Récit de l'Ultra du Puy Mary 2013



L’Ultra Trail du Puy Mary – L’Ultra brouillard !


Juste 5 jours après le raid PPA et ses aventures si attachantes, nous voici « on the road », direction Aurillac, pour notre Ultra de l’année. Enfin, celui de votre serviteur et de Denis, Eric s’alignant sur le Grand Raid des Pyrénées en août. De mon côté les quadriceps tirent encore, sous l’impact des « collines » béarnaises. Je me dis que « bon, j’ai jamais commencé un Ultra avec les jambes dures et juste 5 jours de récup’…voici une nouvelle expérience. Pour Denis…non rien, tout va bien, comme d’hab’ ! Il me tue cet animal. Heureusement qu’il a eu une semaine fatigante au taf’…on sera sur un pied d’égalité.
2 Ultra Supporters Des Renards (USDR) nous accompagnent : Papa et Anna. Du coup j‘ai réservé un gîte il y a quelques mois, à Carnéjac à 10 km d’Aurillac, chez Martine et Alain. Un peu de confort n’est pas du luxe pour des trailers et leur team !
Arrivée à Aurillac vendredi vers 15h. On est le 21 juin, le premier jour de l’été, mais obligés d’être en veste, sous une pluie menaçante et un froid…cantalien. Pauvre Ana qui a la crève.

Récup’ des dossards, prise de paramètres corporels à l’aide de capteurs pour une étude scientifique, un petit tour en ville pour voir la ligne de départ, retour au centre des congrès où les masseurs ne sont pas sollicitables pour détendre nos quadris. La cryothérapie est en panne, une fuite d’azote à colmater…bon, c’est pas notre veine tout çà. Heureusement consolation d’avoir gagné un lot à la loterie des dossards (décidemment, après le PPA…), à récupérer à l’issue de la course. Papa drague déjà les gentilles bénévoles pour obtenir tout type d’information lui étant impérieusement nécessaire pour assure sa fonction d’USDR.
On file à Carnéjac trouver notre gîte. Accueil bien agréable de nos hôtes qui arrivent en même temps que nous. Petit hameau calme, entouré des vallons cantaliens. Chambre propre, spacieuses, à notre goût, Martine et Alain souriants. Ça devrait le faire : http://www.bnb.giou.com/#chambre_d_hotes.A

 Pas le temps de papoter, on doit filer au briefing. Très complet ce briefing, mené par des organisateurs décontracts’ et joviaux. Bon, y a pas mal de points dont on se fiche (c’est pas le briefing de la Ronda…), mais se confirme une météo pas au top, des paysages fabuleux et des ravitos gouteux. Tellement décontract’ ce briefing que cet ultra s’affiche simple à nos esprits. C’est vrai que 105 km et 5600 m D+ çà ne nous paraît plus si difficile depuis nos récentes courses, mais il faut rester les pieds sur terres. Un ultra reste un ultra, et il y a 5 jours on a tout de même enquillé 140 km de raid avec 5 à 6000 D+. Va falloir gérer.
Le profil ça donne çà :










