SWISS PEAKS TRAIL 360 - L'aventure à la mode suisse




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(crédits photo : Ji-Pé - Anthony - Ma pomme)

Pourquoi ? Oui, pourquoi ?
Puisque la question nous revient si souvent à nous autres ultra trailers j’y répondrai en termes de préambule.
Pourquoi s’engager dans la première édition d’une course de 360 kilomètres et 25 000 m de D+/D- (oui, 3 allers-retours à l’Everest), en Suisse (9h de route aller), qui coûte 650 € (juste les frais d’inscriptions),  qui bloque 10 jours de congés et dont on sait que l’on reviendra fatigué, blessé, différent ?

Bah je vous répondrai : pourquoi pas ? Simplement parce que la vie est faite de choix, de personnalités différentes, d’envies les plus basiques comme les plus folles…parce qu’il n’y a rien à comprendre, en fait.
Donc : pourquoi pas ? Pourquoi pas filer en Suisse quand le tirage au sort du mythique TOR des Géants n’a pas voulu de moi cette année. Et puis mes amis trailers Anthony et Apos qui eux aussi se laisseraient tenter. Et l’ami Ji-Pé qui me propose direct de venir m’assister si je m’inscris…

Mais le chantier mérite réflexion, mes maximums étant à ce jour 170 kilomètres et 56h de course. Là il s’agit d’autre chose, d’une autre dimension, d’une autre préparation mentale et logistique (la prépa physique reste identique). Conscient que je vais passer dans un « au-delà » je m’engage, non serein, mais hyper motivé.
Des jours et des nuits à ne penser qu’à çà, des mois tournés vers la Suisse et les réseaux sociaux de la course, et faire et défaire ses prévisions, préparations… Tout çà pour se dire, se convaincre que c’est imaginable, possible, surmontable. Tout en sachant pertinemment que là-haut tout sera défi et que tant d’éléments seront là pour enrayer la machine.

« Ce n’est pas parce que c’est difficile que l’on n’ose pas, mais c’est parce que l’on ose pas que c’est difficile » - Sénèque, et validé par ma chère petite sœur dans le mur de nos toilettes, a tout à fait raison.
Alors go !!! Et comme dit Apos « sur un malentendu, çà peut passer… ».


Retrouvailles avec Apos ! 🙉

Oberwald – Canton du Valais – Samedi 1° septembre 2018
Hier nous avons retrouvé Anthony, mon ami trailer de Vendée au Bouveret sur la ligne d’arrivée. Nous avons récupéré les dossards et signé une « déclaration de responsabilité personnelle »  stipulant « Je me rends compte que la participation au Swiss Peaks Trails peut cacher des dangers et un risque de blessure sérieux, qui pourraient même entraîner la mort » (!). Malgré çà nous avons bien dormi.

 Il nous faut aujourd’hui remonter en  fourgon toute la vallée du Rhône jusque au pied du glacier donnant source au fleuve, pour joindre le départ. 3h de route  déboussolantes. Tout d’abord par le peu de charme de ce fond de vallée très anthropisé, mais surtout par la pente des montagnes avoisinantes dont les cimes nous sont cachées dans un diaphane brouillard. Déboussolant aussi car nous faisant mesurer la distance qu’il nous faudra faire en sens inverse, à travers les montagnes, pour rallier les deux extrémités du canton. Mais malgré, çà, après avoir pris possession de notre chambre d’hôtel coquet partagée avec Maxime et Gilles, et retrouvé d’autres kikoureurs et Denis Clerc (alias Zinzin Reporter) nous sommes étonnement très sereins, sans aucune pression. Pourtant nous rêvons depuis des mois à ces moments. 
Pasta party du soir déroutante elle aussi. Une quasi absence d’animation, très peu d’infos (ou alors inaudibles) sur la course, pas de réel briefing. Un verre de vin à payer 3 € et un verre d’eau gazeuse à 1 €, alors que 650 € ont été déboursés et que pour l’instant un simple t-shirt a été offert en dotation… Nous nous posons tous de plus en plus de question sur le niveau de l’organisation face à l’ampleur de l’évènement.
Avant de me lancer dans la dernière nuit « normale » avant longtemps, je déambule dans les ruelles si typiques du petit village d’Obergesteln où nous logeons. Besoin de m’imprégner du site, du grand frais, des odeurs et des couleurs. Nécessité de rentrer dans l’élément dont je ferai partie ces prochains jours, de finir ma prépa mentale…et de passer un dernier coup de fil à mes amours restés en France.

Dimanche 2 septembre – Jour de départ
Une bonne nuit, une bonne ambiance sereine de chambrée et un petit déj gargantuesque. Tout va bien ! Fin de préparation du sac de course et du sac qui nous suivra de base de vie en base de vie. Toujours la peur d’oublier quelque chose, mais Anthony et moi aurons l’immense chance d’être suivis et assistés par Ji-Pé qui pourra nous retrouver à de nombreux points du parcours.

Retrouvailles avec Antho qui s’est posé au camping au départ. Les messages affluent sur le portable à H-2. Le soleil arrive enfin, nous réchauffant la couenne humidifiée ces dernières 48  heures. Si peu stressés que nous ne voyons pas la montre tourner et arrivons sur la zone de départ juste 20 minutes avant. 

Zéro stress



Récupération des puces GPS pour un suivi "live" que j’ai abondement relayé à mes proches et amis pour qu’ils puissent profiter de cette aventure. En parallèle Laeti recevra mes S/MMS et pourra alimenter une  page FB spécifique. Cette aventure, certes très intérieure se doit d’être partagée. Tant pour remercier tous ceux qui d’une façon ou d’une autre ont contribué à ce qu’elle devienne possible (ils se reconnaîtront), que pour « démocratiser » ce challenge et le rendre compréhensible à défaut d’accessible.  Tellement de personnes dans mon entourage ne pourront jamais voir ce que nous verrons, pour des raisons très diverses. Je me dois de leur faire découvrir ces endroits, car ils sont aussi un de mes moteurs à trouver l’abnégation d'aller au bout.
Etre conscient de la chance que nous avons d’être ici. Je le dis et l’écris souvent. Mais aujourd’hui c’est Antho qui me le rappelle à quelques minutes du départ. Nous sommes des privilégiés. Privilégiés d’avoir les moyens financiers et physiques de se lancer là dedans, alors il faut en être dignes. Certes il y a toujours un peu de valorisation de l’ego à s’afficher sur les réseaux sociaux (même à écrire ce compte-rendu), je suis honnête, mais il y a sincèrement une grande envie de partage et de conserver un souvenir que nous savons déjà unique.

Sur la ligne ! Tellement en retard que je n’ai pas pu encourager Apos ou d’autres kikoureurs. On se glisse dans le milieu de peloton avec Antho, ne sachant pas vraiment où est notre place. Nous savons que nous sommes entourés de pleins de « Géants » (finishers du TOR), d’ultra-trailers de 23 nations différentes, d’hommes (295) et de femmes (32) avec de grosses expériences, tous au moins finishers d’ultras de 160 kilomètres. Mais nous sommes novices dans ce format et donc un poil impressionnés.

13 h, le décompte s’égrène, sans aucune musique ou animation particulière (!), et le départ est donné aussi simplement que pour une course de quartier. Pourtant, devant nous, ce sont 360 kilomètres, 25 cols, 8 passages à près 3000 mètres et 5 à 7 jours de course qui s’ouvrent…

1° étape : Départ - Base de vie 1 de Binntal : 56 kilomètres / 3900 D+ D-
C’est clair sur le profil du parcours, il s’agit là du tour de chauffe. Cela a été dit et redit : sur ces courses il faut partir avec le frein à main pendant 2 jours. Car en sus le gros gros morceau de la SwissPeaks360 se trouve sur le 2° tiers de course, entre les 113° et 240° kil. Malgré cela çà court quand même. Cet impétueux désir d’enfin lâcher la pression et les chevaux. Pour ma part 10 jours sans courir c’est difficile, alors le besoin de se dérouiller les jambes est là. Le passage des deux premières "bosses" de 800 puis 900 D+ se feront donc en trottinant sur le plat et les descentes, et en appuyant un poil dans les montées. A la queue le leu il est parfois difficile de dépasser et parfois l’envie (inutile) de doubler les plus lents se fait jour parmi la troupe. Il faut que chacun trouve sa place. 



Nous côtoyons régulièrement Denis Clerc (alias Zinzin Reporter qui réalise de magnifiques reportages vidéo « inside » de ses courses) avec qui nous avons échangé un peu hier (je dinai à côté de lui) et ce matin sur le chemin. Nous le reverrons les 2 premiers jours, avant qu’il ne s’envole pour le reste de la course. C’est une sacrée motivation de courir une course où il est inscrit, car si tout va bien pour tous il nous offrira à l’arrivée les images de ce que nous avons vécu, avec son talent de mise scène et de conteur d’émotions.
Pour l’instant tout va bien et les paysages sont au rendez-vous, malgré les cimes bouchées. Le fond de la vallée du Rhône, les glaciers environnants, les bois emplis de myrtilles et de fraises des bois dont je me repais. Antho et moi-même sommes très étonnés du silence qui règne dans les rangs. Très peu d’échange de paroles, de rires, de contacts pour l’instant. Une ambiance feutrée, presque monacale. Est-ce de la concentration, du stress, déjà de l’introspection ? Nous n’avons encore jamais ressenti cela, ce qui donne une autre dimension à la course. 



Le départ, vu d'en haut - Glacier au loin

 Le 1° ravito en bas, dans la haute vallée du Rhône

Nous retrouvons Ji-Pé à Ulrichen au premier ravito, pris d’assaut, après 2 heures de course. Stop express en compagnie de Maxime le Suisse, tout va bien.
Déjà  quelques petits soucis de balisage, certains concurrents arrivant en sens inverse.

2° bosse de 900 D+ avec toujours des vues sympathiques et du monde. Dans la descente vers le 2° ravito nous croisons une famille suisse qui nous demande où nous allons. Nous leurs répondons : pas certains qu’ils nous aient crus…


"Fais moi un truc de fou"(Ji-Pé)
2° ravito au km 27, à la chapelle de Reckingen, après exactement 5 heures de course. Pause un peu plus longue afin de s’alimenter comme il faut, se poudrer les pieds au talc pour éviter les ampoules, se crémer les parties pour éviter les frottements, se mettre les jambes en l’air pour éviter les œdèmes, s’étirer pour éviter les courbatures…plein de détails qu’il faut penser à réitérer tout au long de la progression afin de préserver au mieux la machine et d’aborder plus sereinement la partie qui vient ensuite. Ji-Pé est d’une aide précieuse pour nous éviter de perdre du temps ou des forces inutilement. Déjà un abandon ici. Comme je serai triste d’avoir fait tout cela pour arrêter si vite… Ji-Pé et d’autres assistants nous racontent avoir vu un trailer bien avant nous allumer sa clope au ravito et repartir en fumant ! Scène hallucinante !

Départ pour Chummerfugge
Nous voilà repartis pour la première vraie ascension : 1310 D+ vers le col de Chummerfugge en 7,6 km. En mode rando, j’ouvre les yeux sur ce qui m’entoure. Avec Antho on s’ouvre l’un à l’autre, se contant nos vies. Nous allons en théorie passer au moins un jour et demi ensemble alors nous nous livrons un peu, et il est certain que nous nous ressemblons beaucoup dans notre approche de l’ultra. Il est très rassurant tant pour nous que pour nos proches de nous savoir ensemble, ce d’autant plus que ma balise GPS ne semble pas fonctionnner.

Pente douce au début, qui s’accentue réellement au fond du vallon. 
On attaque enfin la vraie montagne

On double un gars sans bâtons, quel défi ! Il nous semble impossible de réaliser cette course sans eux tant ils sont une aide précieuse en descente comme en montée, ou pour éloigner les vaches qui se présentent à nous en troupeau au milieu du chemin. Là, dans cet étroit passage on ne fait pas les malins, mais elles finissent par s’écarter. Cette montée minérale commence à mettre à mal les organismes. Nous montons à 2658 mètres, et nous ne sommes pas encore adaptés à l’altitude. Le pas se fait donc lent, le souffle court, la tête qui tambourine. Un classique pour moi, soigné avec un Dafalgan. La seule prise de la course mais qui me permet de m’adapter. 

