout en nous gardant en visuel, mais au bout de plusieurs minutes
toujours rien. Je m’engage un peu plus sur une sente et trouve enfin la voie.
Brouillard à couper au couteau. Nous traversons l’Ariège qui est à cet endroit
un torrent, et longeons la frontière franco-andorrane. Le chemin descend
agréablement, mais ne nous permet pas de courir. Au bout de 3 kilomètres nous rejoignons
deux espagnols peu avant le Rebaixant del Maià. Cet endroit marque un nouveau changement
important de direction. Nous partons plein Nord-Ouest et allons remonter le
vallon du ruisseau Sant Josep. Une montée relativement courte de 4 kilomètres mais de
700 D+. Une belle bavante quoi !
Denis
se met devant et nous progressons dans une végétation assez haute. En effet
nous suivons le ruisseau à distance, mais ses abords sont très humides et d’une
végétation luxuriante. De sorte les herbes épaisses font 70 cm, sont parfois sur des
buttes (touradons) et leurs alentours sont détrempés. La progression n’est pas
rapide et bien plus fatigante que sur du sentier. Nous sommes en hors piste là.
Les deux espagnols n’ont pas suivi le rythme, le compagnon parti avec nous
décroche à son tour. Nous progressons régulièrement, n’ayant aucun visuel sur
le col au loin, encore dans la nuit. Nous rattrapons au bout d’une demi-heure
une concurrente, au moment où l’aube pointe. Valérie va nous accompagner. Elle
fait partie des douze demoiselles lancées dans le défi (cinq d’entre elles
arriveront à Ordino).
Le
brouillard s’est dissipé, une faible luminosité apparaît, bientôt le noir total
ne sera plus. Bientôt nous pouvons éteindre les frontales. Un regard en
arrière : sacrée pente que nous venons de faire. Au-delà, les confins de la France d’où le soleil
arrivera dans peu de temps. Devant nous, là-haut, le port Dret. Bonne nouvelle
que de voir ce jour arriver, le dernier de notre périple. Mais il s’accompagne
d’un vent terrible en provenance du col. La pente ne nous en abrite plus, nous
l’avons en pleine face. Nous avons encore un bon tiers de montée, et nous
sommes tous trois courbés en deux. Je progresse les bâtons le long du corps
pour offrir moins de prise au vent. A 150 D+ du col, avant la partie finale
très raide de la montée, nous nous accordons une pause. Blottis contre le vent
derrière un gros rocher, nous sortons les gels et barres. Une telle montée tape
les organismes, il ne faut pas oublier l’essentiel en ultra : la gestion.
Je récupère même mon buff pour me couvrir les oreilles, la bouche et le nez.
Nous
repartons avant d’être saisis par le froid. Dernier gros coup de cul dans du
pur minéral. Voici le Port Dret à 2565 mètres d’altitude. Deux bénévoles nous
attendent. Derrière nous aucun visuel sur les concurrents doublés. Valérie nous
remercie de l’avoir mené là-haut et nous demande de ne surtout pas l’attendre
pour la suite de la route si elle nous la freine. Nous sommes honnêtes, nous le
ferons, mais là nous n’aurions pas pu aller plus vite. Nous avons été tous trois
du même niveau. La vue est saisissante ici. Entre ce que nous venons de monter
et surtout au-delà des vallées à l’Ouest sur les montagnes où nous étions
avant-hier, comme le Bony de la Pica. Ouahhh,
nous avons fait tout çà ! Cela revigore, nous avons bien avancé.
A
notre droite une petite crête, que l’on nous avait annoncé courante lors du
briefing. Nous en avions rigolé alors, nous demandons bien si nous arriverions
jusque là et surtout doutant de pouvoir y courir. Et bien ce tronçon d’un
kilomètre on le fait …en courant ! Comme un automatisme, tous les
trois, sur un bon petit rythme. Un kilomètre de plat sur une sente de montagne,
qui nous mène au Pas de les vaques. Un kilomètre de bonheur pur. Accompagnés
par le tout premier rayon du soleil, après 139 kilomètres de
course. La sensation inégalée de ce plaisir du trail de montagne. Etre libre
dans des décors fantastiques. Défier le chemin, sauter les cailloux, caresser
les courbes. Ouvrir grand les yeux et les poumons. Se sentir vivant, si bien
(ou presque) dans son corps, l’esprit dans cette bulle du trail. De
merveilleuses sensations. Le corps tout en éveil, la sensibilité à fleur de
peau. Putain ! Heureusement que je n’ai pas abandonné ! Comme un
automatisme oui. Denis m’expliquera plus tard qu’il a fait ce kilomètre couru,
en dormant par micro-sommeils… Des fractions de secondes d’endormissement, tout
en levant les pieds, et en ayant le réflexe d’éviter les quelques cailloux ou
pierres du chemin. Tous les ultras ont un jour connu cette sensation bizarre,
ce sentiment d’être au-dessus de la course, ailleurs et bien présents à la
fois, profitant de deux états en un.