Notre stratégie, en gros, c’est d’y aller tranquillou jusqu’à la 1° grosse bosse, y prendre les bâtons, voire comment on est au 50°km, et gérer le reste des forces ensuite. Simple non ?
En tous cas, obligation d’être finishers. Cette course est là en vue de nous préparer pour la TransAlpine Run de septembre. Faire du volume, un « bloc » avec le raid du WE dernier.
Retour au gîte, sous le crachin.
A peine le temps de commencer à préparer le matos, la table est mise, le dîner nous attend.
Et là, Martine et Alain ne se foutent pas de nous. Dans la jolie cuisine nous attendent déjà 2 énormes saladiers de salade de riz. A l’attaque. Nous partageons le repas avec Yves (angevin) et Olivier (proche de Lyon), 2 ultra trailers s’étant rencontrés sur un trail à étape organisé par Dawa Sherpa dans ses montagnes népalaises. Bien évidemment nous échangeons sur cette magnifique expérience qui nous donne l’eau à la bouche. Nous qui ne savions que faire en 2015 (parce que, oui, 2014 est déjà bouclé…)… Nous papotons de nos anecdotes de courses, de notre idée de celle de demain, de la philosophie de trailers. Nos hôtes nous écoutent avidement. Ils découvrent « un autre monde » et s’intéressent sincèrement à notre passion. Ils échangent avec nous des histoires locales, des particularités des chemins et paysages qui nous attendent demain. Ils sont aux petits soins pour nous. Papa ne comprend pas pourquoi nous ne nous resservons pas du riz. Il n’avait pas compris qu’il s’agissait seulement de l’entrée. Arrive donc le plat de résistance. Des lasagnes aux légumes plus que succulents. Nous nous en gavons poliment (c'est-à-dire sans nous en bâfrer goulument). Lui succède une pizza aux fruits pour le dessert. Le plein de glucide est fait, je me demande même si on ne va pas déborder. Mais quel plaisir ce dîner. Nous n’avons pas eu de mal à y faire honneur.
Allez hop, au dodo pas trop tard, après avoir calé un sac le plus léger possible.
Lever à 3h30. C’est dingue comme un Gatosport beurk au chocolat passe mieux dans une jolie cuisine accompagnée d’un thé et de jus d’orange.
Dehors il pleut finement. La journée s’annonce humide pour nous comme pour les USDR.
Aurillac, 4h30, lendemain de fête de la musique, sous un temps de novembre, ce n’est pas gai. Les dernières « viandes saoules » de la fête de la musique côtoient les ultratrailers mal réveillés. Choc des loisirs. Mais sommes nous vraiment les plus raisonnables, à aller titiller les monts du Cantal si tôt un samedi matin, avec toutes ces inconnues qui se présentent à nous : météo, état du terrain, fatigue musculaire, sciatique (qui s’est tout de même bien estompée) ?
Allez hop, sas de départ. Le speaker interview les champions qui ne savent que dire et dont on se fout éperdument des réponses. Le directeur de course essaye de nous faire crier notre plaisir d’être là mais nous sommes gênés de réveiller les aurillacois déjà sous le coup de la fête de la musique. La musique rend l’âme sous la fine pluie qui tombe.

Allez hop, bim-bam-boum, c’est parti pour mon 5° ultra de plus de 100 km (le 6° pour Denis). On s’enquille les petites rues d’Aurillac, les escaliers, les portes cochères… Intelligemment placés dans les 100 premiers nous ne sommes pas coincés à ces rétrécissements. Ça monte direct, sans détour sur les collines surplombant Aurillac. Ce qui est appréciable dans cette ville, c’est qu’en courant à peine 5 minutes, on est déjà dans les prés. Mais que du coup on a déjà les pieds mouillés. Bon petit rythme sur les chemins. La frontale déjà focalisée à 5 mètres de nos pieds pour éviter flaques d’eau ou de boue. On trouve notre place, notre rythme, ça roule.


Ça continue à monter tranquillement sur les 7 premiers kilomètres, pour descendre ensuite sur Saint Simon par un petit chemin bien sympa où l’on s’éclate tous les 2. Une heure pour les 8 premiers kilomètres, ça va. Le terrain est très roulant, le jour est levé, mais pas le soleil. Nous sommes depuis le départ dans un brouillard opaque. Humidité maxi, impossible d’apprécier les paysages. Espérons que ça se lève.


Nouvel enchaînement de bosses et descentes, sur des sentiers aisés. L’impression de partir pour un simple trail de 20 km. Aucune réelle difficulté jusqu’à présent. A la faveur d’un arrêt impromptu je me fais plaisir à rattraper Denis en doublant nombre de coureurs sur ces descentes que j’affectionne. Celle vers Velzic et le 1° ravito est un pur plaisir. Dans un beau boisement de hêtres la forte pente nous offre un sentier boueux-terreux-feuillu qui permet à nos guiboles de se faire plaisir. A fond sur les talons.

Et nous voilà au km 17, où nous attendent papa et Ana frigorifiés, au bout de 2h17 de course. 136° place (sur 400 partants).

 Y en a que 2 qui rigolent...




