Ronda dels Cims Episode 3 - Un voyage
inattendu 2017#LeHobbit#Mordor#Apostolos ;)
C’est la 3° fois. La 3° fois que
nous venons dans ces montagnes andorranes, majestueuses, fascinantes,
envoutantes, addictives. Quelques jours avant pour profiter des paysages et des
attraits du pays, pour aller se gravir le Comapedrosa (2942 m ) avec Pey en guise d’échauffement,
de s’habituer à l’altitude et faire des globules.
Et puis le mercredi assister au
départ de Wil’ et Pat’ mes potes qui participent à l’Euforià, nouvelle course
imaginée par Gérard de l’Andorra Ultra Trail, qui leur fera cheminer 230 km et franchir 20 000 m D+ en 4 jours sur
un parcours dantesque. Je ne relaterai pas là cette aventure leur laissant le
plaisir de le faire. Mais cette mise dans l’ambiance, 2 jours avant mon départ,
la petite assistance que je vais leur faire pendant un jour et demi, les
échanges avec Martine, Olivier, Apostolos et sa team Cheroulane, me permettent
de relativiser sur ce que je vais engager.
Le profil de la course (click pour agrandir), et mon stop en 2016 à Inclès
Les conditions ne sont pas optimales
pour nous deux, même si notre début de saison a été sympathique. Mais nous
sommes moins entraînés, plus fatigués. Nous ferons donc ce que nous pourrons…
Denis ne me cache pas ses 2 angoisses : vivre le même calvaire que l’année
dernière où il a avait eu les plus grandes peines à s’alimenter, faillit
abandonner, et terminer la course sans prendre de plaisir du 1° au dernier kilomètre. Sa 2° inquiétude
concerne l’assistance que nous n’auront pas cette année. Laeti, avec Pey et
Martin, ne pourra nous voir qu’à Arcalis en début de course, et peut être au Pas
de la Case selon l’horaire. L’habitude d’être chouchoutés pendant ces courses
va nous manquer, il va falloir se débrouiller « comme des grands ».
Click sur photos pour les agrandir
Matos nécessaire pour une Ronda - Cherchez l'intrus :)
Vendredi, sas de départ où l’on
croise des têtes connues, Francky venu nous encourager, le champion Antoine
Guillon qui veut toucher les 32 heures, Valérie et Gérard le couple organisateur
à qui Laeti présente Martin, la relève des Renards.
Contrôle matos
Petits Renards, made in Laeti
Dernières embrassades
rituelles et légers pleurs de Pey qui sent lui aussi toute l’émotion de cette
course, accolades avec Denis. Et puis voici, les géants, la musique, le feu
d’artifice…je chiale ! Incroyable l’effet que me fait cette course, à
chaque fois.
Allez zou, c’est parti
Denis est serein, rassuré,
sa forme est là. Les jambes et le bide répondent bien. Pour moi çà roule aussi,
même si j’ai les jambes un peu lourdes, un sérieux manque de sommeil, et le
sentiment que mon état de forme est moindre que l’année dernière. 2h30 de
course, dans cette grande et belle montée, toujours surprenant de voir les
différents états des coureurs. Certains déjà hors de souffle, d’autres se
posant déjà sur des rochers…alors que çà vient juste de commencer.
3h25 de course, nous voici à
Collada Ferreroles et son superbe panorama. 10 minutes de retard par rapport à
2016 (13 pour 2012). Mais tout va bien, pas de souci, on entame la descente en
bonne forme. La météo est clémente avec un ciel bleu légèrement couvert,
température idéale.
Refuge de Sorteny, km 21, 10h54
(3h54 de course), retard de 15 minutes (2016), 193° place. On prend le temps de
se restaurer et de faire le plein des gourdes avec de l’Aquarius. Je retrouve
mon Aquarius fétiche, qu’on ne trouve pas en France, et que ma chère couz’ Alix
me ramène de Belgique ! Le bonheur quoi. Un petit coucou à la caméra. La
veille Marjo m’a fait promette de la saluer aux caméras qui retransmettent en
plusieurs points la course en streaming. On s’exécute avec Denis en faisant des
grimaces. « Coucou Marjo, tout va bien pour nous !».
On repart, dans le vallon de
Rialp, çà y est le peloton s’étire. Je préviens mes problèmes de pied avec un
talcage régulier des chaussettes. J’ai choisi de commencer la course en Inov 8
Terraclaw, qui conviennent très bien à mes pieds larges à l’avant. Elles sont
légères et réactives. Le seul défaut est l’absence de pare-pierre devant, du
coup il faut bien faire gaffe où je pose les pieds. La semelle est pas super
épaisse non plus, mais pour ce début de course ça ira. A la 1° base de vie je les
troquerai avec mes Altra Lone Peak, certes en 0 drop (pas de différence de
hauteur de semelle entre l’avant et l’arrière du pied) mais d’un chausson
inégalable pour moi et d’une épaisse semelle. J’espère avec tout çà repousser
ma limite de réel inconfort des pieds au-delà de ma barrière fatidique des 100 km . Pour l’instant ça
fonctionne bien.
Frères d'Ultras
Denis baisse un peu de régime dans
la montée vers le col Portella Rialp. C’est marrant lors des 3 éditions ça a
été la même chose au même endroit. Un autre mec est encore plus mal, en panne
au bord de la route, on l’encourage. On observe autour de nous les crêtes où
Wil’ et Pat’ sont passés durant l’Euforià. Denis me dit : « j’avais
laissé la porte entrouverte pour cette course, mais avec ce que j’ai vu depuis
2 jours, elle s’est refermée… ». No comment !
Bah là, si y a pas surprise…
Voici le col (km 26), et sa vue
splendide sur Arcalis au loin. On attaque la belle descente, et presque en bas,
à 50 m de
l’année dernière, Denis est à nouveau pris de crampes au psoas. Pause + sel.
C’est dingue ce concours de circonstance. Il m’avoue avoir eu un coup de mou
dans la descente. Mais je vois bien dans la suite de ce parcours chaotique
jusqu’à Arcalis que çà ne s’améliore pas. Il n’a pas le rythme que je lui
connais. On chemine néanmoins.
L'arrivée sur ce magnifique plateau
D’un coup j’entends un
« Allez les Renards » tonitruant ! Je m’attends à voir Francky
et Martine nos amis trailers, mais je ne les reconnais pas. La silhouette
ressemble plus à celle de mon père. Mais oui, c’est mon père ! Et à côté
ma sœur !!! Moment d’incrédulité, je m’arrête net ! « Mais
putain, qu’est ce que vous fouttez là » ???!!!! Je me tourne vers Denis
lui aussi surpris. Je cours vers ma sœur qui vient à ma rencontre et nous nous
enlaçons.
Une putain de surprise !
Ils nous font la méga surprise d’être venus nous encourager à nouveau
pour cette 3° fois. Eux aussi sont addicts à cette course. Quelle joie !
C’est génial ! On va encore partager plein d’émotions ! Voilà un
nouveau moteur pour nous. En sus ils vont pouvoir soulager mentalement Laeti et
probablement nous assister. Comme dit Denis une fois au ravito :
« Alors là, ça change tout ». Et moi de lui répondre « tu vois,
tes 2 angoisses sont levées ». Grande accolade avec papa. A 73 ans, il va
passer 2 nuits et 2 jours à nouveau à nos côtés. Et çà, si c’est pas de la
passion…
Je retrouve Laeti, Pey et Martin.
Sacrée Laeti, elle m’a bien eu. Elle était seule à être dans la confidence
depuis une semaine, elle est hilare et sacrément heureuse la cachotière.
Les USDR, fiers d'eux !!!
Assistance = Sourire
Comme un sentiment de poisse, de désillusion, et de grande tristesse
Allez zou, on repart pour le col
de Cataperdis, mais Denis fait la moue, manifestement il n’est pas au mieux. Dès
les premiers hectomètres, malgré les encouragements des USDR, le rythme n’est
pas là.
Pey, avec nous
Pey chemine un peu avec nous avant l’attaque du pierrier, et la grosse
pente. Sans m’en apercevoir, en quelques minutes je distance conséquemment
Denis… Je l’attends, calé contre un rocher, les jambes en l’air, les yeux clos.
Mais au bout de 10 minutes il est encore très bas. Il finit par me rejoindre.
«Sylvain, ça recommence…. ». « Quoi ? ». « Je n’ai
plus rien dans les jambes… J’ai réussi à manger à Arcalis, mais là le bide ne
veut plus rien savoir ». « Merde ». Petite pause.
On repart. Je me cale derrière
lui pour qu’il prenne son rythme. Et ce rythme est…très lent. Re-stop, comme
l’année dernière, au même endroit. « C’est pas vrai putain ! Je revis
le même calvaire ! Casse toi Sylvain, fais ta course». « Ah non, ça
on l’a déjà fait l’année dernière, çà ne m’intéresse pas ! On fait la
course ensemble, on se l’est dit ! Moi je m’en fous du reste, on gère çà
ensemble». « Pppppfffff, je ne comprends pas pourquoi je suis comme çà
encore ! ». « Allez Denis, on monte au col on se posera là-haut
et on verra ». « Oui, vas-y, je me repose un peu ». « OK,
je t’attends là-haut ».