La nuit et le froid nous cueillent au col. Frontale et coupe-vent de mise, nous basculons dans la descente de 900 D- vers Chaserttat. Descente régulière et douce sur un grand plateau dans un brouillard vite dense. Le balisage n’est pas assez intense et nombreux trailers hésitent. Nous les rattrapons par flots, aidés par ma frontale très puissante (merci Eric), mon sens de l’orientation (j’avais bien étudié la carte avant) et surtout la trace GPS de Jacques (du 06) qui nous recale très justement. Nous amenons une vingtaine de gars dans nos baskets, mais comme notre rythme est décidé certains lâchent. Le désarroi se fait sentir chez quelques-uns. Certains se seront d’ailleurs perdus près d’une heure pour retrouver la trace, d’autres sont partis sur un autre vallon en shuntant involontairement le ravito d’après. Pourtant le brouillard était annoncé, il faut toujours renforcer le balisage aux alentours des points hauts...
Ravito de Chaserttat aux alentours de 23h. On prend le temps de faire le plein de tout. Antho repart avant moi, je suis un plus rapide dans les descentes. Déjà des gars bien émoussés ou sous les mains des médecins. Les jambes tirent de mon côté, mais les pieds sont OK et le moral aussi.

Départ pour le col d’Eggerhorn à 2450 m, tout d’abord par une petite descente puis une belle montée. Spectacle du train des frontales dans la montagne. Le peloton du milieu où nous sommes est encore dense. Je reviens doucement sur Antho mais n’arrive pas à faire la jonction. Un petit coup de mou. Je reviens sur lui dans la descente, peu technique. Antho n’aime pas courir de nuit en descente. Mais quand il marche il va bien vite. Du coup je passe mon temps à alterner course et marche pour ne pas me faire larguer. Je fais du fractionné sur un 360 kil !!! Mais il est comme moi, il adore progresser de nuit.
Descente assez raide vers Binntal et sa première base de vie, au kil 56. Une base de vie est un endroit stratégique dans une course. Elle permet de retrouver son sac suiveur avec ses affaires de rechange, de se laver, manger, se réparer, dormir et repartir serein. La première est autant attendue qu’embouteillée généralement. Et là, nous n’allons pas être déçus ! 
Après avoir réveillé Ji-Pé qui prenait de l’avance dodo dans le camion (le bougre) et observé des gars dormant dans des duvets dans le soubassement des maisons typiques du canton, nous entrons effarés dans la BV. Un capharnaüm impossible dans cette caserne de pompiers. L’emprise de la disposition des sacs base de vie est importante, et les quelques pièces et couloirs qu’il reste sont bondés, inorganisés au possible. On dirait la retraite de l’armée napoléonienne pendant la campagne de Russie. Impossible d’avoir un espace vital pour s’assoir, les douches sont déjà bien sales et froides, incommodes (il n’y en a que deux), les toilettes squattées par des trailers pour se changer, les tables de repas jonchées de détritus que les trailers ne daignent même pas mettre à la poubelle. Incroyable ! 
La déception et  la tension sont grandes. Je m’embrouille même avec un trailer sur qui je renverse quelques gouttes de coca en ouvrant une bouteille qui venait de tomber (je n’en savais rien). Vite filer d’ici, et retrouver du calme. Nous n’avions pas prévu de dormi avec Antho, et cela tombe bien. Ji-Pé nous aide au mieux mais il est difficile aussi pour lui de trouver sa place. Tout le monde se gêne.

2° étape : BV 1 Binntal – BV 2 Eisten : 57 kil / 3300 D+ D-

Nous repartons à 2h35 du mat’, après 1h10 d’arrêt. Nous voilà enfin un peu seuls dans l’attaque du Safflischpass où nous retrouvons vite Maxime le Suisse. Lui est son ami Alex ont une tactique particulière. Dormir chaque nuit (sauf la première) de 6 à 8h dans un hôtel sur le chemin, pour prendre un bon repos et galoper comme il faut ensuite. Original et intéressant à suivre. Ca monte longtemps et bien dans ce col, il faut se taper 1300 m D+ pour arriver à 2560 mètres. Sur la fin Antho part un peu devant, et je reste avec Maxime qui a un coup de mou pour l’accompagner au col qu’on ne voit jamais arriver. Les gants Gore-Tex imperméables achetés récemment sont indispensables pour ne pas être saisi de froid aux doigts. Pour le haut le petit coupe-vent offert au raid PPA 2017 est d’une terrible efficacité, couplé à un bon bonnet. L’aube va commencer à pointer le bout du nez et la température ressentie est en dessous de zéro.

Je me sens des jambes dans la descente roulante et rejoint Antho au moment où les rayons bleutés de l’aube apparaissent. Autour de nous spectacle majestueux des Alpes enneigées et des glaciers éternels au loin. Arrivée au ravito de Fleschbode à 6h40 ce lundi, accueillis par un bénévole sympa qui aide tout le monde au mieux. Le bouillon fait du bien, comme le fromage et le saucisson dont nous ne sommes pas encore lassés.

De là démarre une section quasi plate nous menant au col de Simplon. Quasi plate mais où tout le monde s’est planté dans la difficulté et la vitesse de progression. Section très jolie mais très irrégulière et cassante, avec un balisage fait dans le sens de la montée qui aura raison de certains d’entre nous (fanions cachés derrière des rochers ou en sortie de courbe). 4h pour faire 15 kil…et perdre pas mal d’énergie. 
Pause à Bortelhütten
Plat mais cassant

La fin de progression en marchant sur le paravalanche protégeant la route est original, mais c’est cassés que nous arrivons au Simplonpass. Là la déception est grande pour beaucoup à ce petit ravito n’offrant aucune possibilité de dormir. Heureusement un pot de Nutella ravit les papilles. Il est 10h40, pas encore une journée de course, et certains esprits s’échauffent sur la légèreté de l’organisation (manque de diversité aux ravitos, manque de lits, problème de balisage, première base de vie innommable, suivi GPS défaillant…). Heureusement je peux rassurer Laeti via le portable et nous faire aider de Ji-Pé. Cela évite de focaliser sur cet aspect négatif qui peut altérer le moral. 
Vue depuis Simplonpass

Nous n’avions pas prévu de dormir si tôt, mais cela nous est nécessaire pour effacer cette section qui nous a touchés, et repartir du bon pied. 1h de sieste dans le camion, c’est du luxe !
88 kil faits dans cette première journée de course. C’est beaucoup mais nous étions sur la partie la moins difficile. Nous savons pertinemment que le rythme devra se réduire ensuite, et que tout se joue dans la bascule vers le 4° jour, après 3 nuits passées dehors.  Pour l’instant nous ne comptons pas du tout les kilomètres, mais prenons les sections comme elles viennent, car il ne sert  rien de se projeter si tôt. Moi je sais que mes étapes psycho seront les kil 100, 170 (record), 200, 260 (reste 100), puis 300.

Côté pieds çà va. Juste une petite ampoule que j’ai vite percée et strappée. Je cours en chaussures à pied large (Topo Terraventure et Altra Lone Peak) qui m’offrent un grand confort dans ces distances où les pieds gonflent vite.

Allez zou, on redécolle vers le Bistinepass à 6 kil et 560 D+. Progression facile et paysages somptueux. La météo nous gâte et devrait tenir au moins jusqu’à mercredi soir. Nous retrouvons Jacques dans cette partie, et basculons ensemble dans un vallon pour remonter au Gibidumpass et trouver le ravito de Giw. 
Regard vers Gibidumpass


Chouette ravito, dans un beau cadre, où je retrouve « L’écureuil », un autre Kikoureur.  Je laisse filer Antho tranquillou et prend le temps d’une pause en savourant le paysage. L’étape suivante en cette fin d’aprèm est un 11 kil de 340 D+ (au début) et 1200 D- (à la fin) jusqu’à la 2° base de vie d’Eisten. Et 1200 D-, après plus d’un jour de course, çà commence à faire mal aux quadriceps. Très jolie progression dans une belle foret ponctuée de myriades de cèpes (comme depuis le début) de myrtilles et fraises de bois. Je suis seul souvent, enfin, ce que je cherche dans ces courses. La solitude qui permet l’introspection, la communion avec la montagne et ce qui la compose, avec notre esprit qui déambule entre faire le point sur notre état de forme et jouir des paysages. Ce moment de la course où l’on est pas encore trop « tapé » et pleinement heureux d’être là. Le pied quoi !
 Village dans la descente vers Eisten

Je rattrape Jacques, puis le quitte le temps de faire des photos et d’envoyer des MMS à Laeti pour qu’elle en profite elle aussi. Certains hameaux typiquement suisses sont adorables et suscitent notre émerveillement. Le panorama alpin est grandiose. La descente finale vers Eisten est très pentue. Il convient d’y progresser doucement afin de ne pas s’exposer à la chute, ni trop solliciter les frottements dans les chaussures et abimer les pieds. Je rejoins Antho à 1 kil de la BV et sommes bien heureux d’y retrouver Ji-Pé à 18h30 (km 113 et 29h30 de course).


 Rencontre "locale"

Arrivée à Eisten, déterminés
Cette BV a meilleure tournure, vaste et bien organisée. Les bénévoles aux petits soins, le repas de pâtes bien satisfaisant. Mon organisation dans une BV se fait comme suit : brancher les recharges téléphone et frontale, boire et manger un bout, s’étirer et filer sous la douche, se faire masser (mais aucun masseur ni podologue à l’horizon depuis le départ…), se changer, refaire le plein de tout, remanger et boire, et repartir… Simple non, mais çà nous prend tout de même 1h15 sur le coup, en croisant Zinzin qui va bien et d’autres comparses. Toujours pas décidés à dormir (toujours très compliqué dans les BV à cause du bruit) nous préférons repartir et envisager çà à la fin de la prochaine section à Grächen. Et autant vous dire qu’on a eu le nez creux.


3° étape : BV 2 Eisten – BV 3 Zinal : 45 kil – 4100 D+ D-
Ragaillardis nous partons à l’assaut du passage Hannigalp. A l’assaut est bien le mot. J’adore les cartes et j’ai bien analysé en amont celles de la course, mais là je n’ai rien vu venir. La montée vers le passage est un délire entre le droit dans la pente à l’andoranne (qu’on avait déjà pu remarquer sur quelques sections avants), le travers/dévers avec du vide à côté, et le fraye-toi-un-chemin-comme-tu-peux dans les cailloux. Un truc qui nous saute à la gorge, nous surprend et nous tape sévère. Premiers signes d’énervement pour moi qui n’en vois pas le bout. Je sors ma carte pour me situer et suis déconfit de la lenteur de progression. Des trailers nous dépassent. Sommes nous à la ramasse ou sont-ce eux qui déploient une énergie démesurée ? 
On transpire, on ahane, on peste…on « négative ». Et on se demande ce que cette section peut bien venir faire dans un ultra-trail…(et ce n’est qu’un début). M’enfin, à quelques encablures d’une crête désespérément enfin atteinte, le bonheur est au bord du chemin. J’entends un « crac » sourd, qui malgré mon état de fatigue m’indique qu’il ne s’agit pas de l’écureuil du coin. Je tourne la tête et dans le halo de ma frontale, à 10 mètres, passe majestueusement un beau bouquetin bien couillu. J’en reste coi, et me dit que ma course est déjà réussie. Topissime !

On bascule au col, marqué par une église aux murs transparents d’un plus bel effet qui donne envie d’y pénétrer pour ronquer sur ses bancs. Mais à 540m D- plus loin nous attend Ji-Pé, alors nous filons sur une piste carrossable venant opportunément remettre nos quadris, mollets et pieds dans une humeur plus apaisée.
Grächen zum See, grand hôtel posé au bord d’un petit lac au kil 123. Il est 23h15 en cette fin de lundi. C’est fourbus que nous éclairons Ji-Pé en train de se la couler douce dans le camion. Besoin d’un gros somme, mais d’abord de manger et de s’étirer dans l’humidité et le frimas d’un brouillard naissant. Effort difficile à faire mais nécessaire avant de coincer de partout. 
Lassés des ravitos pas très variés que l’on nous propose, nous avons demandé à Ji-Pé de nous trouver des sandwichs au poulet pleins de mayo, et yaourts au chocolat. Et bien autant vous dire que le bonheur est simple comme quelques francs suisses. Entre cette légère bombance, et la satisfaction d’avoir tactiquement préféré dormir après la BV et surtout après cette difficulté et juste avant l’énoooorme qui nous attend, le moral est reboosté. On s’installe donc dans le camion pour un sommeil profond de 3 heures.