Ravito rapide où j’emplis les poches de mon camelback de Cantal et de saucisson de pays. On prend les bâtons, et c’est reparti. Voilà la 1° vraie « bosse » de la journée. Un D+ de 800 mètres sur 14 km qui va nous amener au sommet de l’Elancèze.
Ça grimpe fort au début, ça s’adoucit rapidement, mais les bâtons sont bien utiles avec cette boue sur les sentiers. Côté météo, rien de neuf. Même purée de pois, rien à voir sinon les dos et fesses des trailers, la boue sur les chemins, l’herbe haute…bof. En montée on développe, personne ne nous reprend, les Renards enquillent. Passage au Col de Berganty avec une pensée pour notre hôte Alain qui, gamin, y a déchiré ses fonds de culottes. Là il se serait fait sermonner par sa môman des kilos de boue qu’il aurait ramenés. Un petit sentier de crête technique rompt enfin la monotonie de sentier « facile » empruntés jusqu’à présent. Dernier sèche montée. L’Elancèze est là. Enfin, on le sait quand on est dessus, car pas question de l’apercevoir plus tôt. Ça commence à en être monotone cette météo. Des bénévoles tout sourire nous accueillent, les valeureux. Début de descente. On croise quelques randonneurs bien couverts et aussi détrempés que nous, heureux malgré la météo maussade. Jolie descente là aussi, ponctuée de passages aménagés en bois au-dessus des clôtures. Denis n’est pas au mieux dans les descentes aujourd’hui, je l’attends à plusieurs reprises. Quelques spectateurs, ça sent le ravito. Traversée de jolies prairies au-dessus de Mandailles. Km 35, 5h24 de course, 143° position. Ana et Papa toujours aussi frigorifiés. Bon, là on prend un peu plus de temps. Soupes, sodas, Tucs, Cantal…remplissage des camel-back, « Nokage » des pieds pour moi, et on embarque les caméras Go Pro.
 
Là les choses sérieuses vont commencer. Le petit trail du dimanche matin, c’est fini, on rentre dans l’Ultra. Au programme, une boucle nous ramenant à Mandailles dans 23 km (pas de ravito entre temps), en faisant le tour de la vallée de la Jordanne par les crêtes. Mais les crêtes, il faut tout d’abord y monter (un 800 D+  pour arriver au Chavaroche), puis s’enquiller le Puy Mary, le Peyre Arse et le col de Cabre. La partie coton du trail. Je me dis qu’au vu des sentiers empruntés jusque lors on va pouvoir gérer, mais on va déchanter…
Allez, go dans la pente. Au revoir aux USDR, vite se réchauffer, et pousser sur les bâtons.


On démarre dans un ruisseau, vite dans un bois, puis des prairies.


Voici les premières vaches Salers sur le chemin, leur chemin qu’elles daignent partager avec ces étranges bipèdes.


Côté météo, une nouveauté : la commune de Mandailles nous a offert 10 minutes hors du brouillard…que l’on retrouve vite. Avec Denis on alterne en tête de notre binôme, pour donner un joli rythme, et faire exploser les petits groupes rencontrés.
Ces pentes, quoique parfois raides (mais courtement raides) sont bien loin de ce qu’on peut s’enquiller dans les Pyrénées…sans parler de l’Andorre. Alors on y est très à l’aise, et le rythme qu’on y met ne nous consomme pas, mais surprend nombre de trailers pour certains d’entre eux engagés sur leur premier ultra.


Je discute avec un angevin qui est dans ce cas là et lui prodigue modestement quelques conseils de gestion là, car il se pose beaucoup de questions sur la suite du trail. Denis à ce moment là, à qui j’avais pris 20 mètres, se l’a joue « droit dans la pente » pur style andorran en coupant un virage pour me rejoindre. L’angevin en est coi.
 
Bon, le Chavaroche, on l’approche, par une petite crête courante, qui semble être aérienne car grosses pentes sur les côtés. Mais on voit d’âle. Juste une once de nouveauté : un joli petit vent titille nos oreilles. C’est pas qu’on a froid mais on n’est pas loin de remettre les coupe-vents.
 
Dans la descente quelques névés de neige encore en place. J’y fais du surf.