Et là-haut je vais l’attendre
plus d’un quart d’heure. Le temps d’admirer le paysage, de manger, de voir
passer nombre de concurrents, et même de faire une mini sieste. Je fais
demi-tour, il est là, déconfit. On s’installe dans l’herbe du col, j’essaye de
le faire manger, mais je lis le désespoir dans ses yeux. « Sylvain, je
m’en fous, je vais dormir une heure et on verra après ». « OK ».
Il s’allonge et s’assoupit vite, alors que nous avons à peine fait 8 heures de
course.
Pendant ce temps j’envoie un SMS
à Marjo, pour la rassurer. Ils doivent s’inquiéter de voir notre position fixe
(j’ai une balise suivi GPS avec moi). Les concurrents passent par grappe. J’en
profite pour manger et m’étirer à nouveau, contempler en ce point le formidable
paysage et faire le guide à certains trailers sur la suite du chemin, mais le
cœur n’y est pas. Oh pas pour moi, même si je m’ennuie un peu, mais pour Denis
qui est au plus mal. Je regarde le chrono, et nous sommes déjà bien en retard
sur son temps catastrophique de l’année dernière. Je commence à calculer les
barrières horaires…et même si on a encore de la marge il va falloir prendre une
décision. Je le réveille au bout de 30 minutes de sieste, le force à manger, et
à basculer dans la descente.
Descente peu technique, mais il
marche, sans aucune force. Nous sommes en mode rando. Je retrouve les papys aux
lacs de l’Angonella avec leurs labradors. Ils étaient justement en train de se
dire « Tiens on n’a pas encore vu le type qui nous salue chaque
année… ». On papote, jolie rencontre, qui ne redonne même pas le sourire à
Denis. Je lui fais boire de l’eau fraiche aux ruisseaux ou aux névés, mais pas
mieux. La montée vers le Clot del Cavall est toujours aussi pénible pour lui.
Là-haut, sur la crête, dans la descente malgré le paysage splendide, il ne
profite de rien.
Dans les pierres d’après, je
prends la décision d’être honnête avec lui. « Denis, avec le retard qu’on
a par rapport à l’année dernière, la barrière horaire de sortie de la Margineda
va se réduire dangereusement si çà ne s’améliore pas ». « De toutes
façons, même si là j’ai eu un léger coup de mieux, je sais que ça va pas durer
longtemps. Je ne veux pas revivre le même calvaire. Je ne veux pas continuer».
Je lui annonce qu’il y a deux possibilités d’échappatoire proches si il le
décide : le Pla de l’Estany avant l’attaque du Coma et le les Bordes de
Prat Nous, juste avant, où un sentier mène direct à notre appart’.
« Descendons là-bas et nous aviserons ». Dur, mais je préfère lui
donner toutes les cartes en mains.
On arrive aux cabanes, je lui
demande sa décision, qu’il me confirme. On fait le nécessaire avec les
bénévoles pour procéder à l’abandon. Je prends en main l’appel au PC course,
l’enlèvement de la puce du dossard et le coupage (difficile dans tous les sens
du terme) de celui-ci. Denis n’en a je ne suppose pas le cœur, et je préfère le
faire plutôt que le lui faire subir par les gentils bénévoles. Il est à peine soulagé,
toujours abattu. Je le guide pour le sentier de retour à prendre, lui donne quelques
consignes, téléphone à Marjo pour la prévenir. On échange quelques paroles, et
le cordon se coupe. Je suis soulagé pour lui.
La chevauchée fantastique, en solitaire
Je ne m’éternise pas ici, juste
le temps de me repoudrer les pieds, remplir les poches de bouffe et d’eau,
d’ingurgiter du bouillon, de doubler 10 autres concurrents en stand bye au ravito
et de m’attaquer à mon morceau de choix : la très raide montée du
Comapedrosa de 3 km
et 900 D+ ! Et bien, ça ne va pas faillir, je vais totalement m’y éclater,
encore mieux que l’année dernière, boosté par la cornemuse que j’entends à
partir du dernier tiers. L’année dernière j’étais monté en 1h30 pile, déjà bien
en forme. Là, je la boucle en 1h19, doublant 35 concurrents. Je prends un pied
immense, même dans le dernier raidillon fuyant, en encourageant 2 françaises pleines
de pep’s.
Au sommet la cornemuse est en
fête, les 4 bénévoles très guillerets, ce qui contraste avec l’an dernier. Et
voilà, 2 ascensions du Coma en 5 jours. Je pense à mon Pey avec qui j’étais au
sommet dimanche. Petit gaillard de 10 ans qui en avait épaté plus d’un et qui
est en train de mater le sommet avec les jumelles depuis l’appart’ à Arinsal.
Je reste pendant une minute à faire de grands signes avec mes bâtons pour qu’il
me voit 1400 mètres
en contrebas, et çà fonctionne (il me le dira ensuite).
Au sommet, 5 jours avant = bonheur !
Au chrono j’ai 1h17 de retard, je
suis en 245° position. Stratégiquement je me dis que je vais fonctionner par
tronçons de course désormais. J’ai les repères chrono de l’année dernière, et
j’espère pouvoir faire pour la plupart aussi bien. Mais au vu de ma forme en
2016 je me doute que ce ne va pas être possible partout, surtout entre le Coma
et Pic Negre (trajet de 50 km )
où j’avais carburé sévère.
Heureux comme tout, en pleine bourre, j’attaque la descente technique par où nous étions passés avec Pey.
La même descente, faite avec Pey, qu'on distingue
Tout roule dans la première partie technique de la descente, puis sur le sentier. Je calme les ardeurs sur la neige de l’Estany
Negre et en profite pour me rincer l’œil. Toujours l’un des plus beaux sites de
la course pour moi.
Fabuleux Estany Negre, 1° névé pour Pey :)
Je reprends quelques concurrents nous ayant doublé à la
suite d’Arcalis. Idem dans la partie sinueuse ensuite, puis jusqu’au refuge du
Coma. Je revois quelques grosses pierres que j’avais repérées avec Pey, justement
pour cette descente. C’est fun, ça fait passer le temps.
Mini grimpette jusqu’au refuge et
m’y voici à 21h07 (14h de course, km 51, 1h13 de retard, 229° position). J’ai
repris 16 places dans la descente (moitié de doublés, moitié d’abandons
devant moi). Je m’engloutis la bonne soupe avec des pâtes, mon combo
olives/fromage rituel à cet endroit, recharge le camel et sort vite dehors pour
faire quelques étirements. Je n’aime pas rester dans les refuges, il y fait
trop chaud, on s’engourdit vite, et on n’a pas envie d’en repartir. Pit-stop
somme toute assez rapide et je sors la frontale puisque la nuit ne va pas
tarder à se pointer.
En solitaire, avec tous les miens
Béatitude d’un crépuscule en
altitude. Le beau silence de montagne m’accompagne, juste rompu par le bruit
des bâtons et le souffle court de quelques trailers dépassés. Me voici
rapidement à la crête de la Portella Sanfons d’où j’embrasse du regard toute la
partie nord de notre périple. Quel pied putain !
Pendant ce temps là, au port de Cabus...
Il fait nuit, mais mes
yeux habitués à l’obscurité gèrent encore bien la situation. Je continue en
trottant vraiment, surprenant sans lumière les concurrents dépassés. Finalement
j’allume sur la crête de l’Ovella que je passe bien mieux qu’en 2016. Voici la
courte mais raidasse descente vers le Port de Cabus. Il est 22h40, j’ai toujours
1h10 de retard. J’hésite à lancer un « Jean-Pierre, tu paies ta bière »,
mais ma famille belge n’est pas là cette année. Jean-Paul, Anne-Marie,
Alix : c’était beau au Port de Cabus encore J
Pey, Marjo, papa m’y attendent et
me donnent des nouvelles de Denis, Wil’ et Pat’. Je file vite dans la descente/remontée
vers le col de la Botella. 47 minutes pour ce faire, 2 minutes de mieux qu’en
2016…l’avantage de connaître le parcours…lol. Les vaches sont toujours là, les
dévers « pête cheville » aussi.
Le Renard sort de la nuit
Col de la Botella et ses tables
extérieures, son brasero…mais ses soucis d’électricité. La soupe a disjonctée
elle n’est pas prête, je vais la bouffer avec des légumes presque crus…
Pey : 1° supporter, fidèle assistant, la relève...mon moteur...mon bonhomme 💓
Ce col marque
en général le soin de ma 1° ampoule. Mais là, que nenni ! Je nettoie les
chaussettes, inspecte les pieds…rien du tout. Je semble avoir trouvé la
solution : talcage + chaussures à pied large. C’est un souci de moins.
Il partirai bien avec moi le bougre....