3h10 du mat’ en ce mardi. Ca y est on bascule dans le 3° jour de course, après 2 nuits passées dehors. Bref passage au ravito où le tenancier semble peu s’intéresser à ce qui se passe autour de lui. Certains dorment sur les tables. Autant repartir « frais » d’ici, car chacun sait qu’il va se lancer dans le 2° tiers le plus difficile du parcours. Entre le km 123 et le km 241 se sont 7 passages à près de 3000 mètres et des pentes très prononcées en montée comme en descente qui nous attendent. Le rythme va s’essouffler, les organismes marquer le coup. Une grande partie de son avenir en course se joue à partir d’ici.
Nous descendons jusqu’au fond de vallée à St Niklaus traversant ces petites bourgades touristiques aux rues complètement silencieuses à cette heure, mis à part un radar qui nous flashe à...5 km/h ! Ji-Pé nous passe pour joindre la prochaine étape, dans son périple de plus de 800 kilomètres d’assistance. Quel chantier pour lui aussi d’être à l’heure aux RDVs, alerte pour nous assister, et  gérer son sommeil en fonction de notre progression ! 
Plus envie de courir même dans ces descentes sur bitume. Nous sommes passés en mode rando, la course serait potentiellement trop sollicitante pour nos muscles.

Nous voilà au pied de la plus longue ascension du parcours : un 1800 D+ qui va nous mener à l’Augstbordpass et ses 2900m d’altitude.  Une belle bavante coupée en son milieu par une halte au village isolé de Jungu. Nous retrouvons Jacques et Maxime au début de progression. Nous allons rester unis dans l’effort. La pente est vite très forte, ne laissant aucun répit, ponctuée de calvaires dont l’on se demande quel courageux pèlerin peut bien honorer. Les coups de mou se font chez les uns ou les autres et nous nous accordons régulièrement quelques pauses « souffle » de quelques secondes.
L’aube commence à poindre à quelques encablures de Jungu, village ancien seulement relié à St Niklaus par un funiculaire privé. Petit hameau d’une quinzaine de chalets/fermettes qui émerge du bois. Surprise au ravito à l’un d’entre eux, l’accès à l’intérieur nous est refusé. L’un des deux bénévoles, austère et rond comme une huitre, refuse avec véhémence et parfois usage de la force l’accès à la douceur de son micro foyer ! Nous sommes tous contraints de prendre le ravito dans le froid glacial dehors. Ceux qui comptent se réchauffer ou se reposer là sont déconfits, sachant que la prochaine halte à l’abri est encore bien bien loin. Situation incompréhensible dans une course d’une telle difficulté, où ne pas permettre aux coureurs de se reposer régulièrement hors BV les met réellement en danger.
 Je veux récupérer mon sac mais un concurrent allemand m’interpelle : fatigué il s’est assis sur ma frontale posée contre mon sac ! La patte de maintien de la lumière est cassée, elle ne tient plus en place. Il est désolé et veut me prêter sa frontale de rechange. Cela arrive, j’aurai du la ranger mieux. Heureusement le jour va se lever incessamment et je me servirai de celle de rechange pour la suite. Nous repartons tous les 4 mais Maxime ne retrouve plus ses bâtons. Un concurrent est parti avec. Le temps de faire le point avec tous les autres nous retrouvons ceux laissés sur site. A quelques centaines de mètres Maxime retrouvera le même allemand qui se confond à nouveau en excuses...et lui rend ses bâtons. 

Quelques dizaines de minutes plus tard nous sortons à nouveau de la foret pour pénétrer un pierrier, et là, le spectacle commence… Dans notre dos le soleil se lève au dessus des glaciers. Nous sommes en pamoison devant ce spectacle que nous sommes tous venus chercher. Le pourquoi de notre passion s’offre à nouveau à nous. Ce plaisir inégalable de se trouver seuls dans une nature majestueuse et un lever de soleil flamboyant. Les téléphones sont de sortie et mitraillent, tant le spectacle que nos visages éclairés de bonheur. 
 Jacques - Anthony - Maxime




Des larmes coulent à mes yeux : la fatigue et l’émotion combinées. Je pense à mes proches à qui je dois tout cela. C’est réellement merveilleux, pendant 30 minutes un spectacle inoubliable….avant de basculer dans un versant lui pas encore exposé au soleil, mais à un tout autre élément naturel bien plus sournois…
Le gel ! Il a gelé ici cette nuit, et celui-ci recouvre les pierres de cet immense amoncellement de blocs et pierres qui doit nous mener jusqu’au col. Les sourires font donc place aux grimaces quand il s’agit d’être délicat au posé de chaque pas. Les bâtons ne sont pas de trop mais malgré cela les glissades fréquentes. Poser les mains est parfois plus rassurant. Cela va durer près d’une heure avant de retrouver un chemin moins exposé jusqu’au col (2891m). A celui-ci Jacques ne prend pas l’option « pizza au prochain ravito » si il montait au 3000 juste à côté. 
La vue est splendide des deux côtés. Sous un doux soleil qui nous réchauffe nous prenons le temps d’avaler quelques friandises. En plus des aliments que je récupère aux ravitos j’ai pour ma part avec moi des compotes en tube ou des bonbons Haribo, que j’alterne avec le saucisson et le fromage, au gré des envies.

La fin de la montée 

 Le col à 2 891 mètres

Le début de la descente, on sera en face tout à l'heure
Maintenant c’est une descente de 1100 D- et 6,6 kil qui se présente jusqu’à Blüomatt. Assez raide et cassante au début je vais y perdre le contact avec Antho, Jacques et Maxime. La partie médiane plus roulante ne m’est pas plus favorable car j’accuse un coup de mou. En sus depuis cette nuit je commence à avoir mal au bide, ce qui a chacun de mes pas en descente me fait mal à l’estomac. Pas aisé de courir…je vais prendre un Spasfon au prochain ravito. La partie finale dans les bois à nouveau très raide me mène au charmant village de Gruben dans lequel j’ai encore un peu la force de courir. 
Gruben


Les muscles vont globalement bien, même si les cuisses et mollets sont très sollicités dans les descentes et les montées, de façon différente à chaque fois. Par contre les pieds commencent à chauffer à chaque pas, car ils supportent, outre notre poids, tous les aléas du terrain par des compressions et frottements. Faire attention où on les pose est donc essentiel, comme les surveiller et les entretenir à chaque arrêt.
Peu avant Blüommatt je rejoins enfin Antho et Jacques. Nous voilà sous le soleil dans cette magnifique petite vallée enchâssée du Valais germanophone. A nouveau un environnement incroyable. Le ravito a pris place dans une fromagerie, c'est-à-dire un élevage bovin qui produit lui-même son fromage. Nous sommes superbement accueillis à 11h10 ce mardi par les propriétaires qui font office de bénévoles. Ravito classique (qu’ils nous avouent avoir complété par leurs soins car ils n’avaient déjà plus assez des victuailles apportées par l’organisation…) mais aussi local avec un appareil à raclette en train de fonctionner. Payante certes, mais qui va faire un bien fou avec ses patates, oignons et cornichons. Les jambes en l’air, le corps au frais, je savoure… Un coureur singapourien fait de même, cela doit lui paraître encore plus délirant.
Je repars avec Antho, mais cette raclette je vais la « savourer » (de moultes renvois) jusqu’au col suivant de la Forclettaz. La montée n’est pas très compliquée, et nous rencontrons en chemin l’un des vachers des bêtes à l’estive nous ayant donné la raclette.


L'estive
A nouveau 1000m de D+ dans un cadre merveilleux, entourés par des glaciers majestueux. Quelle chance d’être là ! En 48 heures on en a déjà largement pris plein les mirettes ! Mais toujours ce souffle qui se fait bien plus court à partir de 2400 mètres nous faisant progresser lentement.
Voici le col, 150 kil parcourus et 11 300 D+. Il faut à nouveau basculer dans une descente, à partir de maintenant dans le Valais francophone. A chaque fois la transition est délicate. Les muscles qui depuis 2 à 3 heures s’étiraient d’une façon, doivent s’adapter à une nouvelle sollicitation. Cela prend quelques secondes mais il ne faut pas brusquer la machine.

La descente est agréable et nous mène rapidement au ravito de Tsahelet. De là nous allons rejoindre le grand travers plus ou moins plat emprunté pendant 5 kilomètres par  le célèbre trail Sierre-Zinal qui a eu lieu il y a quelques semaines. Nous trottinons de temps en temps mais surtout nous imaginons à quelle vitesse Kilian et consorts ont du survoler toutes ces pierres et cailloux dans une vitesse folle. 
Nous passons également à côté des majestueuses vaches noires locales du Valais francophone. Superbes bêtes à la robe intense. Sentier en balcon vraiment très sympa qui nous permet d’apercevoir au loin la Corne de Sorebois que nous devrons gravir tout à l’heure, mais aussi le village de Zinal tout en bas où siège la 3° base de vie, et surtout au loin les « cinq 4000 » enneigés dont le mythique Matterhorn, le Cervin et sa forme si caractéristique. 
Les 5 "4000" de Zinal

Arrêts photo indispensables et arrêt ampoule juste avant la raide descente. Et oui, à force de chauffer les doigts de pieds « déclenchent » un peu. Une deuxième petite ampoule s’est faite jour et je prends le temps de la percer et strapper. La 1° d’hier n’a pas évolué, tout va bien donc. 
Cet arrêt de 5 minutes me fait perdre Antho et Jacques de vue. La fin de la descente est assez raide et peut elle aussi exploser les pieds si l’on ne fait pas gaffe. C’est donc à petit train, et hésitant sur le marquage des fanions, que je rejoins enfin Zinal où Ji-Pé sort de la superette les bras chargés d’eau gazeuse ! Immense bonheur quand il me tend une bouteille de San Pellegrino !!! Je prends le temps de la savourer, avec Antho retrouvé, sur un banc du village. Petit moment de décontraction musculaire au milieu de ce sympathique village. 

Zinal donc, 3° BV, au 3° jour de course (mardi 16h05). Nous faisons le choix d’aller copieusement nous restaurer d’un succulent émincé de poulet au riz curry proposé par l’organisation.
On m’y change également la puce GPS qui n’a pas fonctionné depuis le début…et ce ne sera pas mieux jusqu’à la fin. Situation déplorable qui a jeté un vent de révolte sur la course, inquiétant les familles et proches restés en France et souhaitant être rassurés quand à la progression des coureurs. Il est rageant que cette prestation incluse dans le paiement de 650 € ait été si défaillante. De mon côté cela m’a coûté 30 € de hors forfait téléphone pour régulièrement informer Laeti de ma position. Et heureusement que le réseau téléphonique suisse est incroyablement couvert, car je n’ose imaginer les situations catastrophiques avec des conditions météorologiques plus dégradées couplées à l’absence de bénévoles sur les points chauds de la course, et l’inefficacité du GPS. J’en reparlerai plus tard, mais le bilan humain aurait pu être plus lourd, voir tragique….

Les premiers masseurs apparaissent à Zinal, mais l’attente est trop longue. Nous nous restaurons donc, plus douche et change, pour repartir assez confiants. Nous avons décidé de faire la même stratégie, à savoir d’entamer la nuit après une BV qui nous a ragaillardi, afin d’attaquer la difficulté suivante, puis dormir en milieu de nuit pour ensuite être « frais »  avec l’arrivée du jour.

4° étape : BV 3 Zinal – BV 4 Grande Dixence : 40 kil – 3900 D+ D-
Donc après 1h15 de pause nous voilà repartis droit dans la pente à l’attaque du 1200 D+ sur 5 km (presque digne de l’ascension du Coma sur la Ronda) nous menant à Sorebois. Pente vraiment très très raide, nous offrant l’avantage d’un panorama époustouflant sur le Cervin, mais se terminant très inesthétiquement à la verticale sous les pylônes des remonte-pentes de la station de ski locale. Petite faute de gout dans le parcours. 

Le Cervin, en arrière plan, à droite



Cette montée ne rigole vraiment pas mais je fais tout mon possible, à bloc, pour arriver au col avant la nuit, afin d’apercevoir en contrebas le lac de Moiry et sa couleur émeraude. Antho paye un petit coup de fringale sur la fin mais nous nous retrouvons assis devant le somptueux soleil couchant avec une compote et des bonbons Haribo. 19h50, je téléphone à mes proches pour leur faire partager ce moment. Quelles émotions !