On trottine aisément, mais le moral est un peu en baisse. On est en bonne forme mais très frustrés de ne rien voir du paysage. On s’est inscrit à cette épreuve pour profiter à fond des splendeurs reconnues de ces sites. Et là on a fait 4h30 de route pour « rien ». Rien à voir, pas un point de vue, pas un vallon, pas une perspective. Nada ! Juste le bout de nos pieds, quelques ruminantes, et les chasubles jaune fluo des bénévoles. Gggggrrrrr. Faut travailler le psycho.
Allez hop, descente, dans un premier temps tranquille.



On flirte avec une route, trouvons quelques spectateurs et un nouveau passage sur clôture (je ne sais pas combien de dizaines on en a passé !), et ça commence à changer. Oh non, pas la météo je vous rassure, mais l’état du chemin. On arrive dans la dimension mi-patinoire sur boue mi Aqualand en tourbières. Impossible de garder les pieds au sec. Chaussures maculées méconnaissables, chaussettes détrempées, pieds flétris. A cela commencent à s’ajouter des dévers désagréables, un faux-plat montant, un vent appuyé. Je me disais bien que cet Ultra se la jouait « petit bras » jusque là. Voilà qui change, enfin de la vraie technicité, de la difficulté. Les pieds, mollets, quadris, équilibre, concentration sont sollicités. Les 40 km dans les pattes commencent à un peu peser. Le rythme est moins soutenu, les réflexes émoussés. Chacun tombe à une ou plusieurs reprises. Tous pestent sur les trous d’eau narquois. Personne ne rigole. Et c’est là que ça devient bon. C’est là qu’il faut passer en mode gestion et faire parler l’expérience. Denis et moi naviguons à distance, chacun à son rythme, s’adaptant à cette difficulté. Enfin, voici la route, elle nous amène au pied de la montée du Puy Mary.


Ana et papa, emmitouflés pour lutter contre le vent violent. On ne s’arrête même pas, pour garder le rythme et ne pas se refroidir. Il fait 3°C, sans compter le vent soutenu. J’abdique et enfile la veste coupe-vent. Les moches marches menant au Puy Mary sont une originalité sur le parcours. Nos yeux habitués à la boue sont agressés par ce béton froid. Mais pas la peine de lever la tête, le Puy Mary si proche est invisible. Photo de touristes prise par Papa. « Au moins vous aurez une photo devant le Puy Mary ». Une photo de l’Ultra brouillard oui.



Allez, quelques centaines de mètres. Tient, une table d’orientation, ça doit être çà le Puy Mary. Putain que je suis frustré. Je rêvais du panorama à ce point. Je ne vois que brouillard et Denis qui vient toucher le graal. 44 km. Le gros du D+ est fait, mais il reste 60 kilomètres. Si ce n’est que du brouillard, ça ne va pas me faire marrer longtemps…

 

Allez, on se console avec une petite course de crête. Quelques descentes un peu techniques. Des faux-plats montant ou descendant parsemés de jonquilles. Un sentier pas toujours facile.


Passage du Pas de Roland, délicat, où il faut mettre les mains et faire un tantinet attention.



On y croise régulièrement des randonneurs courageux. Les muscles commencent à se faire sentir. Le PPA n’est pas si loin. Bon, rien de neuf sur la crête côté météo, on s’en doutait. Brutale ascension vers le Peyre Arse maintenant. Les Renards enquillent, comme d’hab’, personne ne résiste. 1806 mètres d’altitude, point le plus élevé de la course. Humidité et froid. Descente vers le col de la Cabre, aiguillés par de gentils bénévoles. Tient, un nouveau névé. Denis est joueur et passe tout droit…jolie glissade, il finit sur le derrière, à glisser sur 10 mètres ! Je fais le tour, pour plus de sécurité.


La descente est pentue, on se fait plaisir, mais elle est tout de même un peu technique. D’un coup, on ne l’espérait plus…la lumière du jour ! Aveuglés, nous voilà sortis des nuages !!! Devant nous la crête, autour des vallées verteuses ! Mince, on est vraiment dans le Cantal, c’était pas une blague ! Tellement surpris, on s’arrête, pour enfin profiter de la vue. Coooooolllll ! On va pouvoir regarder autre chose que nos pieds ! Enfin, pas trop quand même, car certains passages pentus dans herbe et cailloux méritent vigilance.