Je récupère pas mal de monde
encore, plus quelques uns dans la montée du Bony, avant de subir un mini
passage à vide à quelques encablures de la crête (comme l’année dernière). Un
gel, quelques fruits secs, et je repars, avant de me caler derrière trois concurrents
qui m’avaient repris peu avant. Nous voici sur la crête, majestueuse,
grandiose, aérienne, jubilatoire…que j’aimerai tant faire de jour (je vous
envie Wil’ et Pat’). Nous arrivons au Bony à 01h16, 170° (35 places gagnées et
10 minutes de moins). Je commence à m’étonner de gagner systématiquement du
temps sur l’année dernière. A ce rythme là je vais presque pourvoir sortir de
la base de vie de la Margineda en ayant repris une heure de mon retard…
Bienvenue en enfer !
Bon, c’est pas tout, maintenant,
encouragés par les joviaux bénévoles, nous devons basculer dans la terrible
descente, et mieux vaut rester concentré… Je passe devant les 3 autres types en
disant : « Et maintenant, bienvenue en enfer ! ». Ils ne
réagissent pas, je comprendrai plus bas que c’est leur première descente vers
la Margineda… Dans cet enfer, en 2012, Denis s’y est gamellé 12 fois, l’année
dernière je m’y suis vautré une seule fois, mais çà m’a bien amoché. Alors je
pars prudent, mais décidé. Tout se passe bien, je préfère prendre un peu de
distance sur les autres pour éviter leurs glissades ou pierres fuyantes. Ca
glisse sur les talons, je mets les mains, j’accroche les chaines spittées…le
premier kilomètre est vraiment technique. Les deux seconds le sont tout autant,
mais moins vertigineux. C’est à la sortie du dernier, qu’un peu soulagé et
déconcentré je me fais une jolie glissade, bien négociée…ouf…ma 3° descente du
Bony s’est bien passée.
Mais elle n’est pas finie, je retrouve
à travers bois les 2 autres comparses et, en tentant de courir, ils m’exposent
leur incrédulité sur la difficulté de la course mais leur béatitude sur sa
beauté. L’un : « putain mais le GRP c’est de la rigolade à côté !
». L’autre « j’ai fait le marathon des sables, le Tor des géants, la
TransAquitaine, mais là c’est hard quand même »… Moi : « et ce
n’est pas fini les gars…le plus beau est à venir dans le Madriù ». Bon an mal
an on chemin jusqu’au village de Aixàs où nous rattrapons 5 coureurs, puis
motivé à courir je les lâche dans la montée du col Jovell et retape 3 mecs dans
la dernière partie de l’interminable descente vers la Margineda.
Je suis toujours aussi à l’aise,
pas de douleurs aux pieds, mais les cuisses et mollets commencent à taper.
C’est à 3h06 du mat’ que je retrouve Denis, papa et Marjo à l’entrée de la base
de vie, en courant. Je suis descendu en 1h50 du Bony, 10 minutes de mieux qu’en
2016 (pour info le meilleur temps dans cette distance stratosphérique est de 1h
pile…y a du boulot !). 20 h de course et 14 places reprises.
Différentes grimaces
Fin du 1° acte
Comme toujours l’ambiance est
spéciale dans la base de vie toute éclairée. Gros contraste avec l’intimité
sombre de l’extérieur. Ici, du monde, mais peu de bruit. Chacun s’affaire
doucement ou prend du repos dans un coin. Je retrouve Jean avec ses assistants.
Il est un peu fatigué et m’avoue avoir du mal à s’alimenter. Nous échangeons un
peu, nous encourageant, mais je ne tergiverse pas et file rapidement sous la
douche.
Marjo, queen des selfie et des surprises...
Etirements et restauration
Mes 3 assistants de luxe m’aident à tout
ranger, organiser, remplir, soigner (toujours rien aux pieds !!!), et
c’est avec mes Altra que je me présente 1h22 après y être entré au portique de
départ, pour le 2° volet de cette aventure.
Je « bip », et même sans
rien faire j’ai repris 19 places. 137°. Depuis la séparation avec Denis,
en 10 heures, j’ai repris 170 places ! Les abandons s’accumulent
bigrement alors que la course ne me paraît pas plus dure que l’année dernière.
A la naissance du second jour
Je retrouve la nuit avec délectation.
C’est mon univers, celui des Renards, de mes frères de raids/trails Eric et
Denis. Je pars dans une ambiance qui m’est appréciée, sur des sentiers que je
connais, pour une issue qui m’est encore inconnue.
Je n’ai plus que 38 minutes de
retard mais je ne veux surtout pas m’emballer, car j’étais physiquement encore
mieux l’année dernière et pourtant je ne suis pas allé au bout. Alors, lorsque
je quitte mes USDR (Ultras Supporters Des Renards), je me focalise sur la prochaine étape (Coma Bella), et
l’énorme bugne qui m’attend à la sortie de l’asphalte du fond de vallée. Histoire de
vous remettre directement dans le bain, les Cims Magics ne vous laissent qu’un
kilomètre presque plat de répits, en croisant les voitures éberluées à 4h30 du
mat’.
De suite, c’est le mur ! Un
600 D+ très très costaud que je redoute un peu. Il m’avait « tapé »
l’année dernière, et avait explosé Pat’. Alors j’y prends mon rythme. Je passe
vite un français posé sur un rocher, qui fait la sieste. Je prends de ses
nouvelles tout va bien. Je reprends un autre français un peu plus loin, puis
plus rien.
Plus rien jusqu’à ce que j’entende
un souffle rauque derrière moi. Je m’y attendais à cet endroit, le 1° du Mitic
(trail de 112 km
qui emprunte une partie de notre parcours) est sur mes talons. Et là ça ne
rigole pas : complètement penché en avant, à fond sur les bâtons, il
enchaîne les pas à une vitesse folle, le souffle court, mais certainement alimenté
par un 3° poumon. Je l’encourage « Venga, bien, bien ». Il me répond
« Rhhaaa, rrrhhhaaa… ». Je crois comprendre qu’il est à fond à son
47° kilomètre. Il me dépose littéralement, si bien qu’en 3 minutes, je
progresse à nouveau dans le silence. Je rattrape un français qui, comme moi,
est bluffé. Certainement rien comparé à ce que m’avait raconté Denis, doublé
l’année dernière par le 1° Mitic dans la descente du Bony vers Margineda :
« Sylvain, il faut le voir pour le croire. Les mecs ils volaient de
pierres en pierres ! ». 15 minutes plus tard, juste avant la jonction
séparant nos 2 parcours, je vois ses deux poursuivants également me doubler,
eux un peu originaux en me répondant « Ggggrrahh, ggggrraaahhh »,
certainement donc un peu plus fatigués.
Voilà. A la bifurcation de
Cortals Manyat, comme je l’attendais, les premières lueurs bleutées de l’aurore
apparaissent dans le ciel. Cet instant magique où l’on bascule dans une autre
journée de course, après une nuit passée dehors. Ca te donne un coup de pied au
cul terrible ! Ca tombe bien, on descend par de la piste, les escaliers de
Certers et la route vers Llumeneres. Je me retape le bidou en y faisant de la place
puis en le remplissant, notamment d’eau que je tire au robinet du garage d’un
chalet ouvert, juste à côté du banc à mon Lolo J .
Puis revoilà la cascade où je
m’abreuve, les champs de tabac arrosés, les quelques fermes, et la vraie lueur
du jour. Encore quelques kilomètres avant Coma Bella où je double encore et
toujours. Je retrouve des gars avec qui nous avons cheminé sur les 20 premiers
kilomètres de course, notamment un toulousain à casquette aveyronnaise. Voilà,
je me retrouve à « mon niveau », avec les coureurs qui avaient notre
rythme au début. Je me doute que cette section doit paraître bien longue quand on
n’est pas au top’.
Je ne lâche rien jusqu’au ravito,
où je pointe à 7h37 du mat’ (24h de course, km 87 km , 116° position, et hop,
20 places dans la musette, même chrono sur la section).
Denis, papa et
Marjo sont toujours là, mais un seul d’entre eux peut rentrer dans l’ambiance
feutrée du resto. Une douzaine de concurrents sont ici, dont 2 en train
d’abandonner. Je retrouve Jean, arrivé peu avant, un peu déconfit. Il n’arrive
plus à s’alimenter depuis longtemps. Je l’encourage au mieux, essaye de lui
faire au moins prendre de la soupe et des olives, et éviter les œufs… Il sait
très bien lui-même qu’il faut prendre le temps, et que tout peut rentrer dans
l’ordre assez vite.
Je tente de me restaurer au plus vite mais les bénévoles
sont un peu fatigués (je ne leur en veux pas). Etirements rapides là aussi, je
me rebichonne les pieds, on échange quelques blagues avec les USDR et je vais
repartir.
A ce moment là le toulouso-ariégois
arrive. « Bah tu repars déjà ? ». « Bah oui il faut bien à
un moment ! ». « Et bien t’as pas traîné là… !!! ».