Avant
de basculer dans la descente un coup d’œil à 360°. Notre regard embrasse
pratiquement la moitié de notre course, du Comapedrosa au col des Isards. Que
tout cela est loin en distance. Incroyable de nous dire que nous avons fait
cela. Impensable même. Et pourtant nous en venons. Le repos au Pas de la Case m’a fait un bien fou. Je
fais la descente vers le lac Siscaro. De jolis lacets bien pentus puis une
pente qui s’adoucit. Je me fais plaisir, mais pas à 15 à l’heure tout de même.
Paysages sublimes tout autour de nous, avec cette douce lumière du matin qui
réchauffe les façades minérales des prochains sommets au loin. Doucement les
vallons se réveillent pendant que nous plongeons dans celui du riu de Siscaro.
Nouvelle pente un peu forte. Nous cheminons tous les trois tranquillement. Denis
a encore bien mal au genou et suit les conseils de Valérie : un
anti-inflammatoire et deux Doliprane. Un dopage qui l’aidera à oublier la
douleur et continuer plus sereinement le chemin.
Voici
le refuge de Siscaro, kilomètre 141. Descente raide sur un chemin étroit qui
longe le ruisseau. A nouveau une végétation luxuriante et un sol humide. Mais
tout est en fleur, c’est magnifique, un vallon somptueux. Je laisse passer
Denis et Valérie pour un besoin naturel. En repartant je croise 4 pêcheurs
andorrans. Nous échangeons quelques mots, ils m’encouragent gentiment, les yeux
admiratifs. Je rejoins mes comparses pour un petit bout dans la forêt, plongée
dans le brouillard, alors que nous venons d’évoluer au-dessus de la mer de
nuage. Le chemin s’adoucit et devient une large piste pierreuse. Nous arrivons
au fond du val d’Inclès. J’aperçois le ravitaillement du kilomètre 143. D’un
coup une très vive douleur au pied droit. J’ai l’impression que la plante du
pied s’est ouverte en deux. J’ai un mauvais pressentiment. Celui que ma
crevasse est devenue le grand rift de Californie. Impossible de continuer à
courir. Je marche en claudiquant. Lolo et papa sont inquiets. Je les rassure en
leur disant que notre progression a été très bonne jusqu’ici, mais qu’il faut
que je me soigne. Il reste tout de même 27 kilomètres à
faire.
Il
est 7h25, nous avons mis 4 heures pour faire 12 kilomètres. Cela
peut paraître énorme, pourtant nous n’avons pas ménagé nos efforts. Au briefing
l’organisation avait prévenu que boucler 170 kilomètres de la Ronda en 60 heures (temps
limite) pouvait paraître aisé pour des gens entraînés. Mais qu’il n’en était
rien. Et nous lui donnons bien raison. Notre temps estimatif de 46 à 48 heures
de course a explosé, puisque que dans quelques dizaines de minutes il sera 8h.
Il y a 2 jours, nous partions d’Ordino…
Nous
ne sommes encore pas nombreux à ce ravito. Notre copain 21 qui avait tant de
mal à s’alimenter en début de course est là, enveloppé dans une couverture. Il
nous dit qu’il a essayé de repartir il y a une bonne demi-heure, mais n’a pas
pu, encore trop fatigué. Il est en fait resté trop peu au Pas de la Case, à peine une demi-heure.
Il le paye maintenant. Nous lui avons repris 3 heures en 13 kilomètres. Que
cette section a du être difficile pour lui.
Le
copain d’une de nos indirectes supportrices est là aussi. Il est reparti avant
nous du Pas de la Case. Il a
fait une belle montée mais a besoin aussi de souffler. Nous nous restaurons.
Les yeux des bénévoles ont changé. Ils sont mêlés d’encouragements mais aussi d’une pointe d’incompréhension à notre égard au vu de notre état de santé et du fait que l’on progresse depuis 2 jours. Il y a aussi une grande part de sincère admiration. Comme ces trois bénévoles de la Croix Rouge qui regardent ma crevasse. Ils sont un peu décontenancés et entreprennent de me soigner comme ils le sentent bon. Je les rassure, j’ai mal mais c’est supportable. Oui vos pansements sont supers, je vais pouvoir continuer. Ils ne savent pas s’ils font assez pour moi en fait. S’ils savaient comme leur aide nous est précieuse ! Même avec tous mes remerciements je pense qu’il ne le mesure pas. Ces personnes qui donnent tant de temps, de sommeil, d’énergie pour nous. Remarquable ! Alors je les fais rire dès que je peux.