 
 On perd vite du dénivelé dans cette longue descente vers Mandailles. Puis un replat, on peut courir régulièrement, on passe des barrières, on admire les crêtes à l’opposé qu’on vient de passer il y a quelques heures. Passage sous le Puy Griou, cône minéral parfait. On retrouve les bois, ce qui annonce le fond de vallée. On a du gagner au moins 10°C.

 
Le chemin est long, semble ne pas finir…début de coup de fatigue musculaire. Route et petit village (Puy de Revel), on retrouve papa et Ana eux aussi réchauffés.


 


 On peut enlever la veste Mais le ravitaillement n’est pas là…encore 3 km…pppffff…ce ravito est attendu. Enfin, Mandailles ! Martine et Alain sont là, venus nous encourager. Cela fait bien plaisir de les voir ! 58 km, 10h42 de course, 161° position. Un peu plus de 5 heures pour faire ce tour par les crêtes, qui en effet semble être la portion ardue. On est pas aussi frais qu’au Mandailles du départ. Mais, immense récompense ! Ana est passée chez Guiguite, la célébrité de Mandailles. Epicerie de village connue dans tout le Cantal, dans tout le Massif Central…jusqu’aux plaines girondines pour son…millefeuille ! Merci mille fois Ana ! Pas le temps de m’asseoir ni de boire un coup. Je m’engouffre goulument ce monument de la gastronomie locale sous les yeux ébahis mais néanmoins envieux des spectateurs, le dégoût manifeste de Denis et les félicitations d’Alain. « Il avait dit hier soir qu’il le ferait, il le fait ».


Ce n’est que mon peu d’envie de risquer des troubles d’estomac un peu plu tard qui me fait résister à m’en enquiller un second…et puis en laisser un peu à Ana tout de même. Mais purée que c’est bon ! Je continue malgré tout par un mélange Cantal, saucisse, Tuc, orange, qui ne laisse pas le même goût de reviens-y à mes papilles. On papote un peu, se soigne les pieds, recharge les camels, quelques étirements et, sur le départ, nous voyons Yves et Olivier (nos comparses de gîte) arriver. Comme nous ils sont bien soulagés d’être là et de nous taper les mains. « On a besoin de réconfort ». Et oui, c’était bien dans cette portion qu’il fallait gérer. Ils ont en gros un quart d’heure de retard.

Allez, la bise, à plus. On repart, marchant, puis trottinant…c’est maintenant qu’on va voir si l’expérience paye. Très rapidement nous nous élevons sèchement. C’est une montée de 600 D+ en 4 kilomètres qui s’amorce, pour atteindre Le Piquet. On ne mégotte pas, doublant encore pas mal de concurrents (ceux en fait qui nous doublent au ravito car on y prend le temps).


Somptueux paysages autour de nous, enfin on peut profiter. Denis est à peine derrière, sortie d’un petit bois, un replat, virage à gauche. Wwwwaaaaoouuuu !!!! Une belle bosse à quelques encablures. Certainement le raidillon équipé de cordes dont on nous avait parlé. Certains concurrents sont scotchés, voir dépités en apercevant cela. Une espèce de cheminée herbeuse qui semble effectivement très raide, mais pour pas plus de 100 m D+. Je me retourne vers Denis pour lui faire voir. Grand sourire sur son visage ! Autant vous dire que nous on en raffole. Je me mets même à couper les lacets y menant (style andorran) pour l’attaquer de front et rapidement. Pas de répit, j’utilise au mini la corde, pousse sur les cuissots. Je souffle, j’arrache, j’ahane…mais que j’adore çà !!! La terre glissante succède à la boue, pas évident l’ascension. Arrivé à la crête, en ayant déposé 10 concurrents ! Mince, Denis n’est pas là. J’en profite pour nettoyer et passer de la crème sur mes pieds…les crevasses plantaires commencent à apparaître avec toute cette humidité. Voilà Denis, la gueule un peu en vrac. Il s’assied à côté de moi, pendant que certains traitent les organisateurs d’inhumains... Qu’ils aillent faire un tour à l’Ultra andorran et ils estimeront qu’au contraire ils ont été bien cléments. Denis a en fait envie de vomir depuis le départ de Mandailles. Un truc qui ne passe pas. Du coup la montée a été pénible pour lui, il n’a même pas pu en profiter. Mince !
Allez, la crête maintenant. Bien jolie, on peut y trottiner, mais en faisant attention. Petits passages techniques, ruines de bergeries, lumières magiques d’une fin d’après-midi. C’est beauuuuuuuu ! Descente raisonnable sur 5-6 kilomètres, puis bien plus raide, mais on ne lâche rien comme aime à dire Denis. Les gros cuissots du PPA sont passés, la gestion paye. Je regrette d’avoir laissé la Go Pro à Mandailles tient, car c’est vraiment sympa cette section.