C’est là que je m’aperçois du temps que je lui ai mis dans la fin de montée et
du pit-stop rapide. Mais je suis bien, serein, alors après quelques pas
échangés avec mon assistance en or, je relance les jambes dans un trot plein de
promesses sous leurs encouragements enjoués, alors qu’il n’est même pas 8h du
mat’.
Sur cette centaine de mètres de bitume, je me dis que consolider une place de 100° doit être possible, même si ma situation ne reste pas si euphorique ensuite. Avec tout çà, un chrono de 53h doit être envisageable (contre 55h37 en 2012).
Bienvenue en Mordor !
Bien, et voici un nouveau gros
morceau que j’affectionne : la montée vers le pic Negre, avec en premier
partie une sacrée pente jusqu’à Naturalandia 2000. Un sentier bon à la
chaussure, mais sacrément pentu. Le truc qui vous fait dire que les andorrans
c’est décidemment du « droit dans la pente ». Il fait frais ce matin,
donc j’attaque dans de bonnes dispositions. Et cela se déroule très bien, même
si 2 micro-pauses de 10 secondes permettent de souffler un peu.
Je récupère 6 personnes, et me
voilà à revoir mes USDR à Naturalandia, accompagnés de quelques gouttes de
pluie. Dernières rigolades et nous nous donnons RDV désormais en fin de
journée, au Pas de la Case. Petite section jusqu’au refuge Roca de Pimes que je
passe en coup de vent, et soudainement l’horizon s’ouvre, les arbres
disparaissent, laissant place à des monts dénudés et un fort vent de côté. Je
progresse bien, avec au loin en point de mire 6 trailers que je me mets en tête
de récupérer avant le Pic Negre.
Au bout d’un kilomètre le vent redouble, au
bout de deux il est violent, au bout de trois très virulent. J’en suis à en
tenir ma casquette pour ne pas qu’elle s’envole. Les autres trailers ont revêtu
depuis un moment leurs coupe-vent, mais moi qui ai toujours chaud je suis au
mieux dans ces conditions, en tenue courte.
Au Pic Negre je n’ai finalement récupéré personne,
mais je suis sur leurs talons. Sur le chemin de crête que nous prenons
maintenant j’estime les rafales à 90 km/h . L’une d’entre elle si violente me fait
sauter d’un mètre de côté. Mes bâtons quand je veux les poser sont systématiquement
rabattus entre mes jambes. Bon, je vais m’en passer un peu. Tout autour, même
si nous distinguons bien en contrebas toute l’Andorre et au loin notre précédant parcours, le temps se fait très menaçant.
Nous arrivons à 6 à un nouveau
point important pour moi, le 100° km. En ce point, sur tous mes ultras, mes
pieds commencent à réellement me gêner. Et bien là, rien du tout ! J’en
suis baba. Bigre, faut pas déconner,
faut assurer, faut que je les retalce. Mais là impossible, il y a trop de vent
(qui empêche d’ailleurs la pluie de tomber), il ferait s’envoler tout le talc
si j’ouvre mon pochon. Je suis contraint de progresser dans la descente qui va
faire la jonction avec le Mitic, et de m’abriter derrière un arbre pour se
faire. Je fais un brief’ de mes jambes qui vont encore pas mal, même si en
descente les quadris tirent un peu.
Voici le chemin vers le refuge de Prat Primer, où je trottine en doublant quelques Mitics. Une montée sèche de
Il fait chaud dans ce refuge bondé.
Il y a du trailer en manque de cocooning. Je prends le temps de bien me
restaurer et souffler un peu (le dernier ravito c’était il y a presque 5
heures, le prochain dans 4). Il y a surtout des gars de la Mitic, un peu dans
tous les états, mais pas d’euphorie. Tout le monde accuse un peu le coup. Je
ressors pour des étirements, sous la pluie. Je concède à enfiler le coupe-vent.
J’en profite pour mater les crêtes où Pat’ et Wil’ ont dû
passer….impressionnantes, quel parcours de fous !
Pendant ce temps là, quelque part en Andorre...#spécialedédicace#couz'Alix
Allez, c’est reparti pour
trottiner vers l’Estany de la Nou, le refuge Perrafita où l’on me pointe et la
belle montée à Collada Maiana. 5 kilomètres bien sympas, mais où le temps
tourne à l’orage. Ca commence à péter de partout sur les crêtes, et la pluie
tombe. Je pense aux types de la descente de la Margineda à qui j’avais vanté la
beauté de cette zone…ils la verront autrement.
La descente vers le riu Madriù se
fait à petit train, les rochers/cailloux sont glissants, mes jambes un peu
dures.
Je rattrape une japonaise
tout mignonne qui est sur la Mitic. Je vois à ses yeux qu’elle est apeurée par
les conditions, surtout l’orage. Nous ne sommes pas sur les crêtes, des arbres
nous entourent, et le son arrive plusieurs secondes après l’image. Donc nous ne
sommes pas en danger. Mais elle n’est pas rassurée. Elle va se caler derrière
moi pendant ces 2
kilomètres de descente. Je lui ouvre la voie galamment,
sans échanger de mots car ma maîtrise du nippon s’arrête à « aligato »,
et les japs’ ne sont pas prolixes. On croise tout de même quelques randonneurs
avec gros sacs à dos et cape de pluie, à qui les conditions ne font pas peur.
A quelques encablures du riu
Madriu, la pluie redouble et devient diluvienne. J’aperçois au loin une petite
cabane. Nous accélérons pour nous y réfugier. Dedans déjà un concurrent, 2
autres s’y engouffrent à notre suite. Petite cahute destinée à stocker les sacs
de sel pour les chevaux en pâture dans la zone, où l’on ne tient pas debout.
Nous revêtons nos sur-pantalons de pluie et ajustons les vestes. Ceux qui
n’auront pas pris tout leur matos obligatoire en seront pour leurs frais.
Avec Denis nous étions d’ailleurs très surpris au départ du nombre important de
concurrents ayant des sacs à dos tous fins (même sur l’Euforia). Tous n’avaient
pas leur matos obligatoire, c’est certain. Et comme seul un objet (sifflet pour
nous) était contrôlé dans le sac, certains en abusent… Un contrôle inopiné pendant
la course par l’organisation serait opportun, tant pour la sécurité des
coureurs que pour l’équité.
Je ne souhaite pas attendre la
fin de l’averse et sort. Un regard à la nipponne, qui ne semble pas avoir le
courage de ressortir de suite. C’est seul, sous la pluie, que je traverse sur
des rondins le Madriù, où de jeunes courageux bénévoles bipent mon passage.
Voilà la magnifique longue montée
vers le refuge de l’Illa, où j’avais tant souffert en 2012. Pas de canicule
cette année, ce qui me va à ravir. Je progresse donc vite, croisant ou doublant
encore quelques randonneurs. La pluie, l’orage, et maintenant…la grêle !
Manque plus que la neige ! Allez, il suffit de se dire que ça va passer,
dans le ciel la situation semble se dégager, mais pas dans la direction où nous
allons… Certains trailers sont marqués par la fatigue et la pluie, et
s’abritent de temps en temps. J’arrive dans les rochers, puis les 3 fameux lacs
successifs où l’on croit sans cesse être arrivé…puis voila le refuge de l’Illa,
qui a drôlement changé en un an ! Il a doublé de taille !
Majestueux !
Confusion à Illa
Beaucoup de monde
dans le refuge, des chaussures partout à l’entrée (retirées pour ne pas salir)
c’est un peu l’agitation. Surtout beaucoup de dossards rouges.
Un organisateur tout fou hurle moitié
en catalan et en espagnol. Je suis un peu fatigué et ait du mal à comprendre. Il
indique à tous qu’il faut repartir de suite pour « descendre », vêtements
de pluie obligatoires. Je ne comprends rien. Un couple de gentils espagnols qui
sont sur la Ronda essayent de m’expliquer. Je crois comprendre que la course est
neutralisée à cause de la météo et qu’il faut redescendre dans la vallée pour
shunter. Mince, je suis super déçu, moi qui suis si impatient de continuer pour
voir ce qui va m’arriver.
Les espagnols m’expliquent mieux. En fait la course
des Rondas est neutralisée ici depuis 3 heures, car les conditions dans les prochains
vallons et cols sont trop venteuses, pluvieuses et froides. Du coup nous sommes
une 20aine de dossards rouges ici. Le bénévole relance tout le monde. Il parle
de redescendre, mais en fait il ne compte pas la toute petite montée au lac
avant de basculer dans le vallon Vallcivera, d’où ma mauvaise compréhension.
Pour certains le départ va être difficile, après 3 heures de pause, les muscles
refroidis.
Je commence à me poser et voici
Jean ! « Ah mais si tu es là c’est que çà va mieux ! »
« Oui, j’arrive à manger, j’ai repris la pêche ». On mange ensemble
dans le superbe cadre boisé de la nouvelle salle du refuge avec une baie vitrée
immense donnant sur les montagnes ! On discute de la suite, qu’on espère
tous les deux arriver avant la nuit au Pas de la Case. Ca devrait le faire,
normalement on y serait dans 4 heures, soit 20h15/20h30 maintenant.