Depuis le col, derniers rayons de soleil

Descente de 600 D- maintenant pour rejoindre Ji-Pé au bord du lac. Tranquille, en trottinant. On y arrive à 20h35 à la nuit juste tombée, pour une pause de 15 minutes. Ji-Pé nous conte ses galères de route, il fait une sacrée SP lui aussi. Zinzin est passé il y a moins d’une heure, tout frais. C’est chouette, nous pourrons avoir des images faites dans les mêmes conditions jour-nuit que lui.
Vue du lac pour Ji-Pé

Départ pour le col de Torrent à 700 D+  avec une première halte rapide au ravito de Torrent. Une demi-douzaine de jeunes suisses tient ce ravito en pleine humidité et léger vent. Ils ont bien du courage car rien pour s’abriter. Idem pour les trailers voulant se poser un peu. Pas moyen de dormir ou s’assoir au chaud ici, ce qui peut en mettre en difficulté certains. Les jeunes font ce qu’ils peuvent pour nous encourager, et ont eu la vaillante idée d’acheter un sachet de carottes crues, ce qui casse avec la routine habituelle. Il manque souvent des légumes verts ou crus aux ravitos et BV dans les ultras, ce qui pourtant éviterait bien des carences et égayerai l’estomac et les papilles des concurrents.
On repart, je chausse vite les gants Goretex et la veste montagne que je n’avais pas encore sortis du sac. L’humidité tant le froid nous saisissent en ce début de nuit. Tout ce matériel obligatoire que l’on trimballe dans son sac pendant des jours n’est pas là pour rien, et peut à un moment ou à un autre nous « sauver la vie ». La frontale de secours a déjà son utilité pour moi suite au bris de l’autre. Même étant l’un des moins frileux de la course les gants Goretex et la veste sont nécessaires. Ne parlons pas du bonnet ou du t-shirt long chaud que j’ai aussi passé sur le court. Il y a juste le sur-pantalon qui n’a pas encore été utile, mais çà ne saurait tarder… Le temps que je m’équipe Antho est au loin, quelque part dans les frontales qui me précèdent. Je le rattraperai juste avant le col.

Antho et moi nous sommes connus il y a deux ans sur la Ronda dels Cims en Andorre, la plus extraordinaire de toutes les courses. Nous avions fait parfois chemin commun et avions gardé le contact. Nous nous sommes lancés solidairement dans l’aventure SwissPeaks, pensant à minima faire 24 h de course ensemble. Finalement cela fait 2 jours et demi que nous avançons de concert, bénéficiant ainsi tous deux de l’assistance de Ji-Pé, et surtout de notre soutien mutuel. Nous avons quasi la même vitesse de course, mais surtout la même idée sur celle-ci et les mêmes désirs. Nous nous entendons à merveille, et même si pas toujours ensemble notre proximité nous rend beaucoup plus confiants que d’affronter seuls ce défi. Durant cette course nous allons nous trouver 1/3 du temps côte à côte, 1/3 en visuel à maxi 100 m, et 1/3 sans se voir mais sachant que nous allons nous retrouver au prochain ravito. Ceci nous a permis d’avoir des moments de communion, de partage, comme des moments nécessaires de solitude et d’introspection. La formule idéale.
Col de Torrent, pas mécontents d’y être. Je viens en effet d’égaler mon record de distance et de D+ en course (Ronda = 170 kil et 13 000 D+), tout comme le temps d’effort (56h). J’en fait part à Antho, tout ce qui est pris désormais est bonus. Pour lui il faudra attendre encore quelques kilomètres ayant fait un 183 kil sur une Ronda enneigée. 
Un gros 1540 D- nous accueille désormais pour nous mener au dodo du ravito de La Sage Evolène. L’une des plus longues descentes de la course qui va s’avérer l’une des plus fatigantes et cassantes. Assez régulière et trottinable au début elle devient franchement inconfortable puis insupportable dès son milieu. L’impression de voir les lumières de la bourgade et de ne jamais y arriver, tout en empruntant le sentier qui ne semble pas le plus aisé de ceux proposables. Je commence à exprimer mon agacement, exacerbé par une dose de fatigue qui s’accroit (cela fait 21h que nous n’avons pas dormi). Première hallucination lorsqu’en pleine torpeur pré-sommeil je pense « je suis en Italie ou en Espagne là ? ». Il est temps de me poser.


Heureusement Antho me motive, fait tampon, et nous amène tant bien que mal dans le petit hameau de la Sage à 0h25 où Ji-Pé nous attend avec ses sandwichs dégoulinants de mayo ! Putain quel régal ! Je les déguste à même le bitume tout en faisant mes étirements. Se nettoyer les pieds avant de dormir fait également un bien fou, et nous nous glissons dans nos duvets préparés avec attention par Ji-Pé pour 3h de sommeil. Même si le réveil est extrêmement difficile, mais il faut passer le cap et se forcer à sortir du duvet, la stratégie de sommeil s’avère payante.

 De jour, notre "dodo roulant", tenu nickel par Ji-Pé !



Après tous les soins d’usage, le remplissage de victuailles et le bisou à Ji-Pé nous repartons en forme à 4h40 pour les quelques 2h30 de nuit qu’il reste à faire. L’on continue tranquillement la descente sur Evolène, avec là aussi des hésitations sur le chemin à suivre assez mal indiqué à l’approche du bourg. Bourg tout vide, qu’il est fun de traverser au petit jour, juste titillés par les arômes émergeant de chez le boulanger déjà la main à la pâte.

Voici l’attaque dans la foret, pour joindre le ravito de Chemeuille puis le col de la Meina. Un 1400 D+ de bon matin, comme çà, rien que pour le fun. Longue partie dans la foret avec toujours le premier tiers de montée très raide, puis un radoucissement au tiers médian, pour finir par un tiers très raide à l‘approche du col. 
Nous retrouvons quelques Kikourous au ravito de Chemeuille, dans le soleil levant : Antoine, Cheville, Jacques. Jolie ambiance entre nous même si le jeune qui tient le ravito nous annonce qu’il n’a plus d’eau ! Plus d’eau ! ? Comme est-ce possible pour cet élément essentiel ? Il reste quelques victuailles étalées sur une table capharnaüm sur laquelle il convient de trier nos denrées. Du bouillon encore chaud dans la marmite, mais pas d’eau… Il part avec son cubit de 20 litres en chercher à la bergerie au-dessus mais celle-ci est encore fermée. Bon, là on touche l’ubuesque. Tant pis, on fait avec ce qu’il reste en évitant de remplir les gourdes avec le fond de Suze et de Pastis qui eux ont leur place sur la table… Il faudra jouer de chance plus haut, ou après le col, pour trouver un filet d’eau.

 Tout ce petit monde s’ébroue vers le col de la Meina, lorsque le berger délivre devant nous la cinquantaine de vaches de combat (tradition des vallons proches) qui ont passé la nuit dans la bergerie. Chacune de ces championnes porte une grosse cloche et nous faisons partie d’un coup d’un tableau mouvant, détonnant et bruyant de quelques traileurs entourés de splendides bêtes au beau milieu des glaciers illuminés de cette rasante lumière de l’aube. N’en jetez plus, la coupe de bonheur est pleine ! 
Les belles sur notre chemin
Mdr !!!
L’arrivée au col (2700 m) est elle aussi superbe, avec toujours le souffle court à partir de 2400 mètres. Deux jeunes et sympas randonneurs nous donnent des nouvelles des prévisions météo qui s’annoncent très bonnes jusqu’à au moins demain (jeudi) soir. Ils ont bivouaqué à proximité du col et ont certainement du drôlement se cailler car des parties sont encore gelées. 11h15, le col, souillé par une immense croix en bois, donne une vue imprenable sur l’autre versant et le titanesque barrage de Grande Dixence où se situe la 4° base de vie et notre prochaine étape. Je vous passe la beauté du paysage, c’est juste incroyable ! 

Depuis le col, Grande Dixence au loin, mais d'abord il faut tout descendre pour y remonter, et ensuite filer au pied des glaciers sur la droite 😜
La descente de 1100 D- vers Pralong, un peu technique au début, puis assez roulante et finalement très pentue (comme toujours) m’est difficile. A la faveur de mon arrêt au col, Antho est parti un peu devant, et Maxime le Suisse me rattrape et me dépose. Je souffre toujours beaucoup de mon ventre qui est extrêmement gonflé. Chaque pas ou sursaut en descente m’est douloureux en appuyant sur mes intestins. J’ai pris un anti-inflammatoire il y a 36 heures mais je n’ai pas l’impression que c’est cela. Les Spasfon ne semblent pas faire effet non plus. C’est assez handicapant car je n’arrive pas à trottiner pour rejoindre Antho et je perds du temps. Obligé de marcher. En sus je commence à être à sec d’eau et la matinée s’annonce chaude. Il faut donc que je positive en pensant à la prochaine BV. Heureusement à l’orée de la foret je trouve une source et peux me désaltérer abondamment. Le bois ensuite rafraichit la température tout en nous menant par des sentiers très pentus en fond de vallée. Un petit calvaire pour moi que cette descente. 

Nous sommes dans le 4° jour de course, là où tout peut basculer. Comme l’a dit Antho tout se joue entre ce jour et cette nuit, là où l’on passe d’un ultra classique à un format exceptionnel. Il faut donc passer en mode « rando-course-qui va loin ». Pralong, enfin. Je suis accablé de chaleur dans ce fond de vallée. Un petit ravito sauvage est en train d’être installé par un bénévole. En attendant les pizzas dont il me fait saliver il m’offre un thé bienvenu. Je prends 5 minutes pour m’allonger à l‘ombre, les jambes en l’air, pendant que deux autres concurrents vont boire un café au petit resto proche. Je suis vraiment diminué par la chaleur et le mal au bide. Pendant ces 5 minutes j’essaye d’oublier cela. J’avertis Ji-Pé que j’arriverai bien après Antho au barrage, étant dans le dur.


Remise valaisanne


Cette montée de 500 D+ et 5 kil vers le barrage je ne l’aurais apprécié que si elle ne se faisait que par la route. Mais là on nous met à mal inutilement en nous faisant passer par le lit de la rivière dans des amoncellements d’alluvions. J’apprécie peu. Je reviens sur deux allemands qui vont me permettre de tenir un rythme jusqu’au mur du dernier coup de cul vers le pied du barrage. Trop chaud, vraiment trop chaud, heureusement à l’ombre. Un mauvais moment à gérer. C’est çà l’ultra : savoir ne pas s’enflammer quand tout va bien, et ne pas désespérer quand tout va mal. Mais nous sommes arrivés au kilomètre 200 du parcours, ce qui ne peut qu’avoir un effet positif. Il ne nous reste plus qu’un ultra classique, et cela ne me semble pas du tout insurmontable.
L'hôtel = base de vie n°4

Enfin, voici Ji-Pé auquel j’ai du mal à exprimer ce dont j’ai besoin dans le camion, complètement ensuqué. Le pauvre, il a à faire avec nos états de fatigue et nos désirs parfois incompréhensibles. L’hôtel du barrage sera notre havre, construit pour les ouvriers édifiant ce barrage poids le plus haut du monde, aussi haut que la tour Eiffel. Cela fait un peu bâtiment stalinien, mais il nous va bien. 12h35 en ce mercredi, Antho est arrivé 15 minutes avant moi. Nous sommes accueillis par des supers bénévoles qui nous servent du poulet à la milanaise, une composition de légumes du meilleur goût (carotte, choux fleur, courgette) et des pâtes et patates à la valaisanne. 



Super douche chaude, Antho redescendra d’ailleurs en slip de l’ascenseur au mauvais étage, surprenant les touristes attablés au bar du resto. 


Antho savoure le massage à 4 mains 😁

Enfin un premier massage par une bénévole qui n’est même pas kiné, mais dont les bons soins sont un régal. Merci à toute cette belle équipe du barrage pour sa disponibilité !

5° étape : BV 4 Grande Dixence – BV 5 Champex : 50 kil – 3400 D+ D-
14h15, dehors il fait un peu plus frais, et nous savons que nous allons attaquer un gros morceau. Tout d’abord terminer l’ascension du barrage avant d’aller chercher le col de Pra Fleuri. Nous sommes toujours dans ce second tiers de course si difficile, dans lequel malgré les heures passées à avancer nous avons l’impression de ne rien faire de la journée. Comme un léger sentiment d’impuissance, qui peut donner à réfléchir sur les barrières horaires éliminatoires, bien qu’à Grande Dixence elles soient 6 heures derrière nous.


De la folie ce barrage, on ne distingue même pas les gens en haut !