Passage au hameau de Mazieux que les USDR ont réussi à trouver. Tout va bien pour nous, même si mes pieds commencent à s’allumer. Mince, le ravito n’est pas là, encore quelques kilomètres. Nous voici à pénétrer les gorges de la Jordanne, toujours en trottinant, en s’aidant maintenant de bâtons pour soulager. Magnifique parcours entourés par des falaises vertigineuses. La Jordanne y dessine son cours, les hommes y ont installé nombre de ludiques ponts en bois et escaliers pour la traverser à maintes reprises. Sentier d’interprétation, bucolique à souhait et très original. Voilà qui nous aère le psycho, nous mobilise l’attention pendant quelques hectomètres. Sortie des gorges en traversant une guitoune touristique où nous plaignons l’hôtesse présente qui aura à nettoyer le sol après le passage de 300 trailers (oui, car il y a déjà pas mal d’abandons). Ah voici le joli hameau de St Cirgues de Jordanne. Km 76, 14h30 de course, 157° place. On est bien, muscles OK, tête OK, pieds KO (pour moi). Pas grave, c’est juste une question d’habitude, et il ne reste que 30 km.

Un bon petit ravito à nouveau. Compotes et soupes. Le D+ est presque terminé mais il nous reste le col de Berganty à aller retrouver. Et les montées on adore. Alors c’est vaillants que nous voilà repartis sous les encouragements des USDR. Trottinage pendant un kilomètre, puis ça grimpe…toujours le même scénario, avec un Denis devant qui se met à enquiller sévère et des concurrents dépassés. On croise des vaches Prime Holstein dans un pré ce qui dénote après toutes ces jolies Salers. On récupère un concurrent mal en point, qui vient de vomir. On s’en inquiète mais son coéquipier gère la situation. On repart tambour battant. 10 minutes plus tard des bénévoles descendent en courant pour lui porter secours, avertis par tél portable. Nous atteignons le Col de Berganty, ravis de cette ascension. 8 places de gagnés. 149° position, 15h38 de course. Il est 20h38 des bénévoles allument un feu pour la nuit. Je raille Denis devant eux d’avoir été trop vite, ratant ainsi la grillade qui s’annonce. Dernier coup de cul pour atteindre le plateau du Coyan. Il est presque 21 h et c’est juste splendide ! Immense étendue de prairie où paissent les Salers. Tout autour les monts Cantaliens avec au loin derrière la chaîne du Puy Mary que nous quittons. Un long sentier descendant tout doucement. Il semble infini, traçant ce fil ténu au milieu de l’âme cantalienne : l’élevage bovin, la production du Cantal. Bon dieu que c’est beau. On se régale d’autant plus qu’on mène joli train, rattrapant d’autres concurrents. Les yeux, les jambes, les âmes se ravissent. Doux moments de flottement, d’euphorie, de béatitude. Et puis l’on sent que l’on touche au but avec ce jour qui décline, la « plaine » aurillacoise qui se dessine au loin.
On pense à ceux qui vont bientôt passer ici dans la nuit. Ils vont rater un beau paysage, et se farcir une si belle section de jour qui se transformera en bavante monotone de nuit. Encore une tripotée de passages sur clôtures. On bifurque à droite, on tombe dans la vallée. Dès les premiers pas dans les sous-bois la pénombre est là. On ne lâche rien, une clôture où Denis prend le jus, une jolie prairie descendante…tient voici les USDR ! Ils viennent de rencontrer, avec 2 bénévoles sur ce bord de route, l’agriculteur un peu furax du cheminement sur ses prés. Pourtant l’organisation a eu tous les accords des proprios.
 