J’indique à
Jean que je ressors pour m’étirer et repartir. Mais dehors il pleut à nouveau,
je n’ai pas de place pour les étirements, juste assez pour me retalcer. Donc je
file et atteins le lac d’Illa.
Rester « focus »
Rondas et Mitics se séparent ici,
et je bascule tout seul dans la longue descente de 5 km . Je vois les derniers des
Rondas neutralisés me précédant au loin. Très vite je peine. Au début pentue et
caillouteuse, la descente devient ensuite plus douce mais toujours hachée,
maculée de cailloux, avec parfois des passages techniques au bord du ruisseau.
Je ne suis pas au mieux, je progresse vraiment lentement. Premier gros coup de
mou, malgré le ravito proche. Je ne vois personne pendant longtemps, au gré des
passages plus intimiste dans la foret.
J’ai une petite baisse de moral,
en me disant que c’est encore long. Mais somme toute j’ai encore une belle
marge au chrono, je peux voir venir. Et puis papa et Marjo qui sont venus, je
ne peux pas les décevoir, Pey mon fiston que je ne veux pas faire pleurer à
nouveau (il avait mal supporté mon abandon l’année dernière), Laeti et maman
très attentives et certainement inquiètes derrière l’écran qu’il faut que je
rassure au gré des étapes. Il n’y a bien que Martin qui se balance de ce qui
peut arriver J. J’ai aussi en tête que j’ai abandonné sur mes 3
derniers « 160 km ». J’ai besoin de savoir si je suis encore fait
pour ce type de course. Je veux renouer avec ce plaisir inouï d’en franchir la
ligne d’arrivée.
J’arrive doucement au pied de la descente.
J’essaye de recourir un peu jusqu’aux bénévoles qui me pointent, mais je me
pose juste après sur un rocher. Le ciel commence à se dégager, plus de risque
de pluie, il fait bon à nouveau et je vais attaquer une montée. Je range donc
veste et pantalon de pluie, et mange un bout.
Je bifurque vers le nord, pour
sortir de ce vallon espagnol où nous sommes, mais mon coup de fatigue contracté
dans la descente ne passe pas. Je décide donc de me coincer, les jambes en
l’air, entre deux rochers. Avant de fermer les yeux j’aperçois à une centaine
de mètres derrière 2 coureurs, dont l’un qui ressemble à Jean. Je reste là 3
minutes. Rien que fermer les yeux fait du bien, et décontracter les jambes. Je
ne veux pas m’endormir non plus, et repars.
Je reviens plus loin doucement
sur 3 types, dont l’un est bien Jean. Je pense qu’il n’a même pas fait
attention que c’était moi en me passant. On va finir ensemble cette longue
marche dans ce vallon moyennement pentu.
Puis voici les lacets pour casser la
grosse pente directe (prise l’année dernière) pour atteindre le col de la
Portella Blanca Andorra et la jonction parfaite entre France, Espagne et
Andorre. Cette fin d’ascension fait du dégât, les rythmes diffèrent. Au loin en
arrière je n’aperçois que peu de Rondas. J’aime beaucoup cet endroit,
spectaculaire, entouré de hautes crêtes, qui marque la fin de cette longue
partie solitaire depuis Coma Bella, puisque bientôt nous allons basculer vers
le Pas de la Case.
Je suis toujours avec Jean et un
autre coureur, nous basculons côté français. Encore un bon kilomètre, passant
le long du lac Estany Negre. Jean reçoit un coup de fil où on lui demande à
quelle heure il arrive. Il n’avait pas fais gaffe au chrono, mais il est
surpris et heureux que je lui confirme que nous devrions arriver plus tôt que
prévu, certainement vers 20 h. On monte ensemble au col des Isards.
Nous sommes 6 trailers à
touche-touche. Je m’engage en premier dans la descente mais me dis que sur les
6 je serai certainement le dernier en bas. Je n’aime pas cette descente, même
si l’on voit le Pas de la Case loin en contrebas. Mais je me dis que je ne peux
pas la vivre plus mal que mes 2 derniers passages ici. Alors je prends sur moi,
et descends à ma main, plutôt à mon pied…lent et que j’essaye d’assurer.
Effectivement les 4 autres coureurs me passent rapidement, l’un arrive même à
bien courir.
Jean reste avec moi, on
s’encourage sans mot, juste par le fait de cheminer ensemble. On passe le
premier faux col, le long des immenses éboulis de blocs rocheux, et nous voici
sur la piste, puis rapidement dans ce sentier le long du torrent que j’exècre
tant. On dirait qu’on nous fait passer là rien que pour nous mouiller et péter
les pieds et chevilles, alors que la piste à gauche nous mènerait direct à la
base de vie. Je prends encore sur moi, même si je peste un peu.
Voilà enfin le
dernier kilomètre, plus facile, où l’on peut difficilement réessayer de courir.
Les pieds sont meurtris, les mollets hyper tendus, les quadris en feu, un peu
mal aux épaules. Mais l’on fait l’effort, car d’ici très peu nous serons avec
nos proches que j’aperçois au loin.
Un œil sur le chrono :
« Purée Jean, on l’a bien gérée cette partie depuis Illa… ». Il est à
peine 19h30 (dire qu’en 2012 j’étais arrivé là à 23h passées). « Tu sais
Sylvain, avec ce rythme on peut presque rêver d’arriver avant 9 h du mat’ (soit
50h de course), mais va falloir usiner ». J’ai déjà entendu ce discours
dans la bouche de Wil’ l’année dernière. A trop vouloir l’entendre je me suis
cramé au Pas de la Case en ne me posant pas assez. Je me suis promis depuis que
j’ai quitté Denis de ne courir que pour moi, « avec » personne,
en ne m’écoutant que moi seul. Alors je reste, certes surpris de notre vitesse,
mais humble devant ce qui nous attend.
Comme m’avait dit Francky dans le sas de
départ : « Pour toi Sylvain la course commence au Pas de la
Case ». Oui, je ne sais que trop ce qui peut se passer après. Avant
c’était pas une ballade, mais j’ai géré avec ma connaissance du parcours, en fonctionnant
par étape et très à mon écoute. Après, je sais que les douleurs, la vraie
fatigue, le doute vont arriver. Alors je réponds à Jean : « Oui, mais
si j’arrive avant 11h demain (52h de course) déjà ce serait génial, je vais
prendre mon temps au Pas de la Case ».
Mes envies du moment sont :
revoir mes proches, les rassurer, me doucher, manger, boire de l’eau gazeuse, me
faire sérieusement masser et dormir un peu. Qu’importe le temps que tout cela
me prendra, je veux repartir dans les meilleures dispositions pour finir la
course.
Sur ces entrefaites mon Pey me saute dans les bras et va courir un peu
avec nous jusqu’à retrouver Marjo, papa, Laeti et Martin au petit pont marquant
l’entrée dans cette ignoble ville.
Mais là, j’apprécie ! Les
USDR m’ont concocté une surprise en ayant acheté des pizzas !!! Il reste
deux bouts, c’est royal ! Quel plaisir de dévorer une Reine et une
Margarita. J’en offre un morceau à Jean, car je sais que çà lui fera aussi le plus
grand bien. Il refuse dans un 1° temps mais je l’engueule presque. Alors il
apprécie et nous gratifie d’un « elle est formidable ta
famille ! ». Oui, c’est vrai.
Notre formidable famille 💕
On finit de la manger en rejoignant en
trottinant la base de vie, sous les yeux interloqués des touristes goguenards passant
de magasins de clopes et alcools à parfumeries.
Opération #j’memetsdanslesmeilleursconditions #parcequeputain
#jeveuxyarriver
Bon, puisque le chrono est très
bon, faut vérifier le reste. Tout en mangeant goulument, ravitaillé par Denis
et Pey, j’inspecte mes pieds…seulement une vraie ampoule, et toute petite, que
je m’empresse de crever. Quelques échauffements à certains endroits mais rien
de problématique ou ayant besoin de soins. Ca y est, j'ai des pieds de Hobbits ! C’est incroyable, quand on compare
avec les situations 2012 et 2016 où j’avais une douzaine d’ampoules à chaque fois,
passant ainsi 1h dans les mains des podologues. Mais là, de toute façon, j’ai
décidé de ne pas leur laisser mes pieds, et de me les soigner moi-même. Je
décide aussi de finir la course avec mes Altra, elles sont vraiment top confort
pour ce qu’il me reste à faire. Je file à la douche, un bien fou… Terrible la
crasse que l’on s’enlève !
Je passe ensuite sous les mains
du kiné, celui qui avait complètement retapé Denis l’année dernière. D’ailleurs
il lui fait savoir, et je ne doute pas qu’il en sera de même pour moi. Mais
pour gagner çà je couine sévère pendant une demi-heure. Les quadris çà peut
aller, mais alors les mollets et les adducteurs morflent grave.