Les yeux des bénévoles ont changé. Ils sont mêlés d’encouragements mais aussi d’une pointe d’incompréhension à notre égard au vu de notre état de santé et du fait que l’on progresse depuis 2 jours. Il y a aussi une grande part de sincère admiration. Comme ces trois bénévoles de la Croix Rouge qui regardent ma crevasse. Ils sont un peu décontenancés et entreprennent de me soigner comme ils le sentent bon. Je les rassure, j’ai mal mais c’est supportable. Oui vos pansements sont supers, je vais pouvoir continuer. Ils ne savent pas s’ils font assez pour moi en fait. S’ils savaient comme leur aide nous est précieuse ! Même avec tous mes remerciements je pense qu’il ne le mesure pas. Ces personnes qui donnent tant de temps, de sommeil, d’énergie pour nous. Remarquable ! Alors je les fais rire dès que je peux.
La pause nous a pris 20 minutes. Tout autour le
brouillard se déchire, montrant aux bénévoles et aux accompagnateurs la magnificence
de l’endroit, ce dont nous avons pu profiter sur les hauteurs.
Une bien jolie récompense pour eux. Notre copain 21 est parti depuis cinq minutes (il finira la Ronda avec deux heures d’avance sur nous, signant une belle dernière partie). L’autre concurrent est encore là. Valérie repart avec nous. Jolie pente d’entrée de jeu. Lolo et papa peuvent admirer en direct la touche andorrane, le « droit dans la pente ».
Voici notre avant-dernière montée. Avant-dernière, et peut-être la plus belle, la plus spectaculaire en tous cas. 6 kilomètres pour un 800 D+, ça promet.
Au bout d’un quart d’heure la pente s’adoucit le long d’une rivière, puis au travers d’un replat herbeux. Des rochers, un joli travers qui nous offre une superbe vue sur tout le sud du pays. Le soleil est désormais pleinement sur nous, nous pouvons tomber les vestes et nous laisser dorer. Nouveau joli coup de cul au milieu des rochers.
Une bien jolie récompense pour eux. Notre copain 21 est parti depuis cinq minutes (il finira la Ronda avec deux heures d’avance sur nous, signant une belle dernière partie). L’autre concurrent est encore là. Valérie repart avec nous. Jolie pente d’entrée de jeu. Lolo et papa peuvent admirer en direct la touche andorrane, le « droit dans la pente ».
Voici notre avant-dernière montée. Avant-dernière, et peut-être la plus belle, la plus spectaculaire en tous cas. 6 kilomètres pour un 800 D+, ça promet.
Au bout d’un quart d’heure la pente s’adoucit le long d’une rivière, puis au travers d’un replat herbeux. Des rochers, un joli travers qui nous offre une superbe vue sur tout le sud du pays. Le soleil est désormais pleinement sur nous, nous pouvons tomber les vestes et nous laisser dorer. Nouveau joli coup de cul au milieu des rochers.
Nous
progressons bien, Valérie est un peu lâchée. Nous en prenons plein les yeux
dans des paysages encore différents. Seuls dans ces montagnes alors que toute
l’Andorre se réveille en bas. Il n’y a pas de doutes, nous sommes des
privilégiés, et nous le savons… Un replat. Voici le refuge de Cabana Sorda au
kilomètre 147, altitude 2312m. Ces 580 mètres de D+ se sont super bien passés.
Bien plus que certains avec moins de pente. C’est dingue comme j’adore ces montées
de psychopathes qui nous font vraiment avancer. Encore un lieu à nul autre
pareil. Derrière le refuge, un lac somptueux. En arrière encore un cirque
majestueux. J’espère une seule chose : que la fin du D+ se fasse dans
celui-ci. La pente a l’air très raide, le travers dans les cailloux technique,
une superbe trace de montagne. « Malheureusement » nous allons contourner
le cirque. Mais ce qui nous attend n’est pas mal non plus.
Tout
d’abord un sentier pierreux, assez aérien. Un mur à droite, un bel « à pic »
à gauche. Derrière nous la magnificence du lac aux eaux cristallines. Devant six
chevaux et poulains bien plus gros que nous deux réunis nous barrent le chemin.