Col de Pra Fleuri, à 923 D+ au-dessus, mais surtout qui culmine à 2963 mètres d’altitude (le plus haut passage). Un sacré chantier que d’arriver là-haut par un sentier parfois bien caillouteux et technique, très pentu parfois, dans un environnement austère de fin de monde, entre minéral et reliquat de l’ancien barrage et de ses baraquements. L’impression de pénétrer dans le Mordor du Seigneur des Anneaux. Vraiment une ambiance très particulière. Le col est atteint tant bien que mal avec des passages délicats, à mon avis trop techniques et dangereux pour des ultratrailers fatigués de plusieurs jours de course. 
Le chantier que nous venons de passer
Antho au col, regardant le chaos 

Du col vision impressionnante du glacier de Prafleuri que nous touchons presque, mais aussi vision apocalyptique et flippante du chemin qui doit nous mener à travers Grand Désert jusqu’au col de Louvie. Un chaos de roches, sans une once de verdure, amoncellement dantesque de blocs et falaises à perte de vue. Un chaos post apocalyptique doit donner la même impression. 
Le Grand Désert...minéral
La progression est lente, mal aisée, mal assurée. Je m’efforce de ne pas penser qu’un faux pas pourrait entrainer une entorse, une blessure, une cassure, un trauma, écourtant ainsi connement la course. Comment les secours pourraient nous repérer sans le GPS et le téléphone qui ne capte plus ? Et encore il fait quasi beau temps… Pour moi ce parcours est trop technique. Les organisateurs ont une chance insolente avec la météo. Ce d’autant plus que malgré la vue dégagée le sentier de la course est difficile à trouver. 4 types de marquages s’entremêlent depuis le col. Des fanions, des points roses, des oriflammes et le GR. Nous ne savons plus que suivre. Perdant un instant Antho je vais me trouver pendant 5 minutes à prendre la mauvaise direction vers le col de Louvie en prenant le GR. Ne voyant plus personne je ferai demi-tour pour trouver le ravito caché derrière une falaise, donc invisible en venant dans le sens de la marche. Et encore, ce n’était ni la nuit, ni dans le brouillard… Des différents échos je sais que je ne suis pas le seul à m’être perdu ici, et parfois bien plus longuement. 
Au ravito, qui était annoncé comme léger, les deux bénévoles ont eu la vaillance de nous trouver de l’eau, du thé, et des victuailles bienvenues. Ils vont certainement sauver la mise de plus d’un. Merci à eux !
Ascension du col de Louvie maintenant. Cet enchainement qui parait « facile » sur le papier et la carte n’est pas une partie de plaisir….jusqu’au moment où Antho se retourne vers moi et me dit « Sylvain, tu vas être content ». Je lève la tête, et là tout s’arrête. A 15 mètres de nous une troupe de 15 bouquetins des Alpes chemine paisiblement en croisant notre route. Image irréelle, nous qui étions seules âmes semblant vivantes depuis des kilomètres. Des gros mâles couillus qui se frottent aux roches, nous matant d’un regard fier et d’une posture noble nous indiquant  sans ambages qu’ils sont les princes de ces lieux. Ils défilent devant nous, comme passerait une baleine sous la coque d’un esquif, sans que nous puissions en altérer le mouvement. 


5 minutes magiques, d’une rencontre naturaliste tant attendue. Je n’aurais pas eu les hurlements du loup, mais je suis comblé, de quoi me booster pour le dernier raidillon qui m’attend. Mais en me tournant vers celui-ci, dernier clin d’œil facétieux d’un chamois debout sur un rocher surplombant le passage d’Antho. Putain quel kif !!!!

Les dernières onces du col se font en mettant les mains, en posant les pieds dans la neige, en évitant de basculer en arrière… Mais quel  parcours de ouf’ !!! 

Fin de montée...raiiiiiiiiide !!!
Là haut pas le temps de tergiverser, un ptit goulet de vent froid, Antho et un triathlète que nous côtoyons régulièrement s’en sont allés, il faut que j’avance. Rejoindre maintenant le ravito de PlamProz à 10 kil et 1600 m de D-. Encore une sacrée bambée à se taper ! Et le jour qui commence à tomber, le minéral qui est roi, mes jambes qui s’émoussent, mon ventre qui endure, mon esprit qui gamberge. J’ai le pied pyrénéen mais je ne sais pourquoi cette section m’est stressante. Le sentier est très technique et difficile, sans faux pas autorisé. Même la vue sensationnelle sur le Grand Combin qui ressemble tant au Mont Blanc ne me rebooste pas. Je prends le temps de prendre des photos mais le cœur n’y est pas. 
Le majestueux Grand Combin

Je divague entre l’appréhension de me faire mal et le stress des barrières horaires que je sens se rapprocher. Cette appréhension se transforme en peur et je ne suis plus à l’aise du tout. Il faut que je retrouve Antho, mais je ne le vois plus. Il faut que je puisse m’appuyer sur quelqu’un. Je commence ici à penser : « et si j’arrête ici ? », je gamberge un peu, ce sera le seul moment de toute la course. Enfin, au bout de 15 interminables minutes je le vois au loin et peut crier vers lui pour qu’il s’arrête. On se retrouve et j’en profite pour manger, manger, manger…c’est un début de fringale qui est en fait en train d’apparaître et me met en partie dans cet état.
3 concurrents nous rattrapent mais Antho va rester juste devant moi pour m’accompagner dans ce chemin en surplomb difficile et la descente vers le lac de Louvie. Il trouve les mots justes et fréquents comme il faut pour me rassurer et m’emmener comme une fleur au bord du lac, au bord de la nuit. Merci Antho pour ce sauvetage. 
Mais à la cabane de Louvie la partie n’est pas gagnée. Nous retrouvons Antoine et Cheville avec qui nous allons nous enquiller une acrobatique descente de 900 D- sur 4 kilomètres. Un pentu de ouf’ dans lequel les quadris et les pieds hurlent à la rémission. Pourtant il n’en est pas question et l’on serre les dents. Antho et moi avons prévus de dormir en bas, faut tenir. 
Cela fait déjà quelques heures que les  montées sont devenues moins désagréables que les descentes, c’est le lot de tous. Enfin, voici les lumières du bas, une route, puis un cheminement aisé d’un kil jusqu’au ravito. Ereintés et pour moi le bide explosé, nous savourons le choix pertinent d’avoir prévu notre dodo ici. J’essaye d’avoir, via Laeti que j’appelle et qui ne dort toujours pas (parfois un peu inquiète), des nouvelles d’Apos qui j’espère se sort des barrières horaires (lui qui a eu temps de mal dans sa prépa et était perplexe pour, comme moi, cette première sur cette distance). Difficile d’en avoir, mais ses posts sur FB semblent indiquer qu’il continue à se jouer des difficultés qui nous sont offertes (mais qu’on a payées quand même…).

Plamproz, 22h15, minuscule hameau magnifique de jour (dixit Ji-Pé) où nous sommes accueillis comme des princes. A peine assis sous le barnum je me vois proposer une raclette ! Gratos ! Le luxe !!! En même temps je lis mes SMS. Laeti m’y souhaite du courage et m’annonce ce ravito original. Les bénévoles présents, habitants pour la plupart le hameau, sont perplexes. Les nouvelles vont vite via les réseaux sociaux. J’envoie donc la photo du délit culinaire à Laeti. 
Merci Monsieur, vous m'avez sauvé la nuit !
A peine l’assiette finie je m’en vois proposer une seconde, puis une troisième… Avec plein de croute grillée que j’adore !!! Rhhhoooo, gâtés que je vous dis, cela me fait un bien fou au moral. Cette bascule si critique de la 4° nuit dehors vient de passer en quelques heures d’une pente glissante de détresse vers un versant plus rassurant de cocooning et de pensées positives. En quittant les bénévoles qui prennent en charge des concurrents arrivants comme des zombies, nous pouvons donc nous laisser aller quasi sereinement dans le van pour 3 heures de dodo. Ces bénévoles qui ont du improviser chez eux un dortoir pour les plus fatigués, alors qu’à l’origine rien n’était prévu. Formidables !
3 heures qui passent très vite. Il devient de plus en plus difficile de se remettre en route, car nous resterions bien au chaud. Se réveiller alors qu’il fait encore nuit pour fournir un effort n’est pas naturel, surtout avec 220 kil dans les jambes. Mais, rassurés par les bénévoles qui connaissent bien le coin et nous montrent des photos des bouquetins dans leurs jardins (nous qu’y croyions avoir fait un exploit que de les voir là-haut…), nous repartons à 2h20 pour une petite descente puis une montée bien bien sèche de 770 D+ vers la cabane Brunet. Nous y sommes rejoints par un duo de belges dont l’un trouve la force de papoter bien fort sans cesse. Quelle énergie, qui brise le silence alentour mais nous tenant éveillés. 
Sortis de la foret nous admirons le ciel étoilé, le croissant de lune resplendissant et les loupiotes dans notre dos qui descendent du lac de Louvie vers Planproz. Je suis de tout cœur avec eux dans cette descente infernale. Cabane Brunet, 4h du mat’. Le tenancier du lieu a encore les yeux plus petits que nous. On se pose dans sa jolie cabane pour savourer un bouillon et des Tucs.



Dans l’arrière salle le duo de Suisses rencontrés à Grande Dixence se tape un petit déj de seigneurs. Ils se sont réservés une vraie piole pour la nuit, le gardien leur a fait une fondue en dîner, et les voilà devant des tartines à la confiture. Ou comment joindre l’agréable à l’effort !!!

On repart pour des montagnes russes de petites descentes et montées qui me désorientent un peu. L’impression de ne progresser ni dans le paysage des villes en contrebas ni en altitude. Une petite période de flou en direction de la cabane de Mille. Un grand travers qui  surplombe la vallée qui ne me permet pas d’avancer sereinement avec mon bide récalcitrant. Et puis en cette fin de nuit mon corps recommence à s’endormir, comme à chaque fois. Il me faut le lever du jour qui lui agit comme une dose de RedBull. 
Quelques frontales au loin. Nous n’avons jamais été trop seuls pour l’instant sur cette course, ce qui est assez surprenant. Mais nous sommes dans le ventre mou du peloton, aux alentours  de la 150° place, là où gravite le plus grand nombre de concurrents. Ah çà s’élève ! Gros coup de cul pour atteindre les cimes. Je me disais bien que ces 600 D+ étaient cachés quelque part. 7h, nous arrivons au col de Mille à 2500 m d’altitude en même temps que les premières lueurs. Je n’aurais cesse de le dire : ces premiers instants d’un nouveau jour en montagne sont vraiment sans nulle autre pareil !  
Arrivée au col de Mille 💓
 Antho et moi sommes aux anges, sommes si bien encore à cet instant. Nos yeux se repaissent du panorama. A ces moments toutes les douleurs et peines sont oubliées. Ce n’est que jouissance absolue. Le panorama est époustouflant et je pense à ceux en bas ou ailleurs, dans la difficulté ou dans la joie. Je prends une photo pour leur envoyer mon salut amical de cet endroit. Que le Monde est beau là-haut, que nous sommes chanceux, et conscients de l’être. Antho et moi sommes vraiment émus et contents d’être ici.

C’est pas tout mais çà « pique » dehors, pas loin du zéro ressenti, on s’engouffre dans la cabane. Accueillis à nouveau par de charmants bénévoles, et Jacques qui sort de trente minutes de sommeil dans le refuge. Une traileuse nous parle avec franchise et humour des jupettes de course pour filles. Toutes les nationalités se côtoient et rient d’un même cœur.
Attaque du 5° jour de course. Punaise déjà 5 jours. Difficile de savoir le jour de semaine, mais nous savons que nous n’arriverons pas avant samedi, dans 2 jours. Nous sommes ici entrés dans un état différent, dans cette progression magnifique qui ne semble avoir ni début ni fin. On nous dirait d’avancer encore une semaine que nous le ferions. La machine physique avance, mue par un cerveau depuis de longs mois tourné et motivé par cet objectif. Magnifique être humain capable de tant d’abnégation et de résistance quand il s’en donne les moyens. En partant de cette cabane j’ai sincèrement l’impression d’être réellement moi, en ce point totalement accompli, pleinement heureux et jouisseur de la vie. L’ivresse des cimes peut-être ?

Pas possible un tel panorama !!!

La longue crête descendante depuis la cabane est un irréel ravissement d’où au loin nous voyons tant la BV de Champex que l’arc alpin ou la basse vallée valaisanne. Assurément l’un des plus beaux  passages de la course. 