Je retrouve Jean à la table, assisté
par sa famille, qui souhaite repartir. Il n’a pas voulu de kiné, ni dormir,
préférant attendre Inclès pour cela. Je le trouve un peu fatigué, mais je
l’encourage. Il a du rester une heure et quart ici. On se reverra peut être
plus tard.
Conciliabule d'équipe : "Sylvain, tu vas dormir une heure, un point c'est tout !"
Tout propre, soigné et repus je
peux m’accorder du repos. Je souhaite dormir ¾ d’heure mais Denis et papa
insistent pour une heure. Laeti, Pey et Martin doivent repartir. Notre bébé de
7 mois a besoin de repos, tout comme Laeti.
Pey verse une larme, car il voulait
me voir repartir du Pas de la Case « Papa, c’est la 1° fois que je repars
avant toi d’une base de vie ». « T’inquiète pas, tout va bien. Dors
bien, suis moi sur l’ordi, et on se retrouve demain matin à Ordino pour une
belle arrivée ». S’en suit un doux câlin qui m’émeut, comme les
embrassades avec ma douce qui me rassure et me demande prudence. « Je
devrais arriver vers 11h, mais surveille l’ordi quand même… ».
Je m’allonge sur le lit le plus
éloigné, dans l’obscurité. Malgré les boules-quiès et ma fatigue je ne dors que
peu, dérangé par le bruit des applaudissements et des nombreux assistants dans
la salle. Mais ça fait partie du jeu, et çà ne me fait pas de mal. Denis me
réveille.
On regarde le chrono, il n’est pas encore 22h, je suis très surpris.
Pour la première fois je me dis que la barrière des 50h est envisageable, il
faut faire moins de 11 heures pour cette section. Denis me dit « si je
l’ai fait l’année dernière (10h30), tu peux le faire toi aussi ». Mais
nous l’avions faite en 12h10 en 2012, et Pat’ et Wil’ en 11h45 en 2016, alors
je doute et table plus sur 11 heures. Juste ce qu’il faudrait, la marge est
fine.
J’ai du mal à émerger.
Heureusement lui, Marjo et papa m’aident à tout ficeler. Je bip mon départ en
88° place, il est pile 22h, je suis resté ici 2h20, je repars exactement à la
même heure qu’en 2016. 7 Rondas sont donc partis avant moi, mais je suis
serein, me sens en pleine forme.
Dehors le jour n’est presque plus. Je chausse
la frontale, prêt pour ces 40 derniers kilomètres. Je marche un petit bout de
chemin avec mes USDR. Je quitte Denis avec émotion. Il ne peut pas rester plus
longtemps, difficile pour lui de supporter cette course qui continue, alors
qu’il n’en est plus que spectateur. Il a eu des mots doux et forts à la
fois à mon oreille dans la base de vie,
je le comprends pleinement. Il me quitte ce soir, pour rentrer à Bordeaux. Mon ami,
je continue désormais avec un peu de toi…
La course commence maintenant #Francky
C’est en courant vraiment que je
rejoins le vallon de l’Ariège qui marque le début d’une des portions qui m’est
des plus difficiles. J’avais sombré l’année dernière sur un sentier innommable,
casse gueule et humide, rejoins en même temps par un coup de fatigue
monstrueux. Mais aujourd’hui, tout va bien. Comme en d’autres endroits
l’organisation a légèrement modifié le parcours. Et là c’est tout bénef’. On
progresse drôlement mieux que l’année dernière. Je me retourne au bout de 10
minutes et vois un halo lumineux. Je suis surpris car j’ai bien couru. Je fais
de même 10 minutes plus tard, et m’aperçois qu’il s’agit du reflet de la lune
dans le ruisseau...magnifique. De toutes façons personne ne m’a doublé depuis
que j’ai quitté Denis (à part les 3 Mitics) et il n’y a pas de raison que çà
change. Je vois 2 lumières frontales bien au loin, je les rattrape avant la
première moitié.
Passage par de beaux raidillons
en 2° partie de progression, qui me semble d’ailleurs bien longue. Il faut dire
que j’étais dans un état second la dernière fois, me confiant aux paroles et
pieds de Wil’ et Pat’, je n’ai vraiment pas tout capté. Sous le col du Port
Dret je rattrape 3 concurrents. Ils font des zigzag, je trace droit dans la
pente. Au col c’est un groupe de 4 espagnols qui tergiverse. Ils sont
désorientés car il n’y a pas de panneau directionnel, ni bénévole. Je leur
indique que de la gauche arrivent les Mitics (on voit quelques frontales) et
qu’il nous faut aller à droite…et j’y file en courant sur ce fameux replat que
j’aime tant.
Il est minuit pile, j’ai mis 2h
pour monter ces 750 D+ et 7 km .
Juge de paix désormais : la bascule dans la descente vers Incles. Super
descente un poil technique au début mais où l’on peut vraiment courir si on a
encore du jus. Et je m’y fais plaisir, avalant les virages et les cailloux,
doublant un paquet de Mitics un peu interloqués. Quel contraste avec 2016, où
j’étais dans une souffrance et un désespoir terribles. Et 2012, où une crevasse
sous mon pied avait explosé tel le grand rift du Colodado.
Aujourd’hui, purée, il est juste
1h du mat’ ! A quelques encablures du ravito d’Inclès je regarde le
chrono. Je n’ai mis qu’une heure à descendre, 3 heures seulement depuis le Pas
de la Case au lieu de 3h50 en 2016 et 4h en 2012. Mince, à ce rythme là je
commence à rêver de passer sous les 50 h.
La malédiction d’Inclès a vécu !
J’arrive en courant au ravito où
je retrouve Marjo et papa : « Punaise, mais t’es le seul à arriver en
courant ! ». « Je suis en pleine bourre ! Bon, va falloir
avertir Laeti car je crois que je vais arriver autour de 9h tout à
l’heure ». Mon père ; « non, c’est pas possible ! ».
« Bah si, vu qu’il me reste au pire 8h par
rapport à Wil et Pat’ 2016 ». « Mince, mais quand est-ce
qu’on va dormir nous ?... ». Mais bon, ils s’éclatent autant que moi, c’est
vraiment chouette la banane qu’ils ont, ça me fait rudement plaisir. L’envie de
continuer à ce rythme en est décuplée.
Je suis bippé 81°, j’ai donc
repris toutes les places perdues à la base de vie. Comme quoi prendre le temps
d’un bon repos est bien efficace.
Je retrouve aussi la famille de Jean, qui
m’indique qu’il est parti dormir dans la voiture, encore 5 minutes. Le temps
que je me retalce il arrive, les yeux un peu tirés. Il voit lui aussi l’arrivée
se pointer. Je lui indique que je vais essayer de taper sous les 50h, comme il l’avait
fait il y a quelques années. On s’encourage, il repart.
En mode Warrior !
Je finis de manger,
boire, souffler un peu, et j’y retourne. Marjo : « Bon, il n’y a que
tes pieds qui peuvent t’arrêter maintenant ». « Non, plus rien ne
peut m’arrêter, j’irai au bout ». Je repars 15 minutes après être arrivé, sous
leurs encouragements dans la nuit noire, les nuages étant de retour avec
quelques gouttes.
50 nuances de moi
Dans ma tête çà s’emballe…la
fameuse barrière évoquée en 2016 avec Wil’ et Pat’, ratée pour eux de 50
minutes suite à une dernière partie très difficile au niveau des pieds, c’est
un mythe. Je sais donc que rien n’est fait, et qu’il va falloir être appliqué
jusqu’au bout. Je préfère me fixer une arrivée vers 10 h (51h de course), car
beaucoup de choses peuvent arriver encore.
Et la première est l’endormissement…qui
commence à se pointer 30 minutes après avoir quitté Inclès. Pam, sans prévenir !
Moins de rythme dans les jambes, moins de lucidité dans la tête. Je trébuche
parfois, j’ai la tête lourde. Je prends un shoot de caféine dans mon camel, qui
fera effet dans quelques dizaines de minutes.
D’ici là je dois lutter, juste au
moment où la pente commence à s’élever vraiment. J’ai un vague souvenir de
cette section, passée de jour en 2012, surtout du dernier raidillon de fin.
Mais je ne me rappelai pas que çà tapait si fort au bout de ¾ d’heure. Allez,
courage, faut continuer. Je rattrape tout doucement quelques concurrents, mais
toujours pas Jean. Soit il s’est bien relancé, soit je faiblis.
D’abord ce travers très aérien où il faut mettre
les mains. Je commence à me dire que c’est bien engagé cette course quand même,
surtout quand on s’endort…
Je passe l’écueil, et voici au
détour du virage le terrrrriiiiible mur qui nous mène à la Cresta Cabana Sorda.
J’ai déjà décrit ce haut lieu de la course en 2012. Une montée titanesque, droit
dans la pente, à 60%, sur 100
mètres D°+. Un truc de psychopathes qui en décourage
plus d’un autour de moi. Je retrouve la pêche juste au bon moment (en en déposant
une en contrebas) pour la franchir.