Allez hop, on file dans la prairie. Les bois. Denis file devant ayant allumé sa frontale depuis un moment. Je me contraints finalement à faire de même, histoire de ne pas me blesser bêtement. Un village, enfin, le ravito. Et bien non, il nous est indiqué à 3 kilomètres. On vient de faire une super section depuis le dernier arrêt. On se sent bien, contents de notre gestion. Mais je commence à vraiment souffrir de mes pieds. Je sens poindre une ampoule à un talon et surtout les crevasses de la plante des 2 pieds très très douloureuse. Il faut juste imaginer qu’à chaque pas on vous enfonce 20 aiguilles dans la peau sur les pieds. C’est réellement çà. Et il reste 13 km. Ppppfffff…ça me saoule, parce que si je n’avais pas çà je serai en capacité d’avoir encore un bon rythme. Mais là c’est trop sensible. Les 3 km sur faux-plats se font à la caboche, en me disant qu’on a vécu bien pire. Bien plus mal pendant bien plus longtemps. La Ronda n’avait rien de comparable, dans son intensité, son immensité, sa difficulté, sa souffrance, sa solidarité, son ivresse.
Voici St Simon et son tilleul séculaire et majestueux planté par Sully (vers 1600 !) qui nous accueille.


Dernier ravito. 96 km, 17h30 de course (22h30), 137 °position. On a mangé 12 larrons sur cette portion. Mais pas mal nous doublent pendant la halte car j’ai besoin de me refaire les pieds. Des assistants annoncent 1h15 pour finir ces 10 km, je pense qu’il va me falloir plus longtemps. Notre objectif d’arriver avant minuit s’envole, purée de pieds !!! Là je suis en train de promettre à Denis que je ne pourrais pas faire le Tor des Géants en 2014 avec mes pieds de naze. C’est trop bête. Promis j’essaye le talc la prochaine fois. Ça fait 2 fois qu’Ana et Papa me le disent.

On repart dans un groupe de 6. Un kilomètre d’échauffement, et Denis passe la 5°…On décolle dans la montée. Zarrivent pas à suivre les lascars. Je m’accroche comme je peux. Surtout dans les descentes où je lui demande de temporiser. Mais j’ai toujours un œil en arrière pour voir si personne ne revient. C’est naze, on a rien à gagner sur cette course, mais c’est probablement une histoire de fierté perso de ne rien lâcher, de finir au max de mes potentialités. Fin de la bosse, le halo d’Aurillac est visible. Prairie, descente en lacets en foret, route. On aborde Aurillac par l’est, mais il faut aller jusqu’à son extrémité ouest. Heureusement que je le sais car ces fins de course à l’approche de villes sont difficiles, car on croit toujours être arrivés. 10 km interminables, la dernière montée vers le Puy Courny se fait attendre. La voilà, en même temps que la pluie revenue. Partis sous l’eau, arrivés avec. Dernière minuscule montée, toujours à bloc. On veut couper, on se retrouve bloqués par une clôture. Il faut passer dessous en rampant. Le Puy Courny, D+ terminé. Il faut redescendre vers Aurillac. Quand je sens l’écurie c’est toujours pareil, j’ai besoin d’accélérer, de ne rien regretter. Mais là c’est Denis qui bloque. Nos biorythmes ont été un peu décalés sur cet ultra, mais on a encore su faire une belle course ensemble. En symbiose, sans anicroche aucune, avec immensément de plaisir. Toujours le même pied d’être tous les 2 pendant des heures. Juste être à côté l’un de l’autre. Pas besoin de parler, juste de partager, de s’apprécier.
Rondins à passer, route à franchir, une dernière prairie détrempée, pleine de boue. Les faubourgs d’Aurillac. Plus que 2 kilomètres, on ramasse 3 concurrents au bout du rouleau. Ça trottine. Derrière au loin 2 frontales. « Denis, y a du monde au cul »…On accélère. Aurillac la nuit, rien à y voir, pas d’émotion, c’est vide. Mais tous les 2 on s’enquille la dernière ligne droite, confiants, épanouis, rassurés sur notre état de forme avec si peu de longues sorties (Pyrénées impraticables cette année).