Je ne veux pas les affoler et ne veux pas passer trop près. Néanmoins il n’y a
qu’un seul chemin ici. Toute autre option serait bien risquée. Les seigneurs de
ces alpages nous font place, en se déjouant de la pente presque aussi bien que
des isards. Majestueux ! Le tour est fait non sans quelques passages
délicats. Je pense à ceux étant passé ici de nuit. Je n’aurai pas aimé être là,
quoique la nuit on ne voit pas tout son environnement et donc tous les dangers
potentiels ou imaginaires.
Nous
finissons de tourner le vallon et là, grosse surprise. Nous pensions ici être
au point de redescendre de l’autre côté. Et bien non ! Se dresse devant
nous une pente incroyable. Le briefing nous avait prévenus, mais nous étions
loin d’imaginer cela ! La pente herbeuse est là droite devant nous. Pas de
sente ni à gauche ni à droite. Juste des fanions les uns au dessus des autres.
En haut de ce que j’imagine être un 150 m D+ deux bénévoles nous attendent. Pour
les voir je dois pencher la tête complètement en arrière. La pente doit
avoisiner 70 %. D’aucun aurait pu râler. Avec Denis nous voyons cela comme un
nouveau défi, un jeu. Je m’engage en premier. Bras bien hauts, tête baissée. Et
je pousse, pousse sur les bâtons, sur les jambes. Les cuisses, les mollets, les
bras sont sollicités à leur potentiel max. Et çà monte. Même quand je pourrais
faire deux minis virages je reste droit dans la pente. Souffle court mais
régulier, muscles tendus mais pas oxys, cerveau alerte et surexcité. Çà monte !
Ca grimpe oui ! Plus raide que çà c’est de l’escalade. Un coup d’œil à
Denis en arrière qui semble prendre son pied. Je lui jette un « c’est plat
le Béarn non ? », en référence à nos raids PPA. Putain le pied qu’on
prend là ! J’accélère. La bénévole m’encourage tout en filmant. Plus que
quelques dizaines de mètres. Une folle envie me traverse la tête, et je n’y
résiste pas. Je fais mon Kilian Jornet. Je m’élance en courant dans ce qui est
la plus belle pente qu’il m’est jamais été donné de faire en trail. Tout brûle
mais je suis tout sourire, comme la jolie bénévole qui m’accueille ! Quel
pied ! J’encourage Denis qui lui aussi s’éclate. La demoiselle m’explique
que les gars cette nuit n’ont pas du tout aimé. De nuit, dans le brouillard qui
a rendu la pente glissante, avec un vent
violent. Cela a du être une sacrée bavante.
Petit
break là-haut. Le 360° est incroyable. Presque tout notre parcours nous est
offert à l’œil sur cette crête. Il nous reste 21 kilomètres. Nous
les commençons par une descente pierreuse. Pas géniale la descente, nous marquons
le pas. Du mal à poser les pieds, à arquer les jambes. Le genou de Denis hurle
toujours. Même les bâtons fuient. Un mal de chien à avaler ces 200 mètres de D-. Le
vallon qui s’offre à nous sur notre gauche est somptueux. C’est le Coma de
Ransol au fond duquel se cache le refuge de Com de Jan que nous essayons
d’atteindre. Mais tous les deux avons un mal fou. On a l’impression d’être de vraies
limaces, que plein de concurrents vont nous rattraper. Pourtant cela fait bien
des heures que nous sommes quasiment seuls. Au loin voici enfin le refuge, avec
les bénévoles et leurs chasubles orange qui nous attendent. Ce n’est pas encore
gagné. On passe quelques torrents, quelques cailloux. Enfin un dernier petit
ressaut, une tourbière, et le refuge.
Quelques randonneurs sont là, cette vallée semble appréciée.
Cela fait bizarre de nous trouver sur des chemins fréquentés par d’autres sportifs
que les traileurs de ce week-end. Encore des bénévoles charmants. Décidemment
ils sont tous beaux ces andorran(ne)s ! Kilomètre 151, il est 10 h30 du
mat’. L’heure du café et des croissants normalement un dimanche matin. Et bien
ce sera saucisson et bananes pour nous, avec un peu de fromage et de cerneaux
de noix. Allez hop, du jambon aussi tiens ! Au moment où nous allons
repartir après quelques étirements et réajustements des pansements, Valérie
arrive. Cette dernière section lui a été aussi assez pénible. Elle en a marre
de ses ampoules aux pieds. Elle sort un cutter de son sac (!) et éventre ses
chaussures au niveau des talons. Elle souhaite ainsi alléger sa peine pour les 19 kilomètres
restants.