En haut panorama nocturne incroyable, d’où
je vois notamment les types en train d’arriver sur la crête du Port Dret, avant
Inclès, où je suis passé il y a 3 heures. Et ce bénévole qui me félicite. Je
lui dis mon plaisir d’être ici, et mon affection (oui, oui) pour ce mur
incroyable ! Voilà, il ne reste plus qu’une descente à faire, une montée,
et la longue descente finale. Plus que 23 bornes… Putain, je tiens le bon bout…
Mais d’abord, la descente de la
crête il faut se la payer. Oh, pas bien difficile si ce n’est les premiers
hectomètres ! Mais ensuite c’est assez impraticable, très difficile d’y
courir tellement le sentier, quand il ya en a un, est haché. Puis ce sommeil
qui me revient en pleine poire, qui engourdit tout mon corps. Je n’ai pas
l’impression de progresser. Je sais que de nuit on ne perçoit le refuge de Coms
de Jan qu’au dernier moment. Alors je regarde en arrière et je vois bien que
les autres lumières là-haut ne progressent pas plus vite. Ca rassure, mais je
peine.
Je garde en tête mon objectif, faudrait que j’arrive au refuge vers 4h,
pour me garder encore une marge. Il resterait 5 heures pour atteindre Ordino,
et finir en 50 heures. Alors j’essaye de mettre un voile sur la fatigue, et sur
les muscles qui se réveillent douloureux peu à peu. Le kiné m’a soulagé de 5h
de progression tout de même.
3h50 du mat’ (76° position,
encore 5 places de gagnées), le voilà ce refuge, punaise il me tardait car là
je sombre. Sur le pas de la porte je laisse mes bâtons et trébuche. Dedans c’est
réduit mais il y a une dizaine de coureurs et 4 bénévoles. Le contraste de
température extérieur/intérieur me percute, je faiblis à nouveau. L’œil aguerri
des bénévoles ne laisse rien passer : « ca va ? » ;
« oui, oui, pas de souci », même si je ne fais pas le malin d’un
coup.
Bon, je m’assoie, et fais le
point. C’est le gros coup de mou de la course, mais j’ai un objectif. Alors je
me pose, mais pas trop longtemps, histoire de ne pas plus m’engourdir ici. Le
sempiternel rituel : boire, manger, talcer. En même temps j’observe
autour. 2 Mitics demandent des nouvelles de leur pote allongé dans la pièce à
côté depuis 1 h à cause de malaises. Le doc’ va le voir, il semble aller mieux,
il le ramène. Mais sur le seuil de la porte il vacille à nouveau et tombe au
sol. « Bon, et bien tu vas rester dormir ici ». Ses potes vont
repartir sans lui finir la course, ils le récupèreront demain ici ou à Ordino.
Cela me fait percuter que je ne
suis pas au plus mal, mais qu’il ne faut pas que cela m’arrive plus loin. Alors
je ferme les yeux 2 minutes, puis repart. Je vacille encore un peu, mais je me
laisse penser que c’est la chaleur. Je sais que je joue peut être avec le feu,
mais j’insiste.
Dehors le frais me réveille
sec ! Tout comme la peur soudaine de ne pas retrouver les bâtons, prêtés
par Eric. Ils ont été changés de place, j’ai cru un instant qu’un gars était
parti avec, gros flip !
Back to Mordor
Je repars à 4h15. Je me fixe
d’être au col Collada Meners à 6h, avec le soleil, pour me laisser 3h de marge
sur les 17 km
de descente jusqu’à Ordino. Allez, je l’attaque cette dernière grosse montée de
500 D+. Vite technique, je ne m’en rappelai plus, parfois très aérienne, où il
faut mettre les mains. J’arrive tout de même à rattraper des types, mais au bout
d’un quart d’heure mon bidou repart un peu en sucette, et le sommeil me
rattrape. Punaise ! Ici aussi impossible de se poser tellement il y a de
la pente.
Re-shoot de caféine, en espérant
que çà passe. Et le ciel qui se couvre encore, le vent qui se lève un peu. Je
suis obligé de remettre la veste coupe-vent et même la capuche. Cette
progression technique, difficile, sans répit mais où l’on ne peut pas courir.
Ces à-pics qu’il faut passer, ces éperons contourner. Pareil, on n’en voit pas
la fin, mais le souvenir de 2012 est présent, cela m’avait aussi paru infini. Je
confirme, elle est vraiment hard cette course, du début à la fin. Je ne vais
peut-être pas y revenir de suite.
J’ai 2 lumières en visuel depuis
un moment, mais je ne gagne aucun terrain sur eux. Du mal à avancer. Un peu
marre de l’Aquarius coupé d’eau, écœuré du sucré, je me rabats sur les fruits
secs et le saucisson. Ahhhh, le ciel s’embleuie ! Le jour se pointe.
Punaise, faut que j’arrive au col à 6h du mat’, je veux voir le lever de soleil
de là-haut, c’est mon moteur depuis une heure. Ah, ça y est, je l’aperçois le
col, et juste en dessous le feu de camp des bénévoles. Mais mon bide est en
vrac, commence à dérailler. Pause vidange dans les cailloux à 100 mètres des bénévoles
qui doivent se demander ce que je fous. Un bien fou…
Derniers mètres ardus, derniers
encouragements, et voici le col, avec sa construction bizarre que je touche en
hommage à Denis. Ca y est putain, le D+ est terminé. 13000 mètres positifs
dans la musette, j’suis soulagé. Il est 5h55, le soleil se lève dans un ciel
tourmenté. Le spectacle n’est pas au rendez-vous, mais je profite pleinement et
embrasse du regard, comme il y a 6 ans, l’incomparable sauvagitude andoranne. Il
y a des instants, je vous jure, on se sent vraiment privilégié.
Maintenant il est temps de basculer,
et d’aller retrouver la civilisation. Il me reste juste 3 heures pour cela,
pour entrer dans cet objectif qui s’est dessiné au fur et à mesure de la course.
Objectif auquel je n’aurai jamais cru tellement le retard accumulé était
important en début d’épreuve et la progression de 2016 pour moi impossible à
égaler, et encore moins à surpasser.
Allez, j’y arrive, voilà la foret
où je reprends enfin 2 types. La pente s’adoucit juste à l’orée de la prairie
où je m’étais posé avec Pey pour voir les concurrents de l’Euforia. J’en
profite, déconcentré, pour me prendre un vol plané des familles, cul par-dessus
tête. La gamelle conne, heureusement sans conséquence mais effrayante. J’ai eu
peur de me péter la cheville, le bâton ou le poignet. Je termine en douce les
300 derniers mètres jusqu’au refuge.
Le doute
J’ai peine à courir dans la première pente et sur
la piste. Ca me devient ensuite impossible sur le « sentier des écureuils »
qui nous mène jusqu’à El Serrat. Oh, le chemin n’est pas très technique, à
l’entraînement ça se fait largement en courant. Mais là les cailloux me
semblent trop hauts, les marches trop prononcées, le corps subit…
Je sais que Denis avait mis pile
2 h pour rentrer à Ordino, Wil’ et Pat’ 2h25. Le doute m’assaille. Pas
moyen d’aller plus vite. Tant pis si je ne rentre pas avant 9h, je vais finir
comme je peux, le chrono est déjà très satisfaisant et ma course pleinement
réussie. Et puis çà laissera une marge de sureté à la famille pour être à
l’arrivée. Alors, en plein milieu du sentier, au bord du ruisseau, je me cale à
nouveau entre 2 rochers, les jambes en l’air. Je compte sur le prochain trailer
qui arrive pour me réveiller. Et je m’endors de suite. Tout devient sourd
autour. Au bout de 5 minutes c’est le bruit du ruisseau couplé à
l’engourdissement de mes jambes qui me réveillent. Allez, zou, courage, faut
s’y remettre.
Voilà enfin la route à El Serrat,
la civilisation. Ca y est le sommeil m’a quitté. Mais même si je cours sur la
route les jambes ont du mal à développer et le bide encore un peu en vrac.
Cà me fait suer de subir comme çà
quand même. J’ai pas envie de perdre un temps fou en fin de course alors que le
reste s’est bien passé. Des vacanciers sont arrivés dans les chalets de bord de
route. Une petite dame ouvre ses volets au-dessus de moi et me lance gentiment
« Allez, courage, c’est bientôt fini ». « Oui, moins de 10 km »,
je lui réponds. Tête surprise de la dame, qui pensait que j’étais sur un footing
matinal. Quelques voitures croisées m’encouragent aussi, ça fait du bien.
Je retrouve le sentier, un peu de
chaleur. De là je sais que la pente va s’adoucir jusqu’à l’arrivée, plus que 8 kilomètres . Je me
pose pour manger un peu et ranger veste et bâtons, je n’en aurai plus besoin. J’aimerai
tant voir mes USDR pour me délester de quelques affaires inutiles, le sac me
semble peser une tonne. Il est 8h du mat’. Normalement en ultra, à mon niveau, 8 kilomètres sur la
fin, en descente, ça se fait en 1h15 mini. Je fais une croix sur mon objectif…
D’un coup devant moi un Mitic,
qui court, mais que je double. Juste après 2 autres en visuel. A demi-mot je
dis « toi, t’es mort, toi aussi ». C’est ridicule quand on y pense, parce
que je n’ai rien à gagner et ces types, aussi vaillants que moi, je les respecte.