On s’en sort bien, même si bien marqués aux guiboles tout de même. On ne prétendait à rien aujourd’hui, mais on a rempli notre objectif : finir, s’envoyer, profiter, préparer la TransAlpine.

Couloir d’arrivée, Ana et papa sont là. Les pauvres, ils ont eux aussi enduré une sale journée. Il faut préparer nos arrivées à la TransAlpine, alors on décide de faire les derniers 15 mètres en courant à reculons. Et voilà, c’est fait. 19h45 de course 146° sur 400 partants (288 finishers). C’est pas trop mal. Pas d’euphorie comme sur d’autres arrivées. Juste le sentiment d’un job bien fait.
Dernières mesures physiques pour la recherche doctorale. Les gentilles bénévoles me donnent mon cadeau de loterie : une bourriche de produits locaux. Décidément on y est abonnés après le lot PPA ! De quoi avoir de quoi remplir nos panses en famille pour le repas de fin de saison. Récup’ de la polaire de finisher et on file sans même manger ou se faire masser à la maison. Il fait humide, froid, on se refroidit et raidit très vite.
Papa nous ramène à bon port. Dernières marches d’escaliers, douche qui fait un bien fou, quelques étirements. La couverture n’est pas de trop pour réchauffer des corps si frigorifiés de fatigue. Lit tant attendu, sommeil éclair.


9h30, Denis vient me réveiller. Un petit déj gargantuesque nous attend paraît-il. Lui a eu le temps d’aller marcher un peu pour se délasser. En bas tout le monde est là. Yves et Olivier on finit presque ensemble à 1h et 1h20 de nous. Yves à réussit son pari et vengé son abandon de l’année dernière.
Le petit déj est immense, je ne sais par où commencer (tout n'est pas sur la photo) :


Céréales, tartines, croissants frais, fruits, charcuteries, bacon et tomates au four, œufs au plat thé, chocolat, café, jus de fruits… Mille fois merci Martine et Alain pour votre accueil, votre disponibilité et ces petits rien qui ont fait beaucoup. Nous prenons plus d’une heure au petit dèj, tous radieux. Dernière photo de finishers sous la pluie cantalienne.
 
 
 Il faut déjà repartir, quitter ce petit cocon, notre demi frustration de tant de paysages manqués, notre satisfaction d’un nouvel ultra terminé, notre plaisir d’être ensemble.
L’asphalte défile, si facilement. Comment faire comprendre que malgré tous ces trajets, ces difficultés, ces sacrifices, de tels efforts sont notre moteur psycho, notre passion, une de nos raisons d’être ? Courir 100 kilomètres sur des chemins, qu’importe la météo, en se levant bien avant l’aube, pour finir à pas d’heure, transpirer, haleter, souffrir…ce n’est pas si inimaginable, extraordinaire, insensé, inutile pour nous. C’est ce que nous aimons, ce que nous voulons, ce dont nous avons besoin. Des objectifs raisonnables, parfois à la limite de notre notion du réalisable, mais toujours préparés et surtout partagés. Rien d’irrationnel là-dedans ni de masochiste. On vous rassure, mais bous le savez, on AIME çà.
Ces quelques lignes ici couchées pour tenter de vous le faire comprendre. Les USDR l’ont compris, ont est sur la même vibration. Autant de plaisir pour eux de nous voir courir et de se voir courir à travers nous, que pour nous d’arpenter les chemins. Toujours le même plaisir avec eux de partager cela, comme avec nos rencontres d’un jour…Martine, Alain, Yves, Olivier…et les vaches Salers.
A bientôt sur les chemins.

2 commentaires:

  1. "Pâle et rissolé de confusion matinale il tituba au soleil, peu sûr de ses jambes et la nuit glissa à sa suite [...], hésitante tel un halètement dans la bure du brouillard."
    (Joyce Mansour, Dolman le maléfique)

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  2. Salut Baroudeur
    Agréable promotion pour le Cantal "le fromage bien sûr"
    Vu le programme que tu envisages, je te conseille pour souffler
    un peu, de faire la promotion du Gouda, le dénivelé est plus cool!!!
    Jean-Paul

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