19
kilomètres.
C’est une belle montée, et une grande descente. C’est encore au moins 5 heures
de course. C’est encore profiter des paysages que l’organisation a su nous
offrir. C’est surtout pouvoir commencer à penser à l’arrivée. Au briefing il a
été dit qu’aucun concurrent de la
Ronda comme du Mitic (qui a rejoint notre trajet un peu plus
tôt) n’a jamais abandonné à compter de ce point. Tous sont arrivés. Les
bénévoles ont reçu des consignes pour nous motiver au maximum. Mais ils n’en
ont pas besoin avec nous. Oh que non ! Il n’y a pas plus motivé qu’un Renard
qui sait qu’il va finir. Oui çà y est, ça nous le savons… « Allez mon
Denis, on se l’attaque cette dernière bugne ? ».
3
kilomètres et
exactement 500 m
D+. Pente moyenne sur un joli dévers. Avec encore en contreplongée un
magnifique vallon. Le sentier n’est pas large entre quelques arbres et jolis
rochers, peu ombragé avec un soleil qui commence à taper. Denis prend de
l’avance, je traîne un peu avec le soleil. A chaque virage à droite je suis
certain d’apercevoir le dernier col. Et non. Nous croisons quelques
randonneurs. Plus bas, sur l’autre versant, certains nous regardent aux
jumelles. Nous progressons toujours, ça grimpe, toujours pas de col. On ne va
pas me la rejouer pareil là ? On entre dans le minéral, au fond du vallon,
un nouveau cirque. Le torrent et ses cascades assourdissent l’ambiance. A
droite un col. Les fanions vont à l’inverse. Gggrgrr. Au dessus un nouveau, toujours
pas… Allez c’est reparti pour une nouvelle mauvaise perception du D+. Des
petits lacs d’altitude maintenant. Purée mais on va où là ? Pas au fond du
cirque quand même ? Et bien si, on y va tout droit !
Denis
m’a lâché. Je m’accroche à ce que je peux. A ces paysages de haute montagne fabuleux.
A tous ces fanions posés par les bénévoles et leur lumière éclairante pour la
nuit, à ce randonneur qui me dit qu’il me reste 20 minutes de progression, à ce
morceau de barre énergétique qui m’amènera jusqu’au dernier col, à ces quelques
traileurs que je vois s’entrainer sur la crête au-dessus. Je ne pensais pas que
c’était si loin, que l’on mettrait si longtemps pour la faire cette dernière
montée. Mon Denis m’attend à une cabane, à quelques encablures de ce col, en charmante
compagnie. Une jolie bénévole. Je le sors de son moment de félicité. Il me
rejoint. « Tu avais raison Sylvain. Elles sont toutes plus jolies et
agréables les unes que les autres ces andorranes ».
C’est
sur des sourires complices que nous finissons les derniers mètres de notre
dénivelé positif. 13 000
mètres en près de 52 h. Un Everest et demi en partant du
niveau de la mer. Je me courbe et d’un geste du bras plein d’élégance invite
Denis à passer en premier une sorte de construction qui matérialise le passage du
col. Collada del Meners, 2719
m d’altitude, km 154. Nous sommes heureux. Je prends le
temps de contempler d’où nous venons. De savourer du regard ce que nous avons
« vaincu ». Ces milliers de cimes pour autant de mètres positifs et
négatifs. Je suis ému. Je suis heureux d’avoir fait cela ici. L’Andorre m’a
émerveillé. Je me sens réellement comme « intégré » dans ce paysage
maintenant, comme je peux l’être dans certains des sites pyrénéens que je
connais bien. J’ai le sentiment que l’Andorre m’a accepté. Ces montagnes me
touchent sincèrement. Je les abandonne de mon champ de vision avec une pointe
de regret, mais avec beaucoup d’affection pour elles et de fierté pour moi.
Je
prends le temps de refaire la totalité de mes bandages. Je propose à Denis que
tous les USDR passent la ligne d’arrivée avec nous. Il est tout à fait
d’accord. C’est le moindre des cadeaux que nous puissions leur offrir. Nous ne
sommes pas certains d’avoir pu être ici sans eux. On tient vraiment à leur
faire partager la sensation si forte du passage de ligne d’une telle épreuve,
et surtout qu’ils comprennent notre gratitude.
Longue
et savoureuse descente
Il ne reste que 16 kilomètres ! Oui, mais que
de la descente. Et là ça ne va pas être de la rigolade pour mes pieds !