Mais cette béatitude ne saurait durer. Revenus sur des chemins trottinables je ne puis en profiter. Toujours ce mal au bide que je traine depuis 3 jours. Je ne peux faire que 3 pas courants avant que l’air de mon estomac endolorisse tout mon ventre et m‘oblige à des éructations régulières. Un calvaire. Je n’arrive pas à suivre le rythme d’Antho qui pourtant marche. Cette longue descente de 1540 D- vers la Douay s’annonce comme un calvaire. 
Puis, l’orée de la foret, retrouvant Antho qui n’en revient pas de la taille de mon ventre, je percute ! Il s’agit d’une aérophagie liée à l’altitude. A chaque fois que je monte l’air compris dans mes intestins s’épand, et je dois l’évacuer en descente. J’ai eu un médoc fut un temps pour soigner ce type de symptômes qui peut être aussi du à un stress prononcé. Je tél à Laeti qui me retrouve le nom du médoc, et contacte Ji-Pé afin qu’il puisse me trouver cela à la pharmacie de Champex. 8h, elle ne devrait pas tarder à ouvrir. Vaillant Ji-Pé qui va encore prouver sa bravoure !
Voilà ce que çà donne (sans retouche) 😞

En attendant cette descente faut se la fader, et elle est bougrement pentue, cassante pour les pieds. Interminable, même si l’on retrouve le rigolo duo portugais, puis Jacques peu avant son terme. La Douay, enfin ! Difficiles retrouvailles avec un flot de circulation routier et ferroviaire. Il fait chaud, bien chaud à 800 m d’altitude. Il faut désormais rejoindre Champex à 5 kil et 700 D+ de là. Je n’avais pas prêté attention à priori à cette section qui me semblait facile. Mais je prends cher ! Vite posé par la chaleur, tapé par la pente qui s’élève de plus en plus en avançant. Chemin au substrat facile où l’on croise des promeneurs mais où j’entre en déliquescence. Ma langue depuis des jours brulée par le bouillon et le sel des aliments, mes gants mitaines qui puent le saucisson, le fromage, la transpiration et la morve réunis, mon entrejambe enduit de crème dont les effluves ne demandent qu’à disparaître à la douche promise d’ici peu…. S’en est trop, stop, le cul dans l’herbe, les jambes en l’air, besoin d’ouvrir la cocote minute.
Le moment où je prends chaud...et cher 😡

Antho est parti. J’hésite à repartir au bout de 3 minutes mais je sais que le type qui vient de me passer peut me servir d’appui visuel.  Se faire violence, et se dire que çà ira mieux…bientôt. Quelques larmes aux yeux, normal dans ces moments là, mais ne rien lâcher : « No pain no gain » et « No surrender », je le savais, j’ai payé pour çà, maintenant j’assume. Je me fais la peau pour atteindre Champex, la tête dans les épaules, les bâtons rageurs, comme pour conjurer le sort. Ji-Pé m’accueille en m’accablant gentiment de ne pas lui avoir dit que j’avais mal au bide depuis tout ce temps. Il a trouvé les médocs. Sa présence me réconforte. Merci à toi mon ami. Antho est arrivé il y a 10 minutes.

Midi pile en ce jeudi, BV de Champex. Le mouroir de l’UTMB comme on l’appelle. Il aura eu raison de l’Ecureuil. Je retrouve aussi Antoine qui va bien, et Cheville un peu « tapé » lui aussi. Presque le kil 250, il faut pas déconner ici si l’on veut perdurer. Je m’enfourne les pates bolo au parmesan, puis file voir le doc qui confirme le pronostic. C’est l’aérophagie des cimes. Prendre un cachet toutes les 4 heures et éviter les pâtes (impossible), le pain blanc et autres féculents. Ok pour le coca et l’eau gazeuse par contre, qui ne suivent pas le même « circuit ». Allez zou, la douche, étirements et massages bienfaiteurs. Pâtes à nouveau, Antho fait une micro-sieste dans l’intervalle.

6° étape : BV 5 Champex – BV 6 Champéry : 53 kil – 3500 D+ D-
14h15, nous repartons, la météo a tourné. La pluie fine est là et le brouillard tombe. La vraie pluie est annoncée plus haut, il faut revêtir les vestes. 
Le temps tourne au dessus du lac de Champex


Antho est reparti 5 minutes avant moi, je progresse le long du lac avec Maxime et son ami Alex, nos copains suisses. C’est le parcours de l’UTMB, hyper pas sexy qui va nous amener jusqu’au col de la Forclaz. Je pense à mon ami PPA Fred qui est passé ici il y a quelques jours lors de l’UTMB. Je ne sais pas quel est son résultat, j’espère que tout s’est bien passé pour lui. Je trottine par alternance, le bide me lance. Je reviens néanmoins doucement sur Antho et attaquons la montée sur Bovine ensemble, en compagnie d’états-uniennes en rando goguette dans cette section pourtant vraiment pas top. Quelques coups de cul dans un ciel changeant qui nous fait hésiter entre garder ou enlever la veste. Ce temps de montagne incertain que beaucoup abhorrent car justement…incertain.

Le ravito de la Giète, qu’Antho shunte. J’y rentre pour satisfaire à mes besoins et faire connaissance d’un agréable bénévole qui touille le bouillon et couve d’un œil aguerri les ouailles venues ici piquer un somme. Pas plus de 5 minutes, je repars confiant. Bientôt je serai au col de la Forclaz qui marque les 260 kil de course. Les ouvertures dans la foret nous laissent à voir la vallée du Rhône en contrebas. Spectacle saisissant de se dire que nous approchons pas à pas…de l’arrivée. 
Bovine
18h20, col de la Forclaz, te voilà, avec ta noria de motos et autos en goguette. Maxime est passé il a 10 minutes, Antho 5. Ji-Pé est tout jovial malgré son manque de sommeil et la panne d’essence qui guette le camion. J’entre dans la mini supérette du coin pour trouver de la morue à la sauce moutarde que je m’enfournerai ce soir au bivouac. La vendeuse pleine de compassion m’encourage.
 Maxime, le suisse
 Anthony, le vendéen
Sylvain, le Bibendum

Descente vers Trient, puis ce long chemin insipide long de la route. Je suis seul. Je prends sur moi. Je sais que dans quelques hectomètres m’attend la terrible descente dans la gorge de la Tête Noire. Je n‘ai pas eu le temps de prévenir Antho, j’espère qu’il ne m’en voudra pas. La voilà la descente, j’hésite à faire le grand tour par la route pour aller à Finhaut tellement on m’a dit du mal de ce passage. En effet, c’est un casse pieds terrible en descente et un casse cuisses insensé en montée. Le style de passage qui n’a rien à faire dans un ultra, juste bon à détruire l’once de moral qui peut te rester quand tu n’es pas prévenu. Je ne râle pas car je sais que là-haut je vais retrouver le confort du fourgon.
Je suis obligé de rechausser la frontale pour le dernier kilomètre et c’est heureux d’avoir surmonté cet écueil que je retrouve à 20h15 Ji-Pé aux prémices du village.

(En)Finhaut



Et comme une bonne nouvelle n’arrive pas seule, celui-ci m’annonce goulument qu’il a trouvé des pizzas pour nous sustenter ! Putain il est trop fort ce Ji-Pé !!! Je t’aime mon gars ! Au ravito nous retrouvons Max et Alex qui vont eux aussi profiter d’un camion, puis l’info que le premier est arrivé, et que les puces sont HS. Et voilà une boîte qui ne va pas faire long feu…Ici aussi débandade pour dormir pour ceux en autonomie, alors qu’il s’agit d’un point stratégique. Stratégique car nous venons de terminer ce tiers infernal de la course qui nous a fait passer par les plus hauts cols et les pentes les plus prononcées. Cette désagréable impression depuis 2 jours de ne pas faire de kilomètres mais seulement du dénivelé. 
Ca ira mieux demain, même si entretemps il faut se taper le dernier gros morceau : la montée au col d’Emaney puis de Susanfe avant de rejoindre la dernière base de vie. Ca sent bon hein !

J’en profite, en dégustant ma pizza et faisant des étirements, pour appeler Laeti, mon compère Denis et mon ami Yves qu’il me fait du bien d’entendre. Merci à vous trois pour tous ces précieux encouragements emplis d’humour et d’amour tout le long du chemin. Mon frère de trail Denis qui avait les larmes aux yeux en me quittant il y a quelques jours, de me voir partir sans lui dans une si belle aventure. Il m’avait alors dit, front contre front : « je serai là avec toi, cours la pour moi ». Frères à jamais.
 Je propose à Antho de dormir 4h, car notre marge sur la barrière horaire est désormais confortable et nous pouvons nous payer le luxe d’une heure de plus. Lui est diminué depuis ce matin par une douleur au TFL du genou, très handicapante en descente. Il préfère dormir 3h et se préserver 1h de marge pour plus tard. J’acquiesce, même si je redoute un départ nocturne de plus en plus tôt. Et la suite me donnera raison. J’ai un mal fou à m’endormir, me retourne dans tous les sens, me tape des suées, et à minuit quand le réveil sonne j’ai l‘impression de n’avoir que trop peu dormi. Néanmoins nous partons une demi-heure plus tard, en ce vendredi matin.

J’ai très vite la confirmation de mon pressentiment. Je ne suis pas endormi, mais mes jambes ne veulent rien savoir. Le parcours n’est pas si difficile que çà mais j’ai un mal fou à y progresser. Antho se retourne régulièrement pour m‘attendre. Le duo allemand nous double aisément. Plus de gaz dans le moteur. La gestion du sommeil est un paramètre essentiel de ce type de course. Jusque là tout allait bien. Là je sens que çà ne va plus. Nous progressons néanmoins, et au bout d’une heure j’ai déjà faillit tomber deux fois sur ce sentier « facile ». Antho s’est éloigné.
D’un coup sur le bord du chemin je ressens un chat qui m’attaque avec sa queue, voulant me donner de violents coups. Oulà, 2° hallucination, complètement pris et envouté par le faisceau de ma frontale et la fatigue. Ni une ni deux, je me pose, mange, déplie ma carte et essaye de me situer. Je viens de sortir de la foret mais suis encore bien loin du col. La nuit est encore longue, il va falloir que je dorme. Malgré le thé froid dans ma gourde, je somnole. Sur ma carte à une demi-heure d’ici se trouvent les cabanes d’Emaney, prochain objectif. 
Le temps se couvre, la pluie est fine, le brouillard est là. L’intense emprise d’une météo de montagne, qui peut être flippante, je ne suis plus serein. Je n’ai pas envie d’arriver dans les dernières difficultés du col sans avoir retrouvé mes moyens, dans cette nuit noire, sur ces pierres humides. La chance est de mon côté. Après avoir dépassé les 3 fermettes qui semblent habitées, je trouve une remise où le fermier a entreposé son bois, sa tronçonneuse et sa hache. Remise à l’abri du vent et de l’eau. 
Je me cale à même le sol couvert de copeaux de bois, le dos calé contre une palette en bois. Je m’équipe de la totalité de mon sac : sur-pantalon, haut long, veste, gants, bonnets, et m’enroule dans ma couverture de survie. Je suis clair avec moi-même : je dors, qu’importe l’heure à laquelle cela me mènera, que ce soient 30 minutes comme au lever du jour dans 4 heures. J’ai besoin de me rassurer physiquement et psychologiquement. Finalement je somnole, sommeil entrecoupé des voix des rares trailers qui passent comme de la pluie qui tombe dru un moment, me satisfaisant ainsi pleinement de mon sort : je suis mieux là que dehors. 
Pause d’une heure, jusqu’à ce que le froid me fasse trembler. Tout remballer puis s’ébrouer et enfin rejoindre la nuit et l‘humidité froide à ces 1900 mètres d’altitude. Il me reste 550  D+ bien raides à avaler jusqu’au col d’Emaney mais je suis confiant. J’ai fait le bon choix, je vais mieux. 

Quelques frontales plus haut ou plus bas m’aident à tenir le rythme et à 5h45 j’atteins le col, bien heureux. Au loin, au-delà de la descente et du barrage de Salanfe, le ballet des frontales s’avance vers le col de Susanfe. Peut-être Antho y est-il déjà ? Je prends le parti que je serai sans lui pendant un moment, et m’engage  vers l’auberge de Salanfe qui sert de ravito. Descente un poil technique au début, que je suis content de faire avec le jour qui se pointe. Ciel chahuté, tourmenté, voilé, humide. Levé de jour moins majestueux mais tout aussi prenant dans ce cirque immense de Salanfe. Le bide ne m’aide pas à atteindre le barrage, là pourtant où je pourrais courir un peu.

7h, auberge de Salanfe, km 282. Dans le béton froid du sous-sol errent des fantômes portugais, japonais, singapouriens, suisses et français. Deux bénévoles peu engageants car certainement très fatigués. Pas possible de dormir pour ceux qui le souhaitent. Je choppe des Mule Bar goût tomate qui vont, je le sais, à un moment me faire le plus grand bien. Je sature du fromage et du saucisson pourtant très bons, de mes sachets de fruits secs qui sont pourtant pleins d’énergie, des Tuc et des oranges. Il n’y a bien que les bananes et les carrés de chocolat qui passent encore, mes compotes et sachets de bonbons Haribo. Antho semble t-il est reparti il y a près d’une heure et demi. Il n’a pas du se poser dormir.
Il fait bien jour et je reprends le chemin, complètement seul, vers le col de Susanfe. 7h40 j’appelle ma maisonnée qui se réveille. Le plaisir dans ce lieu austère mais infiniment beau d’entendre ma douce, mon grand, et mon petit qui vient d’apprendre à dire « papa y court ».  Pey, mon grand, à quelques jours du départ qui m’avait dit « Papa mange pas trop t’as la Swiss Peaks bientôt » et Laeti amusée qui lui avait répondu « Il peut, papa va courir une semaine ». Ces mots avaient raisonné longtemps dans ma tête…courir une semaine !