Mais je suis en transe, hyper motivé. Le premier est dur à récupérer, mais
c’est fait. On court tous, même si ça monte, ça sent l’écurie. Je reviens
doucement sur le 2°, mais lorsqu’il sent mon souffle il relance un peu. Lui
aussi est grisé par la course. Rien de méchant à mon égard, juste envie de
jouer, de se faire plaisir, et j’adore çà, je loue son attitude. Un peu calmé
je le laisse filer, ne pouvant relancer.
Le sprint final
Plus loin devant moi, sur le
sentier le long du golf, un couple marche en se tenant par les épaules et s’embrasse.
Ils viennent de courir ensemble la Mitic et avancent comme deux amoureux vers
leur victoire. C’est super beau. Je les passe, leur souris, les applaudis.
Voilà la route que nous allons
emprunter jusqu’à l’arrivée, pendant 2,5 kilomètres . Ma
foulée s’emballe, comme mon cœur et mes yeux. L’émotion, très forte, le moment
où tout est suspendu, où tout va bien, car rien ne peux plus t’arriver, juste
l’ivresse de l’arrivée. Je cours de plus en plus vite, porté par je ne sais
quoi, un désir irrépressible d’arriver cramé, en ayant tout donné, sans rien
regretter.
Les passants et les voitures m’encouragent,
je me dis qu’ils ne doivent pas comprendre pourquoi je cours si vite. Moi je ne
comprends pas comment j’y arrive encore. Je dois être à 12-13 km/h , et j’accélère toujours.
Le concurrent Ronda qui m’a lâché tout à l’heure est à 200 mètres devant. Je
n’ai aucune envie de le doubler, je n’ai pas envie qu’il le prenne mal, mais
mon corps dépasse mon esprit. Voici l’entrée d’Ordino, j’ai envie d’embrasser
le panneau. Plein soleil, pleine vitesse, j’accélère encore dans cette dernière
longue montée. Le Ronda marche, je le double (en lui tapant sur les fesses) à 15 km/h , un truc de fou.
Au loin, j’aperçois Pey, mon
fiston, que je ne ferrais pas pleurer cette fois (mais moi je n’en suis pas
loin). Je lui fais signe de s’avancer vers l’arrivée, car je vais vite et je ne
sais pas si il suivra le rythme. C’est vraiment con mais j’ai pas envie de
freiner. Marjo et papa comprennent. Surpris par ma vitesse ils rebroussent
chemin vers le sas d’arrivée. J’arrive sur Pey à toute vitesse, il embraye à
mes côtés. Je passe Marjo qui est en train de filmer dans un souffle (je
regretterai plus tard de ne pas avoir partagé ce moment avec elle), je ne vois
même pas papa.
D’un coup je suis dans le sas
d’arrivée, je regarde mon chrono et freine subitement, éberlué ! Putain il
est 8h42 !!!! Pey me prend la main, je ne sais plus si je dois courir ou
marcher, rire ou pleurer, crier ou me taire. Je ne sais plus ce que je fais. Je
perçois une acclamation pour mon arrivée donnée par tous les coureurs de la
Solidaritrail près à partir pour leur course. Et je m’agenouille ! La
simple envie d’embrasser le sol andorran, le vecteur de mes envies les plus
folles, de mes plus grands bonheurs de trail.
Quand au bout du chemin, au petit matin, tes amours sont là rien que pour toi, en larmes...tout va bien 💕
Je me relève et aperçois Laeti.
J’avais rêvé de passer avec elle, Pey et Martin la ligne d’arrivée en famille, symbole
puissant des épreuves que nous avons subit dernièrement. Il n’en est rien, car
je n’ai rien maîtrisé dans ces derniers mètres. Elle pleure, nous nous
enlaçons, violement, tendrement, une longue minute. Elle me dit être si fière
de moi. J’ahane autant que je suis ému.
Elle
Nous y voilà, au bout du chemin tous
ensemble. M’y voilà finisher à nouveau de cette merveilleuse Ronda dels Cims,
en 49h42’06’’, (près de 6h de moins qu’en 2012), en 78°position sur 436
partants (180 finishers). Arrivé 73°, mais les « neutralisés » rentrés
après moi récupèrent leur temps d’arrêt.
Putain quel pied ! Mais quel
pied ! Marjo et papa sont là, je peux enfin les enlacer, architectes eux
aussi qu’ils sont de mon résultat. Comme ils sont contents ! Et moi si
heureux de leur avoir véhiculé du bonheur.
Nous
Moi, mes proches, mes potes, tous les autres,...et elle
Valérie (et Gérard), 1000 fois merci !!!
Je
retrouve Christopher qui me demande « So you did the
50ies ? » « Oui, c’est grâce à toi. Quand je t’ai vu passer
je me suis dit putain, je peux le faire aussi !!! ». Il est hilare et
me dis que lui aussi était sur le chrono et voulait me booster pour que j’y
arrive. Il est arrivé 1’10 avant moi, et restera le seul concurrent à m’avoir
doublé de toute la course !
Thanks Christopher !
D’un coup la tension tombe, mes
muscles se contractent, le monde me saoule. Je perds doucement pied et m’évade.
Mon corps est à Ordino, mais ma tête encore dans les montagnes. J’ai du mal à
répondre à l’attention de mes proches, je suis ailleurs.
Pas totalement redescendu...
Le choc est grand,
mais je ne veux pas quitter la zone. Surtout que des concurrents de l’Euforia commencent
à arriver.
Laeti m’indique que d’après son
estimatif Wil et Pat’ devraient arriver vers 10 h. Jean, dont les proches
viennent chaleureusement me féliciter, sera là vers 11h. Je ne peux pas partir sans
revoir Wil’ et Pat’ et j’ai promis à Jean d’assister à son arrivée. Alors je
vais me restaurer un peu et chercher ma veste de finisher. C’est la même que
Denis l’année dernière, comme un clin d’œil. J’espère qu’il a pu me suivre
derrière son écran, il doit être content.
Le défilé des Euforias continue.
Ils nous donnent tous l’impression d’être sur une autre planète dans une autre
dimension. Toutes leurs arrivées sont empruntes d’une grande réserve, d’une
humilité immense. Ce qu’ils viennent d’accomplir est fabuleux : près de
100 heures de trail, plus de 4 jours de progression. J’en serai incapable.
Enfin, au bout du chemin, à
l’heure prévue, je reconnais la démarche de mes 2 potes. Ils arrivent en trottinant.
Je me mets au bord de la route et les salue à genou le front et les bras au
sol. Ils me filent des frissons. On se tape les mais, leurs yeux sont emplis de
quelque chose d’indescriptible, que l’on ne connaitra jamais. Ils ont vu ce que
peu ont vu, vécu à 2 comme jamais, soudés comme des frères. Ils entrent dans le
sas, je cours de l’autre côté en les applaudissant, les larmes aux yeux. Ils
sont finishers de l’Euforià !!! Ils sont des géants !!!
Des géants, finishers d'un putain de chantier !!!
Pat' et Wil' : Mes héros
Ils sont heureux de mon résultat
(1h de moins qu’eux l’année dernière), ils ont pensé et espéré un moment que
nous puissions finir ensemble. C’eut été beau. Mais nous resterons unis, comme
tous les concurrents de l’Andorra Ultra Trail. Ce qui se vit ici est toujours
différent, singulier, puissant et inoubliable.
Merci Valérie, Gérard et tous les
Cims Magics de nous permettre de vivre tout çà.
Merci mes Altra ! Merci mes Innov 8 ! Merci mes pieds 😂
Merci à mes USDR, si proches,
si aimants, si passionnés d’avoir été à mes côtés à nouveau. Denis nous manque
mais, pour une fois, il a su être raisonnable, et l’Ultra Guara nous attend en
octobre pour ton jubilé mon frère !
Pardon Jean de ne pas avoir pu
assister à ton arrivée, mais mon bébé avait besoin de dormir, il fallait filer,
mais j’ai pensé fort à toi pour tes derniers kilomètres. Respect grand
monsieur.
Merci enfin à ma Laeti d’avoir
été encore si disponible, si patiente, si indulgente, si aimante pour me permettre
de vivre tout çà, et nous permettre de nous aimer encore.
La vie de famille,
c’est comme une Ronda dels Cims, elle est exceptionnelle, passionnante,
déroutante, fatigante, surprenante, mais elle vaut la peine d’être vécue.
Je
t’aime.
Encore Felicitations pour ton arrivée et pour ce magnifique récit tellement " vivant"
RépondreSupprimerLa passion, le courage et l'amour : un beau programme de vie. Bravo mon "petit garçon"
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