Nous nous tournons plein Ouest. Voici le vallon que nous voyions lors de notre
ballade en famille. Le dernier, celui qui va nous descendre au refuge de
Sorteny dans 5
kilomètres. Pente forte et assez roulante au début. Nous
pouvons courir, même si mes pieds s’allument à chaque pas. Denis est plus
alerte que moi. Nous croisons quelques randonneurs et traileurs en
entraînement. La pente s’adoucit mais le revêtement est parfois plus difficile.
Des cailloux pointus que l’on ne peut pas toujours éviter. Je peine toujours, mais
je trottine. Il n’y a plus d’air ici, le soleil commence à m’assommer. La
grande prairie de Sorteny est encore loin là-bas. Il faut contourner un vallon,
passer cette forêt… Je ne vois plus Denis. Un petit ressaut, voilà le torrent.
Des « Allez les Renards » au loin. C’est la copine d’un autre
concurrent qui nous encourage. Elle nous a suivi toute la course. Elle est
aussi contente que si c’était son copain, nous encourage comme des USDR. Je lui
décroche mon plus beau sourire et la remercie vivement.
La
prairie de Sorteny (km 159, record de distance égalé). Waouuu, voici le refuge
où nous sommes passés il y a 2 jours, il y a 140 kilomètres. La
boucle majestueuse est bouclée. Il ne reste plus qu’à dérouler jusqu’à Ordino.
Des bénévoles sont ravis pour nous. Je me prépare à me restaurer une dernière
fois, mais qui vois-je arriver ! Laeti est là qui monte par le chemin. Je
cours dans ses bras, sous les sourires émus des bénévoles. Je ne m’attendais
pas à la voir ici. Quel bonheur ! Elle est rayonnante, heureuse pour nous.
Elle enlace Denis. Allez, on ne s’éternise pas ici. Nous prenons le chemin que
nous connaissons par cœur maintenant vers El Serrat. Laeti court avec nous. Des
finishers d’autres courses nous encouragent, comme d’autres randonneurs. On voit
du monde, çà sent la fin. Voici le petit sentier des écureuils que nous avions
pris en famille. Nous le descendons. En bas nous retrouvons Pierre, Lolo et
papa. Mon petit garçon que je n’ai pas vu depuis une journée entière.
Embrassades. Nos jambes nous portent, nous n’arrêtons pas
de courir. On s’engage dans la pente d’un nouveau sentier. Nous retrouvons là
Anna bien heureuse. Je suis obligé d’arrêter Pierre qui veut nous suivre en
courant. On descend toujours. A quelques mètres de la route d’El Serrat une de
mes ampoules explose ! Pansement exprès. Malgré cela les USDR ont à peine
eu le temps d’arriver par la route. « Vous allez trop vite ! »
nous dit papa.
Passage
dans El Serrat, sur la route, sous l’écrasante chaleur. Tous nous encouragent.
Même si nous grimaçons de douleur nous sommes radieux à l’intérieur. Nouveau
sentier en pente très douce. Il nous amène aux Salines. Le hasard a voulu que
la course passe pile devant notre chalet. Les jours précédents la course je me
posais souvent la question d’un éventuel passage ici. Nous y sommes, c’est
énorme ! Et pas entre 6 et 8h du mat’ comme prévu pour réveiller les USDR.
Le retard a du bon pour eux.
Là ils sont en train de ranger les voitures
car certains doivent partir dès la course finie. Ils sont surpris de nous voir
si tôt. Faut dire qu’on trotte. Même si ce n’est pas facile, on trotte. On va
mettre un point d’honneur à faire la quasi totalité de cette dernière descente
de 16 kilomètres
en courant. Petites embrassades, rigolades, chansons des USDR. Papa me dit que
deux concurrents viennent de passer et qu’il faut aller les chercher. Oui, on
va essayer dit on dans un sourire. Les USDR ont écrit sur un carton des
encouragements pour tous les coureurs et pour les Renards. Belle attention. Derniers
signes de la main, nous repartons sur le bitume écrasé de chaleur, le long de
notre chalet. Le prochain rendez-vous sera...l’arrivée.
On
trottine toujours le long du riu Valira. Peu avant Llorts nous rattrapons un
Ronda. Un agent sort de son coin d’ombre à une terrasse pour nous faire
traverser la route. Au loin nous devinons les montagnes qui surplombent Ordino.
Nous sommes dans la dernière ligne droite. Nous changeons de rive. Rive gauche
du riu jusqu’à la Cortinada. Nous
admirons les particularités de « la route du fer » comme ces cascades
orange ferriques, et ces concrétions. La pente descendante est douce, cassée
parfois par quelques légers faux plats montant. Nous progressons toujours bien.