J’ai l’impression que le cirque de Salanfe est seulement pour moi. Personne en visuel à des lieus à la ronde. Seulement l’hélico de l’armée suisse qui s’entraîne à faire des posés sur une crête. 5 jours presque entiers que j’avance, et je n‘en ai pas marre, je ne suis pas rassasié de cette ambiance. Plus rien ne peut arriver maintenant, j’irai au bout, il reste moins de 80 kilomètres. Je n’ai jamais douté, comme dans un rêve.
Seullllllllllllll !!!!

Ce col de Susanfe à 2500 mètres est le dernier si haut, mais il se mérite. Il est planqué dans une immense barre rocheuse de laquelle, même quand on est dessus, on a mal à savoir par où on va la franchir. Passages très délicats, où il faut mettre les mains, et surtout être non sujet au vertige. Je suis bien heureux d’y passer de jour, et hors pluie. Délicat, trop délicat ce passage, dangereux, qui n’a pas sa place dans un ultra sans un minimum de sécurité. Et à l’horizon aucun bénévole ou guide de montagne, aucune chaîne pour rassurer, le grand néant… Limite, vraiment limite après 280 kil de course. Je persiste : l’organisation qui ne nous a pas suffisamment alertés sur les dangers du parcours et sur l’absence de sécurité, a mis sciemment en danger l’ensemble des coureurs. Et au prix où nous payons l’inscription ceci est difficilement tolérable.
 Mais par où passer dans ce dédale ???? 😨

Voilà le col, dans un désert lunaire de micro cailloux complètement irréaliste, battu par les vents et noyé dans le brouillard. J’ai adoré ce grand moment de solitude dans le cirque de Susanfe, certainement car j’en sors sain et sauf…


Au col

La bascule, dans des pierres et des cailloux trop humides pour être honnêtes vers Champéry et un redouté 1440 D-. Incourable jusqu’à la cabane de Susanfe. En outre pas rassuré à l’idée de traverser des troupeaux de moutons gardés par des patous que j’entends aboyer sans les voir. Je glisse, je me reprends, je contracte le ventre…pas mieux…comment fais je pour tolérer cela depuis 4 jours ? Et si je n’avais pas cet handicap, serai-je plus rapide ? Cabane de Susanfe, super accueil au pas de la porte. Bénévoles souriants, adorables et avenants dont je profiterai peu, seul, mais pressé de descendre.
Se présente désormais le passage du Pas d’Encel. Un merdier vertigineux pas possible, constellé de chaînes pour descendre en désescalade et de mains courantes pour contenir le vide. Obligé de lancer les bâtons 10 mètres en contrebas parfois pour me libérer les mains. Un truc qui fait avancer à un à l’heure et vous rassure peu. Juste se dire que c’est le dernier écueil (même si la suite nous dira que non), mais sans rire, c’est du n’importe quoi de passer par là…quand on voit que des plaques commémoratives de défunts jalonnent le trajet… 
Ca y est, c’est passé, comme le brouillard qui s’accroche à l’immense falaise, linceul des peurs et des morts qui nous libère enfin de son emprise. Le soleil resplendit plus bas, à l’orée de la foret, dans laquelle je m’efforce de courir pour rattraper le retard sur Antho. Longue et assez douce descente qui me verra notamment revenir vers un concurrent argentin avec qui j’avais parlé du pays, du Chili et des « tenedor libre » au-dessus de Jungu, il y a déjà 3 jours. Etrange de voir comme malgré les stratégies différentes de pause et de sommeil de chacun nous arrivons à nous retrouver régulièrement avec certains, presque depuis le début.

Faubourg de Champéry, c’est joli, çà sent le barbecue et la dernière base de vie. Je trottine autant que possible. A quelques hectos du ravito je sens l’accent des suisses Max et Alex en arrière. Juste pour le fun je ne les laisse pas revenir. 13h45 Ji-Pé m’accueille, en me soufflant que c’est hachis Parmentier au ravito ! Antho est arrivé il y a 40 minutes, mais surtout nous atteignons pile poil le 300ème kilomètre. 300 kilomètres ! Mince, çà ne sonne même pas possible à mes oreilles. L’irréel de la performance.
Spacieuse et belle base de vie où je me complais sous la douche, les mains de la masseuse et la fourchette pleine de hachis. Les extérieurs de mes deux talons voient poindre des ampoules en profondeur qu’il me faut traiter. Pas les plus faciles, car sous la peau dure. Mais mine de rien j’ai encore bien géré mes petons avec la recette talc et chaussures pieds larges. Quand je me rappelle l’état de mes pieds au bout de seulement 100 kil sur mes premiers ultras…

Je m'étale

Pas pire…

Des regards et des encouragements à mes compagnons de fortune. Antoine est reparti et vole vers l’arrivée, Cheville est explosé mais vaillant, Jacques encore alerte mais fatigué. Certains badauds admiratifs nous sollicitent et nous encouragent. Le temps de faire le point sur toutes mes fringues et matos, de préparer la dernière section, Ji-Pé doit partir en avance pour récupérer la chérie d’Antho.
Je pars à 16h, bien 40 minutes après Antho, mais super frais et motivé. Champéry, encore une vallée enchanteresse dont je traverse le joli bourg avec un large sourire aux lèvres. Il ne reste plus que 60 kilomètres, qui ,quoi qu’il arrive, seront plus aisés que ce qui est déjà passé. Demain, déjà demain, je verrais le lac.

7° étape : BV 6 Champéry - Arrivée : 59 kil – 3400 D+ D-
Ca monte sec, comme d’hab’ pour sortir des fonds de vallées, faut se remettre dans le rythme. Petit intermède sur la route qui me donne l’envie (impossible) d’avoir un chalet ici, face au Pas d’Encel, puis l’on réattaque la crête jusqu’à la Croix de Culet.

Ma casquette pour un chalet !


2 types me doublent comme s’ils venaient de démarrer, ou alors c’est moi qui peine, ou gère car il reste du chemin…. Le dernier quasi kilomètre est une hallucination. Tout d’abord de beauté sur les paysages alentours, mais surtout sur l’irresponsabilité des organisateurs de nous faire emprunter un tel chemin. Jamais dans mon expérience je ne suis passé en course sur un sentier si aérien, vertigineux, dangereux.

Just too much ! (même si là çà ne rend pas sur la photo)


Une sente de crête très exposée et mal sécurisée, heureusement non humide, où il faut mettre les mains et réfléchir à deux fois où poser les pieds sous peine d’une belle gamelle. Tout cela dans une pente très dure, après 300 kil de course et une grosse fatigue accumulée. Nous ne sommes plus là dans l’ultra trail, ni dans le respect des coureurs. J’ai définitivement compris que ce SP360 est une aventure dans tous les sens du terme, de l’organisation aux concurrents…

De là je vais chercher Chaux Pâlin à quelques encablures. Je suis accompagné d’un finisher du TOR inscrit sur cette course il y a juste une semaine, qui me confirme (comme tous les autres Toristes) que cette SP360 est bien plus difficile que le TOR. De part sa technicité, ses 30 kil supplémentaires, son peu de secteurs courables, les difficultés pour se reposer, les approximations récurrentes… Au col des Portes de l’Hiver je le quitte et me remets à courir. J’ai encore des jambes, et le bidou va un poil mieux, même si il ne se fait pas oublier. 



Lac Vert, puis lac de Chésery, au loin j’aperçois Morgins où le ravito sera synonyme de dodo. Je me mets en tête de faire toute la descente en courant, pour arriver avant la nuit. Je rattrape quelques bonhommes, dont la cohorte singapourienne qui avance avec peine. La foret le long du ruisseau a raison de la clarté et je dois chausser la lumière pour un kilomètre, mais je me suis fait plaisir sur cette section de 9 kilomètres et 800 D-.
Morgins, kilomètre 320, dernier dodo. Ravito habituel, mes chaussures pour des tomates ou des abricots ! Besoin de verdure et de vitamines ! Mais l’inégalable Ji-Pé, accompagné de la douce Claire, nous ont dégotté une pizza !!!! Yyyyaaaoooouuuu…pur régal ! Il est 20h40. Antho arrivé à 20 h part à l’instant se coucher pour 2h30. Il souffre toujours du TFL. Je vais prendre moi le temps de bien m’étirer, me soigner, et le luxe de dormir 4 heures pour m’accorder une dernière ligne droite dans les meilleurs dispositions.

Frugal dîtes-vous ?

A peine couché j’ai déjà l’impression qu’Antho vient de repartir. Rêve ou réalité ???
01h30, Ji-Pé me réveille. En effet Antho est reparti à 22h30, il voulait en finir au plus vite et n’a dormi qu’une heure trente. Il avait des yeux de zombie paraît-il. Je suis pour ma part bien dispo, et, chargé de thé dans mes gourdes, je kiss Ji-Pé et Claire qui vont enfin eux essayer de dormir un peu au prochain ravito après avoir veillé sur nous. 2h10 du mat’ je décolle dans l’humidité, 3h40 après Antho, je ne pense pas le revoir mais chacun mène sa course comme il le sent au mieux pour lui.

Le challenge pour moi est d’atteindre désormais l’aube sans signe d’endormissement. J’ai toujours en tête d’arriver dans les prévisions d’Antho, à midi. Mais si c’est plus, je m’en balance… Moins de 10 h pour faire les 40 derniers kil avec 2100 D+ et 3100 D-. Allez zou, je pars solo, in the night. 700 D+ qui ne rigolent pas avec quelques travers, quelques coups de culs et un final à la con dans une pente terrible. J’aurais rattrapé 3 types, je suis seul au sommet du Bec du Corbeau. De là, descente raide pour de vrai (putain on a été bénis par la météo !!!) vers les Portes de Culet. Des lumières partout au loin, on est plus en haute montagne, çà sent l’écurie. Je file toujours bon train jusqu’au ravito de Conches (kil 327), accueilli par deux charmants hôtes dans leur petit nid douillet. Tout attentionnés envers moi ils me servent un riz chaud délicieux. Je veux repartir au plus vite pour garder ma dynamique, mais je regrette dès les premiers hectomètres de ne pas en avoir pris plus, rien que pour les remercier de leur hospitalité.

Nouveau D+ costaud sur crête jusqu’au Col de la Croix. Passages aériens casse-gueule alternent avec sentiers courables. Ne pas relâcher l’attention, ni le rythme. Au loin devant une grande étendue noire, ce doit être le lac. A droite, les milliers de lumières de la moche vallée du Rhône suisse. En haut la Grande Ourse et ses collègues les étoiles. Le bonheur, bah il est là. 
Il est là jusqu’à ce qu’au col de la Croix, où je m’égare 2 minutes, je me mette à descendre dans le pentu vers le ravito de Torgon et que la fringale me rattrape. A trop vouloir faire le malin à courir et me dire que j’arrive, j’ai zappé l’essentiel. Me voilà à fouiller dans toutes mes poches pour trouver des bonbons, une Mule Barre tomate, des fruits secs et….une barre Ovomaltine donnée par Antho (bah oui, je me suis aperçu la veille du départ que j’avais oublié toutes mes barres sportives et mes gels à la maison….heureusement Antho et Max ont pu me dépanner). J’engloutis tout cela, en marchant sur un terrain courable, m’auto flagellant de ne pas avoir avalé plus de ce magnifique riz de Conches ! Quel naze !!! Je n'aurais pas eu assez d'hallucinations pour voir la vache Milka, ni le lapin qui met le chocolat dans le papier. Mais au moins, j'aurais eu ma barre Ovomaltine...et c'est de la dynamite !

Légèrement reboosté je rattrape la troupe singapourienne, asiatiques reconnaissables entre mille depuis l’arrière par leur démarche chancelante aux jambes écartées sur petit thorax. Des zombies je vous dis, des zombies. Ils sont partis 4h avant moi de Morgins. Soit ils rament soit ils ont dormis quelque part. Final dans le single-track de l’école de VTT de Torgon, et je débouche sur le village à 6h40 dans les premières lueurs. 
Ji-Pé et Claire sont surpris de me voir si tôt. Antho arrivé à 5h45 vient de repartir il y a 25 minutes. Je viens donc de lui reprendre 2h40 en 20 kilomètres. Il est en fait parti sans avoir assez dormi et s’est écroulé de fatigue dans une cabane avant Torgon (là où j’ai eu ma fringale) pour récupérer. Comme quoi la gestion du sommeil est l’élément essentiel de ces courses. Avec tout çà je me dis que je vais pouvoir peut-être le rattraper d’ici l’arrivée, probablement dans la dernière descente, vu que je peux encore courir, ce que ne lui permet plus son TFL. Pour fêter çà, et grâce là aussi à nos charmants hôtes de l’Ecole de Ski de Torgon, je m’enfourne goulument des tartines beurre-confiture et Nutella. Un bien fou putain.