Le Ronda ne s’est pas accroché. Un autre est en vue. Nous le passons à l’entrée
du village, en l’encourageant, il est dans le dur. Plus loin le dernier
pointage. Traversé d’un golf incongru coincé dans ce fond de vallée. Nous
rattrapons les deux derniers Mitics de la course, ce qui ne leur plaît pas. Ils
accélèrent pour nous lâcher. Notre rythme est constant. Notre vitesse ne doit
pas excéder 9 km/h
mais nous sommes si heureux de pouvoir finir en courant. Ce n’est pas pour
rattraper du temps ou des concurrents. C’est pour se prouver que nous avons
fait une belle course, que nous l’avons bien géré. Assez bien pour ne pas finir
explosés, mais en courant.
Voici Sornàs. Un agent bloque le rond-point pour nous
faire passer. Et il nous applaudit, le sourire aux lèvres. Nous rejoignons la
route, plus que 900
mètres. Nous alignons les deux Mitics qui ont abdiqué
devant notre pugnacité. Nous remontons vers Ordino, sur le trottoir. 2-3
dernières courbes sous le soleil.
On
branche la caméra pour l’arrivée. « Et voilà, la boucle est bouclée »
exulte Denis. « On les a fait ces 170 kilomètres ! ». Je lui
réponds par des cris gutturaux, venant du plus profond de moi, du plus loin de
ces montagnes. « Ouais !!! ». « C’est bon
çà !!!! ».
Plus
qu’une centaine de mètres. Anna et Laeti viennent à notre rencontre, toutes
souriantes. Nous les embrassons et les prenons par la main. Elles courent à nos
côtés. Je n’ai cesse de lever les bras et les bâtons pour signifier ma joie et
faire de grands signes aux autres USDR qui nous attendent plus loin. Le son de
la cornemuse nous arrive aux oreilles. Le musicien est encore là pour saluer
l’arrivée de tous. Nous courons tous les quatre sur ce faux-plat montant.
« Les Renaaaaaaaaards !!!! ». Tous les USDR sont là à crier
notre arrivée.
Nous
traversons la route, en applaudissant le joueur de cornemuse. Il reste 20 mètres, nous
embrassons les USDR. Je juche Pierre sur mes épaules, et nous partons tous
ensemble dans le sas d’arrivée en courant. Nous sommes tous les 13 si
heureux ! Les sourires sont partout, toutes les douleurs et inquiétudes
oubliées. 10 mètres,
un monde fou à l’arrivée. Le speaker appelle le vainqueur sur le podium. C’est
une ovation qui nous accueille donc ! Elle ne nous est pas destinée, mais
elle ponctue de la plus belle des façons notre quête.
Nous
sommes tous les 13 dans notre bulle de toute manière. Cette équipe est en train
de terminer la Ronda
dels Cims. Deux coureurs ambitieux, mais surtout des assistants incomparables. Nous
sommes 13 finishers !
La
ligne est là, les bénévoles tout sourire nous applaudissent. Ca y est, c’est
fait !!! Je crie de joie, je suis transporté. J’ai besoin d’extérioriser
le bonheur que m’a procuré ce pays, cette course, ces 55h37 minutes de défi.
Mon compagnon Denis est tout aussi joyeux. Les USDR nous enlacent. Le speaker
annonce deux Rondas qui viennent d’arriver. Salve d’applaudissements.
Un
spectateur veut nous offrir une bière. Nous irons en récupérer une chacun, et j’en
boirais même une gorgée pour fêter çà, c’est dire. Nous sommes fatigués mais
heureux. Simplement heureux d’avoir mené à bien ce « tour de tout un
pays ».
Nous
irons chercher juste après la bise de Valérie et Gérard, les deux organisateurs
qui étaient occupés au podium pendant notre arrivée. Ils nous donneront une
accolade pleine de ferveur. Nous tenions à leur exprimer notre gratitude et
recevoir leur adoubement. Nous faisons partie des 145 finishers de la Ronda dels Cims (46 en 2011,
99 cette année), cette course à nulle autre pareil. Course dantesque que nous
terminons à la 75° place.
Nous
irons chercher plus tard notre lot, celui dévolu à tous ceux qui ont franchit
la ligne. Une belle veste où trônent ces quelques chiffres : 170 kilomètres, 13 000 m D+, et ce
mot : FINISHER.
Nous irons chercher encore plus tard un repos que nous avons réussi à repousser, comme pour profiter encore de ces trois jours intenses.