Le trail c'est bon comme du Nutella 😂

Dehors le soleil se lève, sur le 7° et dernier jour de course… Malgré l’épuisement et les douleurs physiques nous avons tous le sourire : Jacques que j’ai retrouvé ici, comme le gaillard Jean-François et ses deux potes, mais aussi le beau Hollandais Robin.
7h10 je décolle avec Jacques et Robin, à la poursuite d’Antho une heure devant, mais surtout à la recherche de la veste de finisher. Une vingtaine de kilomètres qui devrait ne pas être complexe, mais dont je me méfie vue les surprises récurrentes des organisateurs.

Photo by Robin


Passage sur un super pont de singe, puis attaque du 555 D+. Jacques est en forme et enquille sévère. Je le suis mais perd sur lui petit à petit. Il va faire chaud aujourd’hui je transpire déjà. Encore quelques passages à la con sur les crêtes avant le col du Blansex puis descente vers la Bataille. Je rattrape Jacques qui a retrouvé le groupe de Jean-François parti bien avant, car je peux courir en descente. J’ai dans la tête cette possible idée de retrouver Antho, donc je cours ce 20kil comme sur un 70 en relançant régulièrement, mais en mangeant…

 La dernière bosse, la voilà, c’est la terrible bosse de 375 D+ vers le lac de Taney.  Ca se joue sur de la piste, quasi fermée à la circulation, et ouverte aux promeneurs. Et allez savoir pourquoi, on va tous dégoupiller ! Dans la chaleur de ce petit matin, on va se la jouer kilomètre vertical, comme si l’on étaient pas partis depuis une semaine, comme si notre honneur en dépendait. La pente est vraiment très costaud, mais nous voilà à suer sang et eau. Jacques et Jean-François quelques 50 mètres derrière voient bien que je veux jouer, et me répondent. Ca balance sévère sur les bâtons, çà ahane fort, çà s’encourage, çà s’invective, c’est du grand n’importe quoi…un pur moment d’adrénaline. Arrivés au Col du Taney, inutilement explosés, nous éructons de joie de ce tour que nous venons de nous jouer, de ce pied de nez à notre épuisement. Cela ne sert à rien, c’est ce qui le rend savoureux !
Le lac de Taney

9h45, à quelques encablures, au ravito de ce lac de Taney que je rêvais de voir (mais qui a contre-jour perd un peu de son charme) je distingue la silhouette d’Antho. Ca y est on se retrouve ! Quel plaisir ! Dans les bras l’un de l’autre, tout se relâche. Il m’annonce des patates avec de l’huile d’olive à dispo ! Les bénévoles ici sont à nouveaux royaux, aux petits soins. Je me fais trois sandwichs patate/fromage/patate. Je laisse pendant de temps là partir le groupe Jean-François + Jacques et Antho. Je suis un peu plus rapide en descente je les retrouverai. 
Je suis bien ici, le D+ est terminé, il ne reste plus que 11 kilomètres et 1100 D-. Les bénévoles recherchent 3 coureurs égarés depuis Torgon. L’un d’entre eux arrive (celui avec qui j’étais à Chaux Pâlin) : le baliseur du 35 K a mal fait son taf’ et l’aiguillage inexistant entre les deux parcours les a envoyés depuis 2h30 vers un autre col. Il y a de quoi être passablement énervé…
Je redémarre, mais bizarrement je ne suis plus vraiment à la course, comme si celle-ci s’était terminée à Taney. On a recommencé depuis ce matin à croiser des voitures, des randonneurs, entendre des sons urbains. Nous ne sommes plus isolés, loin de tout, notre course est « pénétrée, partagée ». Néanmoins il faut descendre, mais mes jambes elles aussi semblent arrêtées. Je dois me faire violence pour me relancer, mais je suis serein car j’entends Jean-François au loin. Je reviens doucement vers eux mais m’aperçois qu’Antho et Jacques ne sont pas là. Mince, il va falloir que j’enquille, que j’arrête de rêver. Je les double et galope tant bien que mal jusqu’à Chalavornaire, 10h50 ! Et là, en même temps, deux superbes apparitions : une sexy traileuse du samedi et en contrebas le lac et l’arche d’arrivée. Putain l’émotion !

Vue plongeante, sur l'arrivée !!!!!

Vite contenue…faut que je retrouve Antho et Jacques, la miss les ayant croisés il y a 5 minutes. Mince, ils courent où quoi ? Gros doute dans ma capacité à les récupérer quand malgré l’enchaînement des virages en épingle incessants et rébarbatifs qui ne me font perdre que 2 mètres négatifs en 200 mètres (j’ai faillit couper droit dans la pente putain) je ne les vois toujours pas. Et les jambes qui n’en peuvent plus, les pieds qui chauffent, je ne tiens plus le rythme. Je m’entête une dernière fois tout en hésitant à appeler Antho pour qu’ils m’attendent, dans cette nouvelle succession de lacets. Au loin un trio italien. Lorsque je les double à une vitesse infra sonique, avec moultes Forza Italia, j’aperçois mes deux compères. Ouf ! En effet ils trottinent, autant par empressement d’arriver que de lassitude de cette section.
Bon an mal an, nous voilà en bas de cette foret, débouchant dans la vallée sur les premières maisons du Bouveret. Jacques a l’immense gentillesse et humilité de nous demander si nous voulons finir ensemble Antho et moi. Il n’en est pas question ! Nous avons passé tellement de moments avec lui qu’il n’est pas pensable de ne pas finir tous les trois. Voici le bitume, et avec lui les premiers élans d’émotions. Les encouragements de badauds, puis le passage de la voie ferrée. 
Ca y est, nous sommes au bord du lac, il reste moins d’un kilomètre, au loin on distingue l’arche sous un franc soleil. Tous les trois, au même moment, ne disons plus mot. Chacun renifle. Les larmes sont là, libératrices de l’accumulation de tension et de fatigue. Nous en rigolons : « il va falloir garder les lunettes de soleil jusqu’à la ligne ». Les tifosi des italiens nous encouragent, nous avons l’insoupçonnable force de presque tout finir en courant. 
C’est savoureux, nous jubilons, jouissons réellement de ces derniers instants. Il y a 6 jours nous partions dans une course que nous ne supposions pas si difficile. 143 h après nous voilà encore valides et emplis de joie après une semaine incroyable.

Voilà, il est midi pile. Ji-Pé, qui mérite comme nous son titre de finisher, et Claire nous applaudissent. Dernier virage. Main dans la main, le torse haut. Nous y sommes. Finishers d’une sacrée aventure.

327 au départ, nous nous classons 118°. Il y aura 193 finishers.




L’organisation a mis en place une super zone d’arrivée avec toutes les commodités et festivités. Il est temps maintenant de savourer mais je n’ai envie de rien, juste de partager avec mes amis, félicités par d’autres coureurs ou des inconnus. 
Mes proches me contactent pour me féliciter, pleins d'émotions. Laeti m’appelle, je n’arrive pas à  lui parler, je ne peux que pleurer. 10 minutes plus tard ce sera la même chose. Difficile dans ces moments d’à la fois savourer, relâcher, redescendre sur terre, s’exprimer…sans repenser à ce qui nous a mené ici et grâce à qui. Mon égoïsme pour ma discipline n’a d’égal que l’amour, les sacrifices et la force de ma Laeti. Je lui suis tellement reconnaissant.


Epilogue
Le temps passé à savourer, et à voir peu après arriver Maxime et Alex les suisses, Jean-François et sa troupe, Cheville…nous allons récupérer les sacs base de vie, dans une tente non gardée où chacun peut se servir. Nous cherchons nous même nos sacs, choqués lorsque l’on sait la valeur du matos qu’il peut y avoir dedans.

Le buffet à volonté mis à disposition au resto est lui tout à fait savoureux. J’y resterai plus de deux heures à me faire péter le ventre avec Antho puis Robin, avec vue sur le lac Léman.

La pizza du soir, au resto de la joviale patronne passera comme qui rigole grâce au bon vin du Valais.
La nuit sera agitée, difficile, comme pour expier tous les maux restants. A 3h du mat’ je me lèverai en sueur pour accompagner mon ami Apos sur la ligne d’arrivée. Il est lui aussi passé au-delà de tout pour arriver au bout. Je suis heureux pour lui, pour qui la prépa était loin d’être optimale, mais dont le caractère a forgé sa réussite. Il sera indignement accueilli avec sa comparse par deux bananes, 4 quartiers d’orange, une assiette de carrés de chocolat, un sachet de Tuc, 3 rondelles de salami et 4 morceaux de pain. Rien de bien réconfortant, même pas une médaille…

 L'arrivée d'Apos, et son Monkey Smile ! 🙉


La cérémonie des finishers du dimanche sera belle, enjouée. Impossible de faire deux pas sans être enlacé ou embrassé par un de ces coureurs que l’on a croisé 5 minutes ou 5 jours sur les chemins valaisans. 
Au bout de trois jours ceux qui devaient abandonner l’ont fait (j’aurais pu en être) et les restants se sont soudés, reconnus, soutenus. Cette notion de « famille » m’a été très fortement ressentie au fil des kilomètres restants, et encore plus une fois la ligne franchie. Quelque chose de très fort, très intime, palpable, que je n’avais encore jamais connu. J’ai le sentiment que seul ce type de course sur plusieurs jours peut me l’offrir.

Ivresse sur le podium 





With Robin 💪

 Jean-François - Maxime - Sylvain - Anthony - Jacques

Avec Apostolos 😉
 Alors oui je me suis préparé physiquement et mentalement pour la courir, j’y ai mis un paquet d’euros sur la table. J’ai eu la chance d’avoir un ami formidable qui a pris 10 jours de congés pour moi et a assuré comme un chef pour nous mettre Antho et moi dans les meilleures conditions.


Je t'aime Ji-Pé 💖
Parce que nous l'avions parié…💥 



J’ai eu Antho à mes côtés, plus que je ne l’aurai espéré, qui m’a été un compagnon, désormais un ami, idéal, attentionné et jovial. 
 Bravo mon ami !😎
Mais malgré tout cela je suis parti pour essayer de comprendre ce format, et sans savoir si j’en viendrai à bout. C’est ce doute qui donne la beauté à la chose, s’embarquer dans un truc qu’on ne maîtrise pas, où chaque pas est découverte. Parti chercher un ailleurs, dans un entre-temps, un entre-nous parfois, un entre-soi surtout…dans une autre dimension jamais jusque là connue. Et maintenant je peux dire que j’ai « sur-kiffé » !!!!
Le plus difficile finalement dans un 300 kil ce sont les 2 jours d’après, quand les douleurs dues aux œdèmes des genoux, mollets et pieds t’empêchent de te mouvoir sans mal, quand le sommeil est tant haché et perturbé qu’il te semble un cauchemar, quand les suées noient ta couche de tout ce qu’il a à évacuer de ton corps. Quand surtout tu percutes que tu étais si bien là haut, dans un monde où nous fûmes nous, à mille lieues de tous soucis de la vraie vie. Qu’à cet instant où tu es redescendu pour toucher le bitume, tout t'es devenu subitement inepte et accessoire, mais que plus rien ne sera pareil…car tu es Finisher !




Epilogue 2 : les photos que j'ai toujours oublié de faire...😂😂😂



 Les genoux 2 h après (et 24 h après ce fut bien pire)

 Les pieds 24 h après

Antho : 10' avant le départ (en haut) + 10' après l'arrivée (en bas)

Sylvain : arrivée (en haut) + départ (en bas)

4 commentaires:

  1. Merci pour ce magnifique compte-rendu, je m’y suis retrouvé.
    Vincent dossard 213 et finisher de cette aventure absolument folle.

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  2. I translated your whole scrip in Google Translate, man I n joyd your version, great story. Hope to meet you again during a race, you allready planns for 2019, let me know :-) Thank you Sylvain for meeting you, funny to read you guys where constantly around in the race..., you slept a bit more i can say. Love x Robin Kinsbergen - Pay Bas

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  3. Au plaisir de te (vous) recroiser sur les sentiers ou ailleurs ...''que du bon'' pour la suite et repose toi bien.Jean-François (ou jean michel si tu préfère)

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  4. J'ai lu très attentivement ce compte rendu qui mériterait d'être publié dans un magasine de trail. Dans tous les cas Bravo!

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