Fantastique, en lisant votre blog je me suis souvenu de mes meilleurs et pires moments pendant les 112 km de l'ultra mitic 2012! J'ai revaicu avec vous mon arrivée, merci! Trés bien expliqué. J'ai une question pour vous, combien d'heures avez-vous dormis pendant la course? Merci et félicitations! (Rafel Vergara)
RépondreSupprimerOla Rafel. Merci. Nous n'avons pas dormi la première nuit, juste quelques minutes à fermer les yeux sans vraiment dormir. La seconde nuit, nous avons dormi chacun 1h au Pas de La Case. Cela a été suffisant pour finir la course. Donc 1h de sommeil pour 55 h de course.
SupprimerJe dis : « Bats-toi ». « Bats-toi », répétai-je. C'est l'effort et la lutte, c'est l'état de guerre perpétuel, ce sont les déchirures et les épissures — telle est la bataille quotidienne, la défaite ou la victoire, la poursuite qui nous absorbe.
RépondreSupprimer(Virginia Woolf)
quel beau récit...des frissons...que de beaux souvenirs !
RépondreSupprimernous étions dans la course....beaucoup d'émotions...les yeux humides
RépondreSupprimerLe rêve est atteint, mais il y a qu'en même des moyens plus rapides d'engloutir 170 km...mais sans doute que la saveur ne serait pas la même !!! Félicitations aux renards pour cette aventure humaine et sportive ainsi qu'à tous ceux qui ont terminés, sans oublier les accompagnateurs !!! Que la force du mental accompagne les valeureux Jeidaï dans la conquête des Alpes ce week-end du 30 août 2013... avec je l'espère des pieds aux top pour cette nouvelle escapade ou escalade !!!
RépondreSupprimersalut les renards
RépondreSupprimeren lisant le recit on est avec vous dans la course, magnifique. la ronda prévue pour 2014, je souhaiterais avoir vos commentaires sur les choses a faire, à ne pas refaire, votre prépa physique et mentale, peut être des astuces utiles .
sportivement
olivier
Un sacré challenge ! C'est pour l'instant la plus difficile et exigeante course qu'il nous a été donné de faire.
SupprimerPas la peine de s'aligner sur la Ronda si ce n'est pas ton objectif de l'année. Il faut être donc à son potentiel max pour le jour de la course, et cela demande beaucoup de préparation physique, psychique et matérielle.
Aucun souci pour donner des conseils, qui ne resteront que ceux de nous autres petits amateurs.
Nous nous y alignerons d'ailleurs peut-être à nouveau en 2014....
Superbe. Que d'émotion, c'est remarquablement retranscrit. Tellement détaillé que je vais compléter mon roadbook pour cette édition 2015.
RépondreSupprimerTu m'as fait rêver l'ami !!! Merci et bravo.
Bravo pour votre aventure et le récit qui en est fait....On est 4 potes inscrits sur la Ronda cette année et c'est la première fois que je verse une petite larme avant de commencer une course et a fortiori avant de passer la ligne...De belles émotions et tellement de moments et sensations déjà ressentis lors de différents ultras. J'espère que nous serons 4 prochains renards à vivre de tels moments et à franchir, sans être complètement explosés, la ligne d'arrivée. Thomas
RépondreSupprimerMerci Thomas ! Je te souhaites d'y vivre autant d'émotions que nous et surtout de terminer cette course magique mais terriblement exigeante ! Un seul conseil : prépare toi très sérieusement, le reste ne sera que plaisir (et un poil de souffrances tout de même). Cette course tu t'en souviendras toute ta vie... Je suivrais en "live" ton avancée et t'encouragerai virtuellement si tu me donnes ton num de dossard. Sportivement - Sylvain
SupprimerOuaffff!!! Un récit époustouflant et incroyablement bien détaillé...j'ai eu l'impression lors de sa lecture de courir à vos côtés...prenant moi-même le départ de la Ronda dans 15 jours, je repenserai souvent à tes mots dans les moments difficiles que je vais très certainement rencontrer...encore merci..Christophe
SupprimerMerci Christophe !
SupprimerProfite de cette course extraordinaire, à nulle autre pareil. Trace ton chemin et ramène toi des souvenirs impérissables. Bon voyage dans ce magnifique pays, bon courage, et ne lâche rien... Donne moi ton dossard si tu veux, je te suivrais virtuellement :)
Salut Sylvain, je porterai le dossard 355...savoir qu'une nouvelle personne va un peu suivre ma progression me motive encore plus...
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